Si la réforme de la carte électorale est passée à la trappe, comme l'indiquent les réactions du PLQ et du PQ, les citoyens ont-ils un recours?
Oui: ils peuvent s'adresser à une cour pour plaider que leur droit de vote, garanti par la Charte, est violé par le découpage électoral. Mais les précédents en la matière nous indiquent que les tribunaux sont très réticents à intervenir.
Le cas classique est celui de la Saskatchewan, tel que le soulignait le DGE, Marcel Blanchet, à mon collègue Denis Lessard. Mais dans cette affaire, la Cour suprême a donné raison à la province, qui venait de concocter une nouvelle carte électorale comportant des écarts considérables entre circonscriptions.
La carte électorale saskatchewanaise de 1981 respectait des écarts de plus ou moins 15% à la moyenne, sauf pour deux circonscriptions du Nord. Sur ordre du gouvernement, une nouvelle carte a néanmoins été confectionnée par une commission électorale à qui on avait imposé plusieurs contraintes, dont celle-ci: il devait y avoir 29 circonscriptions urbaines et 35 rurales. Les écarts allaient jusqu'à 25% de la moyenne, en plus ou en moins.
Un avocat, Roger Carter, s'est adressé aux tribunaux en plaidant que ces écarts étaient une violation de son droit de vote. La Cour d'appel de sa province lui avait donné raison, estimant que la carte électorale doit s'approcher le plus possible de l'idéal de la représentation égale entre citoyens.
Mais à six juges contre trois, la Cour suprême avait cassé ce jugement et déclaré la carte valide. Au critère de la parité du droit de vote, à l'américaine, la Cour suprême a préféré celui du «vote effectif».
Le droit de vote comporte l'idée de la représentation équitable, mais aussi celui d'une possibilité d'accès à son élu. La grandeur des territoires, l'histoire d'une région, les intérêts particuliers, le caractère minoritaire d'une population peuvent être des raisons de former des circonscriptions qui s'écartent du critère mathématique.
Il est évidemment plus difficile d'être député dans une circonscription rurale qu'en ville. D'abord à cause des distances. Ensuite, dit la cour, du fait que les députés en région sont plus sollicités que ceux des villes.
La Cour ajoutait que de toute manière, la parité parfaite est impossible: des gens meurent, d'autres déménagent, la démographie bouge
Donc, s'ils ne sont pas souhaitables, des écarts peuvent être acceptables. Mais ils ne devraient être permis que pour «mieux gouverner l'ensemble de la population, en donnant aux questions régionales et aux facteurs géographiques le poids qu'ils méritent».
Et celle qui a rédigé le jugement majoritaire d'ajouter: «Le mot d'ordre est le pragmatisme plutôt que la conformité à un idéal philosophique.» La juge Beverley McLachlin, maintenant juge en chef, est la seule des neuf à encore siéger à la Cour suprême.
Les trois juges dissidents, eux, estimaient que la carte était inconstitutionnelle parce que la loi n'ordonnait pas à la commission de se laisser guider par le principe de l'égalité du pouvoir électoral des citoyens. En outre, on n'avait pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi on avait changé la carte précédente.
En 1994, par contre, la carte de l'Île-du-Prince-Édouard a été invalidée. Huit circonscriptions avaient des écarts de 40% ou plus et aux deux extrêmes, l'une avait cinq fois plus d'électeurs que l'autre.
On en vient à la conclusion que tant que les circonscriptions ne s'écartent pas de plus ou moins 25% de la moyenne, le gouvernement n'a qu'à faire la preuve de facteurs géographiques ou historiques particuliers.
Mais lorsque cet écart dépasse les 25%, sans que la Cour suprême l'ait dit aussi clairement, on peut présumer que la carte est inconstitutionnelle, à moins de circonstances très particulières. C'est ainsi que les experts analysent le jugement sur la loi de la Saskatchewan et le reste de la jurisprudence.
Mais justement, répétons-le: au Québec, 20 des 125 circonscriptions dépassent cet écart de 25%: en plus en banlieue de Montréal, en moins en région.
Le DGE est donc bien loin d'une bête application mathématique de l'égalité du vote quand il redessine avec soin 86 des 125 circonscriptions, qu'il en fait perdre trois en région et qu'il en ajoute trois dans le 450. Il ne fait qu'appliquer la loi - et respecter la Constitution. Il y aura encore des écarts, sans même parler des deux exceptions, Îles-de-la-Madeleine et Ungava.
Le maquignonnage de coulisses mené par le PQ et le PLQ pour sauvegarder les circonscriptions rurales risque de créer trop d'exceptions, trop loin de la norme. Mario Dumont a le mérite de rejeter clairement l'idée d'augmenter le nombre de députés pour en sauver trois. Mais veut-il appliquer le rapport du DGE? Est-ce trop simple?
Ce qui l'est par contre, c'est que malgré la réticence des tribunaux à s'immiscer dans les calculs de la représentation, il y a une limite au-delà de laquelle le droit de vote est bafoué. Et cette limite, on l'a dépassée.
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