Dans la foulée du 400è anniversaire de la ville de Québec

Causerie avec le premier ministre

Québec 2008 - autour du 400e

Jean Charest, Premier ministre du Québec

L. Ian MacDonald, Rédacteur en chef d'Options politiques

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À l'occasion du 400e anniversaire de la ville de Québec, le premier ministre Jean Charest s'est entretenu à Montréal avec [le rédacteur en chef d'Options politiques, L. Ian MacDonald.->14324] Nous publions des extraits de cet entretien qui a eu lieu au début de juin et dont le compte rendu intégral est publié dans une édition disponible aujourd'hui.
Monsieur le premier ministre, [...] que veut dire pour vous l'importance de la ville de Québec comme berceau du Canada français et en Amérique du Nord?
C'est un symbole important, la ville de Québec. C'est le berceau de la francophonie en Amérique du Nord. Y sont passés, pour venir habiter l'Amérique du Nord, les Irlandais, les Écossais...
Il y a quelques semaines, le premier ministre Harper a suscité la controverse lorsqu'il a affirmé que la fondation de Québec en 1608 marquait l'acte de naissance du Canada, au moins du Canada français. Et la visite de la gouverneure générale en France a également été controversée pour les mêmes raisons. Quelles sont vos réflexions là-dessus?
Ça nous a fait sourire parce qu'il y avait beaucoup de rhétorique dans les réactions aux propos de M. Harper. Or, ce qu'il a dit est un fait historique, une évidence, c'est-à-dire que l'histoire du Canada commence à un certain moment. D'ailleurs, ça commence même avant 1608 si on retourne à Jacques Cartier. Et, donc, il n'a rien dit qui, aux oreilles de quiconque, pourrait offusquer la trame historique du Canada.
Ceux qui cherchent à le présenter autrement cherchent à instrumentaliser l'histoire à leur avantage et pour servir une cause. Mais moi, j'ai parfaitement compris ce qu'il voulait dire, et je pense que les Québécois aussi ont parfaitement compris ce qu'il entendait par là.
Par contre, l'histoire, la référence historique, est encore plus importante si on remonte à l'Acte de Québec en 1774. Là, les souverainistes passent vite là-dessus parce qu'ils veulent aller à 1867; ils aiment bien parler du rapport Durham et de l'Acte d'union, qui n'a pas été un succès, qui n'a pas fonctionné. Mais l'Acte de Québec...
... qui, justement, a permis de garantir la survie du fait français en Amérique du Nord.
Oui! Et nos lois, et notre religion. Ça, c'est un acte fondateur de ce que nous sommes aujourd'hui, à la fois québécois et canadiens.
La déclaration du président français Nicolas Sarkozy, son discours à Bény-sur-Mer, où il affirmait que la France aimait le Canada autant que le Québec, qu'elle aimait les deux ensemble, a également suscité la controverse. Est-ce que ce discours marque un changement par rapport à la politique de non-ingérence et de non-indifférence préconisée par la France depuis 30 ans?
Dans le jargon diplomatique français, ils appellent ça la politique du ni-ni. Deux négations consécutives. Mais moi, la déclaration de M. Sarkozy ne m'a pas étonné, parce que je suis allé au cimetière de Bény-sur-Mer. [...] Comment peut-on ne pas dire merci au Canada quand on foule le sol où sont enterrés 2000 soldats canadiens qui y ont laissé leur vie pour libérer la France? Comment peut-on ne pas comprendre?
Et l'autre dimension de cette visite de la gouverneure générale [Michaëlle Jean] qui est très intéressante, c'est de voir les Français réaffirmer leur amitié avec le Québec sans pour autant annihiler le Canada. Ce n'est pas à nous à demander... c'est un manque de maturité, c'est de l'enfantillage que de demander aux Français de ne pas avoir de relations avec le Canada alors qu'on se rappelait ce jour d'armistice qui évoque le débarquement de Normandie.
Et la politique de non-ingérence/non-indifférence qu'Alain Peyrefitte avait livrée pour Giscard d'Estaing était une politique qui arrivait dans le contexte de la montée du nationalisme québécois et de la tenue éventuelle d'un référendum. Or, le référendum ne fait plus partie de notre plan politique. Mme [Pauline] Marois, les souverainistes, ont eux-mêmes évacué l'idée de faire un référendum dans le prochain mandat et pour l'avenir. Alors, ça ne peut pas être que ça, la relation que la France a avec le Québec. Vous savez, ça ne peut pas être basé sur la non-ingérence/non-indifférence. La relation, elle est mature, elle est multidimensionnelle, et là, elle doit se déployer dans tous les domaines. Et le président de la République se prononcera là-dessus. Et la relation que le Québec a avec la France n'est pas à l'exclusion du reste du Canada. On ne demande pas à la France de n'avoir des yeux que pour nous; on veut que la France puisse avoir avec le Québec une relation mature, entière, et c'est ce que nous avons actuellement, et M. Sarkozy aura l'occasion de célébrer ça lorsqu'il viendra au Québec. [...]
