Avant d'enterrer la Commission

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor



Difficile de se réjouir quand on voit sourdre la xénophobie devant la commission Bouchard-Taylor. A-t-on fourni, à grands frais, une tribune à tous les intolérants?


Je ne le crois pas. Je ne partage pas le pessimisme de certains de mes collègues sur l'issue de cette aventure. Malgré tous ses défauts, risques et périls.
J'y crois. D'abord par pur volontarisme: j'y crois parce qu'elle existe, et comme elle existe, il faut qu'elle fonctionne. Il est trop tard pour dire qu'elle est inutile. Elle est là. Faut-il l'annuler? Évidemment non. Rien ne nuirait plus aux relations interculturelles, sans parler de la réputation du Québec, qu'un avortement de commission. Tous ceux qui cherchent des preuves d'un problème de racisme spécifiquement québécois, ou de l'impossibilité de s'accommoder, y verraient un argument, sinon une preuve irréfutable de notre immaturité politique.
Nous avons donc une sorte d'obligation morale de résultat.
Mais plus profondément, j'y crois parce que je pense que quand on aura tout entendu, quand on aura fait la part des choses, on trouvera justement beaucoup plus de sagesse collective qu'on ne le pense. Et une capacité, au bout du compte, de gérer les extrêmes - ce que le Québec a plutôt bien accompli historiquement.
Je mets un petit deux là-dessus.
D'ailleurs, il ne se dit pas que des âneries et des impertinences. Il se dit plein de choses tout à fait sensées et nuancées qui, évidemment, ne font pas de très bonnes manchettes.
J'étais de ceux qui estimaient, et qui estiment encore, qu'on a charrié largement sur cette question. Il n'y a pas de véritable crise des accommodements raisonnables au Québec à mon avis, mais des ratés, des bêtises et surtout des exagérations.
Alors une commission d'enquête? Allons donc!
Sauf que dans la chasse médiatique aux accommodements fous, on trouvait tous les deux jours un nouveau cas. Et on tirait dessus. Parfois avec raison. Parfois non.
Jean Charest a commencé par dire qu'il n'y avait rien là, d'arrêter de s'énerver pour une histoire de vitres givrées ou pour des incidents gonflés à l'hélium médiatique. André Boisclair était à peu près du même ton. On va changer de sujet!
Mais on ne changeait pas de sujet. Il y avait un autre cas. Une autre manchette, une autre petite crise.
Et chaque fois, Mario Dumont en rajoutait. Il faut que le gouvernement se tienne debout! Il faut une Constitution du Québec! Il faut dire aux immigrants qu'il y a des règles, ici, et pour tout le monde!
Et au bout de quelques semaines, il a fini par convaincre insidieusement une large partie de l'opinion que le Québec croule sous les accommodements stupides. Et que Jean Charest était trop mou.
Ainsi est né Hérouxville, dans l'ennui de la fin janvier, avec son ineffable «code de vie». Et plein de gens pour le prendre au sérieux, même si cela reste un morceau comique grandiose.
Dumont a été tellement habile qu'il a coupé l'herbe sous le pied du Parti québécois, qui ne sait plus très bien ce que «nous» veut dire.
Et le ballon gonflait, gonflait, en même temps que les intentions de vote pour l'ADQ. Jean Charest cherchait une réponse à la veille des élections. Les accommodements déraisonnables paraissaient le seul obstacle sur le chemin du gouvernement majoritaire. D'où la Commission.
C'est donc en effet largement par opportunisme politique que le premier ministre l'a déclenchée. Mais quelle commission d'enquête n'a pas été créée pour des raisons politiques? Toutes, elles répondent à une préoccupation urgente ou perçue telle par l'opinion publique, à un scandale à différer ou à déterrer ou à repousser, ainsi de suite.
Ça ne veut pas dire qu'elles ne produisent rien de bon. Le mandat de celle-ci est triple: faire un état de la situation (y a-t-il tant de problèmes? Lesquels?), consulter les Québécois et faire des recommandations pour l'avenir, de manière à ce que les accommodements du futur respectent les «valeurs communes» des Québécois.
La commission a commandé des recherches, ce qui est tout à fait normal, pour connaître l'état des lieux et comparer le «cas» québécois avec d'autres démocraties constitutionnelles.
Oh, bien entendu, il se dit et il se dira de vilaines choses. Devant la visite, ça ne fait pas toujours chic. Mais n'allons pas penser que ce sont des réunions de propagandistes haineux. Les propos sont très diversifiés.
Quoi, après avoir reproché à Gérard Bouchard d'être élitiste, craint-on qu'il ne sombre dans le populisme crasse? Je lui fais confiance, à lui et à Charles Taylor, jusqu'à preuve du contraire pour écarter ce qui doit l'être et exprimer sa réprobation.
Rien ne me permet, en tout cas, après seulement une semaine de travaux, de prétendre qu'on assistera à un dérapage terrible. Je parie au contraire qu'on saura trier dans ce fatras d'états d'âme, de mémoires et de recherches de quoi produire un rapport pertinent.
Je ne le déchirerais donc pas avant la rédaction.


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