Ce qui se défait

Ceux-là qui se gonflaient le jabot à tenter de nous faire prendre l’affairisme pour du développement, ceux-là n’en finissent plus de se trouver des échappatoires.

Chronique de Robert Laplante


Désastre à la Caisse de dépôt, marasme à la Ville de Montréal, copinage éhonté dans l’administration du programme FIER, un premier ministre qui a le sens de la morale aussi élastique que son code d’éthique et aussi bien garni que la prime que lui verse le Parti libéral, tout est dans la normalité des choses qui se fanent.
Rien ne va plus au royaume du PPP. Les coûts explosent pour le pont privé de l’autoroute, les deux mégacentres hospitaliers ne sont pas en reste. Plus personne ne sait compter, surtout lorsqu’il s’agit de protéger les privilèges de McGill. Et dire qu’il s’en trouve pour s’inquiéter de ce que le budget de la santé va bientôt gruger 45% des dépenses de l’État et que peu leur chaut de rajouter plus de deux milliards pour le dédoublement des hôpitaux universitaires.
Ceux-là qui se gonflaient le jabot à tenter de nous faire prendre l’affairisme pour du développement, ceux-là n’en finissent plus de se trouver des échappatoires. Responsables de quoi que ce soit? Allons donc ! C’est la défilade érigée en modèle d’affaires. Ça jure de ses grands dieux à pleines conférences de presse, ça fait des effets de toge en commission parlementaire. Le système a le dos large et la mémoire courte : c’est la faute de personne, tout le monde a bien fait son bouleau, les meilleurs ont même touché des primes.
La grisaille s’épaissit. Le cynisme se généralise. Quelque chose se meurt et ce n’est pas beau à voir. La nausée, serait-on tenté d’écrire, est en passe de devenir une caractéristique provinciale. Pénible ce Québec à la petite semaine. Heureusement qu’il y a le voile pour se couvrir. La médiocrité est en passe de nous faire enfiler une immense burqa collective. Pénible la bêtise, surtout quand la confusion tient lieu d’horizon.
Mais c’est toujours ainsi quand une époque se termine. Le Québec de la morosité induite par les vendeurs de fétiches néo-libéraux, le Québec du rapetissement provincial, celui du chacun pour soi dans l’engourdissement minoritaire et l’indifférence canadian, ce Québec se meurt. Il agonise dans le désarroi de la crise économique et dans la détresse qu’elle sème, il se tord en convulsions dans la rhétorique insignifiante des barons de province qui n’ont rien à proposer, rien à dire sinon que ça va finir par finir et que tout rentrera bien dans l’ordre si la confiance reprend.
Le Québec à moitié normalisé dans l’impuissance d’une certaine élite et dans le verbiage politicien, ce Québec-là n’a plus d’avenir. Ni pour lui-même ni pour le Canada qui pourtant ne recule devant rien pour tenter de saper nos repères. Les inconditionnels du lien canadian n’ont plus d’autre politique que celle de la terre brûlée. Ils sont prêts à tout bazarder, à tout détruire des acquis de la Révolution tranquille et des siècles d'affirmation tenace pour se cramponner non pas au statu quo, mais à la soumission minoritaire. Et il y a des jours où il semble bien qu’ils vont y réussir tant le Québec ressemble à un puissant fleuve dont toute l’énergie se perd dans un delta marécageux.
Ces jours-là, des milliers et des milliers de personnes les ressentent en pleine chair. Le temps de l’humiliation est un temps dur. Et le désarroi des uns n’a d’égal que l’indifférence des autres, ces vaccinés d’eux-mêmes, ces immunisés de l’héritage. Ils sont passés à autre chose. Ils fanfaronnent, ils plastronnent et causent globalisation. Ils sont du côté de la modernité, de l’ouverture et font semblant de ne douter de rien. Ils ont l’assurance des parvenus qui se dressent dans la fatuité en flambant du bien d’héritage. Ils ne voient pas ce qui se lit pourtant dans le paysage.
Le pays est ailleurs. Il vibre dans l’inventivité de ceux et celles qui partout sur le territoire multiplient les projets et rêvent plus grand que la province. Il se met au monde dans ce qui meurt, il trouve «de l’or dans les poubelles de la saison» comme dit Vigneault.
Mais c’est vrai aussi «qu’on ne s’entend plus venir au monde» comme le redit Michel Garneau tant il est épais le babillage médiatique qui nous désincarne dans la réduction anecdotique qui tient lieu de formulation médiatique de l’intérêt commun. Il ne se passe pas une semaine sans que l’un ou l’autre des canards de Gesca ne trouve un palmarès pour nous faire mal paraître, sans qu’un quelconque expert encensé par la grosse Presse ne trouve le moyen de nous déprécier collectivement, de nous rabattre le caquet en nous assénant des comparaisons internationales, des moyennes nationales et autres standards américains devant lesquels nous devrions nous prosterner en regrettant de ne pas suffisamment parler anglais.
Le Québec de l’insignifiance assourdissante voudrait nous faire voir Montréal comme un gros Moncton juste pour rire, comme le répète sur toutes les tribunes un petit comique qui s’autoproclame visionnaire et grand entrepreneur en se pétant les bretelles que nous lui avons subventionnées. Il faudrait parler bilingue, se faire le projet d’inviter tous les immigrants à parler l’anglais pour mieux affirmer que Montréal est une ville de créateurs qui ne reculent devant aucun baragouin pour faire de la business et de l’entertainment. Une pleine page de Personnalité de la semaine pour en remettre ? Il faut ce qu’il faut pour se donner de la vision…
Ça serait à pleurer si ce n’était de l’évidence que ce cirque et ces clowns qui défilent sur les tribunes médiatiques et devant les commissions parlementaires ne sont rien d’autres que des débris d’un monde déjà englouti. Le Québec est ailleurs. Ils ne le savent pas encore.
Le pays se recompose dans l’imagination discrète, dans la détermination entreprenante et les solidarités, il a trouvé ses mots, mais pas encore son discours et très peu de ses porte-parole. Mais ce n’est qu’une question de temps. Et de circonstances. Cela viendra. Ce gouvernement usé va pourrir debout. Ces élites capitulardes vont finir par achever de se discréditer. Les alibis vont se défaire sous les coups de boutoir d’un réel qui ne s’accommodera pas éternellement des accommodements raisonnables avec l’impuissance et la minimisation des pertes. Les dérives politiciennes vont finir par se briser sur les écueils de la volonté de vivre et du goût de se dépasser.
Même les velléitaires du changement, même les compagnons de l’évolution des mentalités, même les marcheurs aux petits pas vont finir par redresser l’échine et redécouvrir la parole quand la pression du peuple et du réel les dépouillera de la rhétorique qui les englue.
Le contraste est trop fort, les Québécois ne se satisferont pas toujours des ajustements à la petite semaine. Nous sommes un peuple qui se sait capable de grandes choses, qui en a les talents et la capacité. Mais nous sommes aussi un peuple entravé et inquiet à qui les longues patiences et la résignation ont fait beaucoup de tort. Les temps présents, les temps de la décomposition ne font qu’aggraver les réflexes d’ambivalence qui depuis trop longtemps nous empêchent de capitaliser sur nos plus grandes réalisations. Depuis toujours, nous entremêlons les efforts de résistance et les ruses de riposte. Depuis toujours nous nous ingénions à braconner sur l’ordre qu’on nous impose. Cela nous a beaucoup appris à bien lire les marges de manœuvre dans ce qui se défait. Ces marges s’élargissent, à n’en pas douter.
Et nous en profiterons.

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Robert Laplante173 articles

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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