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La campagne électorale fédérale révèle l’état de dislocation avancé du Canada

Une crise de légitimité sans précédent est sur le point d’éclater

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Soyez assuré que ni La Presse ni Radio-Canada ni aucun des grands médias nationaux, tous fédéralistes, ne vont en parler

Absorbés comme nous le sommes par la course électorale, nous perdons facilement de vue ce que nous révèlent les sondages sur l’état actuel du Canada sur le plan politique.

Le constat est inquiétant. En effet, le Canada s’achemine vers un parlement « à l’italienne », fractionné en quatre, PCC, PLC, NPD et BQ. Or si une telle perspective peut n’avoir rien de particulièrement préoccupant dans un pays comme l’Italie ou tout autre État unitaire européen, elle est beaucoup plus inquiétante dans un pays à structure fédérale comme le Canada, surtout si l’on y intègre le fractionnement régional de l’appui aux différents partis.

Pourquoi d’abord cette différence est-elle si importante ? Tout simplement parce qu’au Canada, les compétences législatives sont partagées entre deux ordres de gouvernement, ce qui mine en partant la cohésion politique du pays. En temps normal, le pays peut fonctionner sans une cohésion parfaite, mais dès qu’un problème majeur survient, qu’il soit politique ou économique, l’absence de cohésion entre les deux paliers de gouvernement se met à peser très lourd sur la capacité du pays à dégager des orientations communes.

Ajoutons à cette dynamique celle que crée l’incapacité des quatre partis politiques en présence de s’implanter fortement ailleurs que dans les régions où ils ont leurs racines et donc de représenter autre chose que des intérêts régionaux, et nous sommes en présence d’un coquetel toxique qui menace l’unité canadienne bien davantage que n’est jamais parvenu à le faire seul le mouvement indépendantiste québécois.

À l’heure actuelle, le Canada est confronté à plusieurs problèmes majeurs qui ont tous pour origine de mauvais choix de politique économique.

Ainsi, après la conclusion du premier accord de libre-échange au milieu des années 1980, le gouvernement fédéral a négligé de s’assurer par des mesures de soutien adéquates que son secteur manufacturier, alors le principal moteur de son PIB, s’adapterait à la nouvelle donne de la concurrence mondiale en investissant massivement dans les nouvelles technologies et le développement de sa capacité concurrentielle sur le plan industriel.

En l’absence d’un tel soutien, le secteur manufacturier a graduellement perdu de son importance sur une période de près de dix ans tout en engrangeant les profits faciles dont l’assurait la faiblesse du dollar canadien. Lorsque le dollar canadien s’est mis à remonter à la suite de la décision de Paul Martin de s’attaquer sérieusement au problème de la dette canadienne en 1996, la contribution du secteur manufacturier au PIB canadien a progressivement perdu de son importance, remplacée par l’essor phénoménal des services financiers et de l’industrie pétrolière.

La crise financière de 2008 a démontré toute la fragilité de la contribution de l’industrie des services financiers au PIB, et la crise pétrolière de 2015 est en train de nous démontrer toute l’imprudence pour le gouvernement fédéral d'avoir misé exclusivement sur le pétrole pour assurer la prospérité du Canada, À la veille d’une nouvelle crise financière importante, le Canada se retrouve dans le pire état de précarité qu’il ne se soit jamais trouvé, et il est invraisemblable que cet enjeu n’ait pas du tout été évoqué dans la campagne électorale jusqu’ici.

Quand on parle de services financiers, de secteur manufacturier ou d’industrie pétrolière au Canada, on parle régions. Les services financiers sont surtout concentrés en Ontario et en Alberta avec des centres de service régionaux. Le secteur manufacturier est surtout implanté en Ontario et au Québec, et l’industrie pétrolière est surtout concentrée en Alberta, avec une implantation satellitaire à Terre-Neuve.

Le Parti Conservateur est fortement implanté dans l’Ouest et répond surtout aux intérêts de l’industrie pétrolière et, accessoirement, des services financiers. Le Parti Libéral est fortement implanté dans les provinces atlantiques et en Ontario, et il répond surtout aux intérêts de l’industrie des services financiers, et accessoirement, du secteur manufacturier. Le NPD prétend être en mesure de répondre aux intérêts de tous, mais les compromis qu’il a dû faire sur sa droite (budget équilibré) et dans l’Ouest (soutien à l’industrie pétrolière) pour les besoins de la présente campagne électorale, sans même parler de la gaffe du niqab, ont beaucoup réduit son potentiel d’attrait auprès de ses clientèles naturelles.

Quant au Bloc Québécois, c’est un cas à part sur l’échiquier politique canadien, Il symbolise l’incapacité des partis politiques nationaux à articuler et présenter une vision du Canada dans laquelle le Québec pourrait trouver sa place. Le dernier sondage Léger Marketing lui accordait 30 % de la faveur des francophones du Québec, et il est en progression constante depuis quinze jours.

Ce sondage, comme d’ailleurs tous les autres, nous indique qu’aucun des trois partis ne fera tellement mieux que d’obtenir le soutien du tiers des électeurs. Cela veut dire que mëme si l’un d’entre eux parvenait par un jeu bien improbable du scrutin à obtenir une majorité de sièges à la Chambre des communes, il se retrouverait en déficit de légitimité pendant toute la durée de son mandat et n’aurait certainement pas l’autorité morale requise pour engager le Canada dans la direction de son seul choix.