Vous êtes le père fondateur du Conseil de la fédération, une idée que vous avez proposée dans la campagne de 2003. Cinq ans après sa création, quel bilan tracez-vous?
Je vois ça comme un beau succès. D'abord, parce que ça a permis aux provinces et aux territoires de recentrer leur action sur les domaines de coopération mutuelle. Et jamais on n'a tant parlé de commerce interprovincial et de mobilité de la main-d'oeuvre que nous le faisons actuellement. [...] Et ça, c'est parce que c'est le résultat d'un choix délibéré des provinces et territoires de se concentrer sur les enjeux qui touchent l'interprovincialisme, c'est-à-dire des enjeux qui sont de nos compétences et qui font l'objet de relations entre nous. Le TILMA (Accord sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'oeuvre) a été négocié entre l'Alberta et la Colombie-Britannique, les provinces de l'Ouest se rencontrent, les provinces de l'Est, et l'Ontario et le Québec se sont rencontrés pour la toute première fois pour un conseil des ministres conjoint.
Cela témoigne de notre rapprochement, en plus du fait qu'on a un projet de libéralisation de notre marché, de notre main-d'oeuvre, pour le 1er avril 2009 au plus tard, on s'est fixé un objectif de signer l'entente. On s'est fixé cinq objectifs, en fait, dans le domaine du commerce intérieur, que nous poursuivons ensemble. Alors sur ce plan-là, ça fonctionne bien. Le conseil a aussi permis la naissance du fédéralisme asymétrique dans la négociation de l'entente de 2004 sur la santé.
Pour le Québec, ça nous a permis de faire la démonstration aux Québécois que le fédéralisme n'était pas uniquement la relation bipolaire entre Québec et Ottawa; que le fédéralisme québécois et canadien se vit aussi avec les voisins avec qui nous partageons beaucoup sur le plan économique et social. Alors, c'est un beau succès; j'en suis très fier.
Mais le fédéralisme asymétrique n'était même pas inventé lors de l'accord sur la santé. C'est dans les articles 93 et 133 de la Constitution.
Oui. Et on lui a donné une expression, pour la première fois, qui a été reprise, en passant, dans une entente sur les relations internationales et la création de la place du Québec dans les délégations canadiennes à l'UNESCO, qui a été reprise dans une entente qu'on a faite avec le gouvernement fédéral sur les services de garde. Enfin, c'est un concept auquel on a donné vie et qui nous permet de mieux vivre notre système fédéral, de mieux pratiquer notre fédéralisme.
Alors, quelle est votre appréciation des rapports actuels entre les provinces dont les intérêts sont peut-être plus différents que jamais? Entre, par exemple, l'Alberta avec ses intérêts dans le champ pétrolier; l'Ontario et le Québec avec leurs secteurs manufacturiers; Terre-Neuve qui est maintenant une province riche...
Je vous dirais que les intérêts peuvent certes diverger, ce qui est tout à fait normal, mais que nos relations n'ont jamais été aussi bonnes. Les relations sont très bonnes. Et moi, je travaille beaucoup avec mes collègues des provinces. J'arrive d'une conférence avec Gary Doer du Manitoba. Il n'est pas physiquement à côté de chez nous, mais c'est quelqu'un avec qui on a une très bonne relation.
Au total, je retiens deux choses: notre Conseil de la fédération nous rappelle qu'on a plus en commun que de choses qui nous différencient, d'une part; et que, d'autre part, nos relations à nous sur le plan humain, sur le plan social, sont fécondes.
D'ailleurs, on a reçu un très beau compliment: notre Conseil de la fédération a été copié par les États australiens. Quelques premiers ministres australiens sont venus ici pour voir comment on fonctionnait, puis ils ont choisi de copier ce que nous faisons. C'est un compliment que nous prenons avec beaucoup de modestie, mais ça prouve que c'est un modèle qui s'exporte. [...]


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