(Québec) Pendant trois ans, la commission Charbonneau a multiplié les exécutions sommaires, brisé des réputations, mis de côté des règles de droit parmi les plus élémentaires pour débusquer du «croustillant» à donner en pâture aux médias.
Dans un bref ouvrage incisif, Louis Demers, avocat connu à Montréal, fait un bilan dévastateur des pratiques qu'il a observées à la commission chargée de lever le voile sur la corruption et la collusion dans l'industrie de la construction.
«Toute cette affaire a, c'est certain, paralysé une grande partie du Québec pendant trois ans. [...] Elle a détruit plusieurs compagnies de construction et sociétés d'ingénierie», observe Me Demers, rappelant les pertes d'emplois, les faillites de sociétés ou la vente forcée d'entreprises québécoises, malmenées durant les audiences.
En bout de course, sur le lien entre le financement des partis politiques et l'obtention de contrats, la Commission «n'a pas trouvé beaucoup de cas. Rien au provincial, en tout cas», observe Me Demers, qui était le procureur de Pierre Bibeau, organisateur de longue date au PLQ.
Dans son ouvrage Dérives de la commission Charbonneau publié aujourd'hui, Me Demers relève qu'au mépris des règles, la Commission a fait défiler des témoins sans s'assurer que leurs déclarations seraient corroborées. Le pire cas: le jeune organisateur Martin Dumont a affirmé que Gérald Tremblay était au courant d'une double comptabilité à Union Montréal, qu'il avait même soutenu ne pas vouloir en être informé. Or rien n'avait été amené permettant de confirmer ces révélations spectaculaires, faites par Dumont dans un second interrogatoire en privé. Ce n'est que des mois plus tard que le maire Tremblay a pu réfuter ces déclarations à la Commission. «Où sommes-nous pour exécuter publiquement un élu aussi important sans lui demander sa version des faits!», s'insurge le juriste, ulcéré de voir qu'un procureur, dès le début des travaux, a pu promettre «du croustillant» aux médias.
Le 357 C
Même constat quand la Commission a fait un crochet vers la clientèle du 357 C: on a divulgué des liasses de listes comprenant les noms de membres et de leurs convives à des repas privés, autant de pistes lancées avec fracas à la fin de 2012, laissées totalement en plan à la reprise des travaux, fin janvier 2013. Or tout ce qui reste de cette opération est la liste des convives d'un entrepreneur italien, de 2005 à 2012, des gens dont on a diffusé les photos sans qu'ils en soient prévenus. Le témoignage aura duré une journée et demie, sans qu'on puisse en conclure quoi que ce soit, observe Me Demers, qui estime que la Commission voulait alors meubler le temps, faute de témoignages pertinents à produire.
Les prête-noms
Me Demers relève aussi à quel point la Commission a fait recette du système des «prête-noms», ces employés de grandes firmes qui acceptaient de faire des contributions à un parti politique, un geste illégal puisqu'ils étaient remboursés par leur employeur.
«La loi n'était pas claire, le ministre l'a admis. Elle fut amendée en 2010. Je ne pense pas que pendant des décennies, des milliers de personnes ont posé un geste en étant certains qu'ils étaient dans l'illégalité. Je ne dis pas que leur interprétation de la loi n'était pas libérale. Mais tout le financement des partis politiques n'était pas pourri!», observe Me Demers.
Pour l'avocat, l'ancien article 90 de la Loi régissant le financement des partis politiques ne prohibait pas explicitement le remboursement des contributions faites par un employé. Une poursuite là-dessus ne tiendrait pas la route, selon lui. Le fait que le législateur, qui ne parle pas inutilement, ait senti le besoin de préciser cet article en 2010 est un argument incontournable, dit Me Demers.
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