Il semble beaucoup plus probable que nous retrouvions de nouveau devant un cas de gouvernement minoritaire comme nous en avons connus dans le passé tant sous les Libéraux que sous les Conservateurs. Mais la différence cette fois-ci tient à la gravité des crises que le Canada devra affronter au cours des prochaines années, que ce soit sur le plan politique ou économique, et à l’absence totale de consensus sur les intérêts nationaux.

Pour prendre l’un des dossiers les plus lourds de conséquence, le directeur parlementaire du budget Kevin Page sonne l’alerte depuis deux ans sur l’étranglement fiscal qui menace les provinces à moyen et à long terme. Une détérioration rapide de la conjoncture économique aurait pour effet de rapprocher cette échéance de toute façon inéluctable.

Bien que menacé, le Québec n’est pas dans la situation la plus mauvaise, un privilège douteux qui échoit désormais à l’Ontario. Dans le cadre des programmes actuels de transfert et de péréquation, c’est l’Alberta qui finance, à même ses revenus pétroliers. On comprend que cette situation n’est pas tenable, et que c’est tout l’échafaudage des rapports entre les provinces et le fédéral qui sera remis en question dans un contexte non pas de prospérité mais d’austérité. Le souque à la corde qui s’ensuivra et qui opposera les régions du pays les unes aux autres et au gouvernement fédéral sera si violent que la solidité du fédéralisme canadien ne pourra pas en sortir autrement que très éprouvée.

Et en plus des problèmes de légitimité que pose toute démarche politique reposant sur une minorité des représentants élus au suffrage universel, le parti politique appelé à former le prochain gouvernement fédéral en aura un autre à gérer. Parce que le gouvernement conservateur a négligé les quelques rares instruments dont il disposait à cette fin, fatigue constitutionnelle obligeant, le Canada ne dispose même plus des instruments et des réflexes nécessaires pour forger des consensus au niveau fédéral.

« La cigale ayant chanté tout l’été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue... ». (Jean de Lafontaine)


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3 commentaires

  • Michel J. Dion Répondre

    5 octobre 2015

    Selon le sondage NANOS de ce matin, au niveau canadien, Trudeau aurait 13 points d'avance sur le NPD, donc la course finale se dessine entre Harper et le PLC, le NPD semble trop loin derrière (le double langage de Mulcair aura eu raison de lui, il a chuté de plus de 20 points au Qc).
    Donc, dans leur acharnement à forcer le vote NPD, QS et les syndicats, ont incité indirectement le ROC à voter contre Mulcair, et on risque fort probablement de se ramasser avec un gouvernement (minoritaire) de Trudeau ou Harper. Mais une chose est certaine, dans un cas ou l'autre, si le Québec veut une part du pouvoir, il faut avoir une délégation de députés bloquistes forte à Ottawa. Alors tous doivent voter pour le Bloc. Le Québec doit avoir sa part du pouvoir !

  • Pierre Cloutier Répondre

    5 octobre 2015

    Très bonne analyse. Félicitations.
    Pierre Cloutier

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    5 octobre 2015

    L'étranglement fiscale comme facteur de dislocation.
    Rapport du Directeur Parlementaire du Budget (DPB) de janvier 2013 ) :

    Le DPB prévoit que la dette du gouvernement fédéral déclinera continuellement, pour s’effacer complètement en 2040 !
    (Compte tenue de l’impact de ces prévisions sur la viabilité même de la fédération, le rapport du DPB émet des recommandations) :
    En raison des importantes interactions entre la politique fédérale et celle d’autres ordres de gouvernement, les RVF (Rapports sur la viabilité financière) de 2011 et 2012 ont élargi la portée de l’analyse de la viabilité pour englober les provinces et les territoires, les administrations locales et les régimes de pension de l’État.

    (...)
    Par conséquent, il invite les parlementaires – individuellement ou par l’intermédiaire de leurs comités – à demander que Finances Canada fournisse les analyses de la viabilité financière des gouvernements provinciaux territoriaux qu’il a préparées.
    Source : http://www.pbo-dpb.gc.ca/files/files/FSR_comparison_2012_FR.pdf#page=5&zoom=auto,0,754
    ...
    L’étranglement fiscal du Québec, une constante du fédéralisme.
    La mise à jour du Bureau du directeur parlementaire du budget de juillet 2015 :
    (extraits du rapport)
    « la dette des administrations infranationales (provinces) n’est pas viable et l’ensemble de ces administrations accuse un écart financier représentant 1,4 % du PIB.Dès 2015,le solde primaire devrait augmenter de l’équivalent de1,4 % du PIB annuellement (28 milliards de dollars en 2015) au-delà des projections de référence. Cela se ferait par l’accroissement des revenus et des transferts provenant du gouvernement fédéral, par la réduction des dépenses de programmes ou par une combinaison des trois,avec pour objectif de revenir à un ratio de la dette nette au PIB de 34,4 % après 75 ans
    (voir la figure 7,1)
    http://www.pbo-dpb.gc.ca/files/files/FSR_2015_FR.pdf
    JCPomerleau