LIBRE OPINION

Carte électorale: un redécoupage lourd de conséquences au Québec

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Surtout étirer une sauce déjà fortement indigeste

La Constitution du Canada impose au parlement fédéral une révision de la délimitation des circonscriptions tous les dix ans, correspondant à chaque administration du recensement. Le dernier redécoupage ayant eu lieu en 2003, il était nécessaire de répéter l’exercice afin qu’une nouvelle carte soit en vigueur pour l’élection de 2015. Les changements observés prennent cependant des ampleurs différentes selon les régions du pays.

Les nouveautés qui seront en vigueur pour (au minimum) les dix prochaines années font en sorte que le parlement passe de 308 à 338 sièges. Sur ces 30 sièges supplémentaires, le Québec en obtient trois — pour un total de 10 % des nouveaux sièges, ce qui attise plusieurs critiques dans la province. Mais au-delà de cet ajout, la réforme modifie les délimitations de plusieurs autres circonscriptions. Je propose que ces modifications sont majeures dans bien des cas et j’en détaille ici les conséquences afin d’en démontrer l’importance tant dans les comtés déjà existants que dans les nouvelles circonscriptions.

Deux transfuges retiennent l’attention dans cette course toute montréalaise : Maria Mourani, élue sous la bannière du Bloc québécois et se représentant désormais pour le NPD, et Mélanie Joly, qui a quitté son parti municipal pour joindre l’équipe libérale. À première vue, Maria Mourani a toutes les raisons de croire qu’elle est en avance : son parti est en tête dans les sondages et elle a réussi à consolider un certain vote personnel depuis 2006. Or, deux obstacles pourraient venir brouiller les cartes : la refonte de la carte électorale et les ressources de Mélanie Joly, présumant que cette dernière gagne son investiture.

D’une part, le redécoupage de la circonscription disperse en partie l’avantage du vote personnel dont bénéficie la candidate sortante. En effet, les nouvelles sections de vote, moins bloquistes et plus libérales, joueront certainement contre Mme Mourani, qui a critiqué à maintes reprises le recoupage de sa circonscription.

D’autre part, Mélanie Joly possède une banque de données de 2013 provenant de son parti municipal « Vrai changement » — le slogan actuel du Parti libéral du Canada. En ciblant les électeurs dans les nouvelles limites géographiques du comté, ces données sont extrêmement utiles pour cibler ses sympathisants. Autrement dit, une partie de son pointage, essentiel à la sortie de vote, est déjà faite. Quant au candidat bloquiste, qui s’appropriera certainement une partie de vote souverainiste, mobilisé de surcroît contre Mourani, qui a été expulsée de leur parti, il vient ajouter une autre dose d’incertitude.

Dans Montarville

Ce nouveau comté de la Rive-Sud de Montréal a comme candidate sortante Djaouida Sellah, élue sous la bannière du NPD dans l’ancien comté Saint-Bruno–Saint-Hubert. Sa principale adversaire est la candidate du Bloc québécois Catherine Fournier. Avec la réforme de la carte électorale, la ville de Sainte-Julie y est désormais intégrée dans sa totalité. Ce sont des électeurs qui ont eu Sana Hassainia, la députée fantôme du NPD (jusqu’en 2014) qui a fait les manchettes et que les citoyens ont fort probablement encore en mémoire. De plus, les trois quarts de l’arrondissement de Saint-Hubert ne font plus partie du comté, ce qui désavantagera Sellah, puisqu’on y retrouvait une majorité de votes NPD. Autrement dit, la candidate sortante se retrouve avec une nouvelle ville assez souverainiste (Sainte-Julie) et perd une bonne partie d’une ville assez fédéraliste.

À l’inverse de Sellah, la candidate bloquiste est un élément que son parti voudra certainement mettre à l’avant-plan puisqu’elle incarne, comme jeune femme, l’étiquette que le parti recherche : le renouveau. En entrevue avec Marco Fortier du Devoir, la candidate affirme passer 50 heures par semaine sur le terrain — et ce, depuis 13 mois ! Montarville est parmi les comtés les plus prenables pour le Bloc québécois, de par les caractéristiques sociodémographiques de ses électeurs, mais l’est d’autant plus avec la présence de cette candidate. Finalement, une remontée libérale (aussi modeste soit-elle) diviserait le vote fédéraliste au profit de Fournier. Toutefois, rien n’est joué : le militantisme local a ses limites et Sellah pourrait bien être réélue si l’écart entre le NPD et le Bloc se maintient dans les sondages nationaux.

Cet exercice de redécoupage électoral est nécessaire, mais lourd de sens dans plusieurs cas. De plus, le risque de gerrymandering (littéralement : créer des « comtés salamandres ») qui favoriserait un candidat est toujours omniprésent, d’où l’importance de maintenir la conduite d’audiences publiques. Mais surtout, le redécoupage se basant sur les recensements canadiens nous ramène à l’importance de la qualité des données qu’on y retrouve afin d’assurer un redécoupage de la façon la plus équitable possible.


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