Autopsie d'un mensonge

Cette erreur politique illustre d'abord et avant tout l'inculture politique du personnel qui entoure le président.

Ces "démocrates" qui méprisent le peuple jusqu'au ridicule.

La vie politique est parsemée de demi-vérités. Dans un monde aussi impitoyable, il n'est pas question de reprocher aux dirigeants politiques de ne pas toujours dire toute la vérité à tout moment. Il y a pourtant une marge entre ne pas dire toute la vérité et mentir effrontément.
La semaine dernière, la presse a établi hors de tout doute que c'est ce que venait de faire Nicolas Sarkozy en affirmant sur son site Facebook qu'il était présent à Berlin le 9 novembre 1989. Ce qui étonne le plus dans cette affaire, ce n'est pas tant ce bobard qu'on aurait pu vite oublier. C'est la façon dont le président, et avec lui une partie de la classe politique française, s'est enfermé dans le mensonge à l'encontre de toute logique.
L'affaire a dû commencer ainsi. Un conseiller en communication demande à Nicolas Sarkozy où il était le 9 novembre 1989. Celui-ci lui répond qu'il ne s'en souvient pas mais qu'il est allé à Berlin casser du mur et qu'il a même une photo pour le prouver. De là à imaginer que le futur président était sur place le jour historique, il n'y avait qu'un pas qui fut franchi d'autant plus allègrement que la chose allait être révélée sur Facebook, un média taillé sur mesure pour alimenter la rumeur.
Cette erreur politique illustre d'abord et avant tout l'inculture politique du personnel qui entoure le président. Pas besoin d'être grand clerc pour savoir qu'il était impossible, même aux plus futés, d'être à Berlin ce jour-là. J'ai rencontré plusieurs dissidents politiques expulsés de RDA et en contact quotidien avec les mouvements d'opposition, qui n'ont pu se rendre à Berlin que le 10 ou le 11 novembre.
La simple chronologie rend la chose impossible. Ce n'est qu'à 18h55, le 9 novembre 1989, que le porte-parole du gouvernement est-allemand, Gunter Schabowski, annonça que, dorénavant, «les déplacements vers des pays étrangers pourront faire l'objet de demandes sans qu'il soit nécessaire de remplir certaines conditions préalables». Schabowski ignorait que la décision devait s'appliquer le lendemain à partir de 4h du matin. Lorsqu'un journaliste lui demanda quand elle entrerait en vigueur, il répondit: «Euh... à ma connaissance... tout de suite... immédiatement.» Cette déclaration était si surprenante qu'il fallut une bonne heure avant qu'elle ne soit reprise dans les médias de l'Ouest et que les foules commencent à se masser aux postes frontières. Il était alors plus de 20h. C'est la pression populaire qui força les douaniers, qui n'avaient reçu aucune instruction et exigeaient toujours des visas, à céder. Les premiers Berlinois de l'Est franchirent le mur vers 23h.
On s'étonne que la toute-puissance présidentielle ait pu forcer des hommes politiques respectables et sensés à avaliser de telles balivernes. Cela illustre «l'effet de cours» qui se manifeste de plus en plus autour de Nicolas Sarkozy. Le premier ministre François Fillon y alla d'une histoire abracadabrantesque selon laquelle il aurait rencontré Sarkozy devant la porte de Brandebourg puisqu'il était à Berlin depuis le 7 novembre. L'ennui, c'est que les minutes de l'Assemblée nationale rapportent une intervention du député en date du 8 novembre. Le premier ministre a dit avoir rencontré à Berlin le journaliste Ulysse Gosset, ce qu'a nié le principal intéressé.
Alain Juppé a dû avaler la couleuvre et affirmer être allé à Berlin avec Sarkozy «le 9 au soir... ou quelques jours plus tard». Pourtant, dans son livre La Tentation de Venise (Grasset), l'ancien premier ministre se souvient d'avoir été à Berlin le 16 novembre. Selon Philippe Martel, alors responsable des relations internationales du RPR, les visiteurs auraient rencontré le maire de Berlin Walter Momper. Une information aussitôt démentie par un ancien attaché de presse, Werner Kolhoff.
La vérité éclatera finalement dans la bouche de Jean-Jacques de Peretti, qui est sur la photo avec Sarkozy. Confronté à une dépêche de l'Agence France-Presse datée du 17 novembre qui mentionne sa présence à Berlin la veille, il a dû reconnaître que, «si l'AFP dit que c'était le 16 novembre, c'est que ça doit être vrai».
Ce mensonge a évidemment soulevé l'ire de la presse allemande. Difficile de ne pas comparer ce mensonge éhonté aux méthodes qu'utilisait le KGB pour réécrire l'histoire. Depuis, Internet est submergé de photos fantaisistes où l'on voit Nicolas Sarkozy signant le traité de Yalta ou l'armistice du 11 novembre 1918.
L'affaire ferait sourire si elle ne manifestait pas l'étrange tendance de ce gouvernement à défendre jusqu'à la limite du raisonnable des positions indéfendables. C'est ce qu'avait fait Sarkozy en soutenant jusqu'à la dernière minute la candidature de son fils à la présidence de l'Établissement public de la Défense. À force de multiplier ces dérapages, la parole présidentielle risque malheureusement de s'affaiblir jusqu'à sombrer dans une sorte de magma sans nom. Le Canard enchaîné ne s'y est pas trompé en titrant «Ich bin ein baratineur!»*
(*) Allusion à la célèbre phrase de John Kennedy: «Ich bin ein Berliner» (Je suis un Berlinois).
crioux@ledevoir.com


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