Campagne électorale 2007 - Les journalistes, acteurs politiques

Québec 2007 - Résultats et conséquences



«Rien ne s'est passé comme prévu», écrivait d'entrée de jeu Lysiane Gagnon dans sa chronique du samedi 24 mars 2007 de La Presse, chronique intitulée [«Une campagne débilitante»->5505]. L'affirmation est quelque peu dissimulatrice d'un fait de communication publique: les journalistes ont joué un rôle majeur dans cette prédiction. Il est donc pertinent de la reformuler comme suit par souci de transparence: «Rien ne s'est passé comme les journalistes l'avaient prévu.»
Car, dès le début de la campagne électorale, ceux-ci s'y impliquent directement en définissant un cadre d'interprétation journalistique des faits et gestes des leaders qui leur permet de rapporter ou de commenter les péripéties électorales dont ils rendent compte dans leurs informations. Certes, la chroniqueuse émérite de La Presse ignora superbement cette implication des journalistes dans le cadrage de ce qui s'est passé au début de la campagne électorale et allait se passer par la suite. Pourtant, les présupposés qu'elle énumère également au début de sa chronique correspondent très précisément, à mon avis, aux caractéristiques de ce cadre d'interprétation journalistique. Les voici: «Jean Charest devait s'avérer [un] fougueux campaigner», «André Boisclair devait multiplier les gaffes», «Mario Dumont devait être l'éternel laissé-pour-compte».
Tout au long de la campagne, reporters et chroniqueurs vont aligner leurs informations et leurs commentaires en fonction de ces présupposés, quels que soient les faits et gestes des leaders. Ces derniers vont amplifier ce cadrage en récupérant ces présupposés comme projectiles de leurs attaques réciproques. Reporters et chroniqueurs sont ainsi devenus des alliés objectifs et circonstanciels des leaders politiques.
Osmose
La manifestation de ce phénomène d'osmose journalistico-politique s'est révélée en pleine lumière lorsque la chroniqueuse du Devoir et du Toronto Star Chantal Hébert, invitée de l'émission de voyeurisme culturel Tout le monde en parle de Radio-Canada, a qualifié l'Action démocratique du Québec de «one man show». Dans les heures qui ont suivi et durant quelques jours, le chef du Parti québécois, André Boisclair, a attaqué fréquemment ce parti en le qualifiant ainsi. Lui-même a subi les présupposés journalistiques et politiques du «style hautain», du «bien habillé» et du «manque de jugement», présupposé qui provient d'un propos antérieur de Denise Bombardier tenu durant le téléjournal de TVA le soir de la diffusion de la saynète de Brokeback Mountain.
Toutes sortes de présupposés ont été ruminés autant par les reporters que par les chroniqueurs tout au long de la campagne. Cependant, plus ils étaient attribués à la psychologie personnelle des leaders par la presse, moins ils ont été récupérés par ceux-ci en tant que projectiles à l'égard de leur adversaire. Sans doute pour éviter les attaques trop personnelles qui laissent une impression de coup déloyal et de coup bas auprès du grand public.
L'effet des sondages
Après le débat des chefs, la publication des sondages a brisé quelque peu le cadre initial d'interprétation journalistique. La presse québécoise a décidé de faire exister les leaders de l'ADQ et du PQ pour eux-mêmes en dehors de l'ombre du leader du Parti libéral du Québec. Les trois leaders se sont retrouvés par la suite au même niveau de compétition dans la presse ou presque.
Par exemple, le dimanche 25 mars à 13h7, à l'émission Les Coulisses du pouvoir (SRC), Pierre Duchesne analyse la fin de la campagne et fait référence au débat des chefs: «Boisclair ne s'est pas écrasé et Dumont a monté.» Le présupposé du «Boisclair allant s'écraser» persiste dans le propos du commentateur à quelques heures du scrutin, spécialement parce qu'il voit spontanément du succès chez Dumont mais peu chez Boisclair.
Les reporters, particulièrement, sont devenus des alliés de leur tournée frénétique du week-end de fin de campagne. Et ils sont demeurés des acteurs politiques en participant à la mise en scène de cette frénésie par la construction de l'image qu'ils en ont donnée au public. Jean Lapierre, haletant au micro de TVA par exemple, n'en finissait plus d'annoncer qu'il remontait dans l'autobus pour aller couvrir «l'Autre»: «Stay Tune. On sera là!»
La campagne électorale québécoise 2007 aura vu le retour des journalistes en tant qu'acteurs politiques à la manière des journalistes politiques de la presse de parti d'autrefois. Chaque reporter et chaque chroniqueur aura été un candidat du Parti de la notoriété publique (le PNP). L'un et l'autre aura manoeuvré de manière à sortir gagnant comme tout candidat de cette compétition électorale. Et chacun l'a fait au détriment des leaders démocratiquement représentatifs de courants de pensée de la société québécoise.
À la suite de l'entrée-surprise de Bernard Drainville dans l'équipe du PQ, Chantal Hébert a expliqué dans une de ses chroniques que les journalistes étaient constamment sollicités par les représentants des partis pour faire le saut dans l'arène politique. À la lumière du comportement des journalistes durant la campagne électorale québécoise de 2007, et plus spécialement en regard de son propre comportement lors de l'émission Tout le monde en parle, il faut plutôt conclure qu'ils y sont déjà.
Jacques Rivet, Professeur titulaire, département d'information et de communication, Université Laval


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