Après la révision de la carte électorale, le tour de la réforme du mode de scrutin viendra-t-il?

Réforme électorale


Les 14 et 15 septembre prochains, la Commission de l'Assemblée nationale étudiera le rapport révisé de la Commission de la représentation électorale (CRÉ) sur les modifications que cette dernière propose à la carte électorale. Elle en a reçu le mandat de l'Assemblée elle-même le 11 juin dernier peu avant l'ajournement de la session parlementaire. La nouvelle est passée inaperçue dans le brouhaha qui a précédé le départ des députés en vacances.
Ce développement, en apparence anodin, est important car il signifie la reprise et la conclusion probable du processus de révision de la carte électorale entrepris par la CRÉ en mars 2008. Celui-ci a donné lieu, dans les semaines suivantes, à une consultation dans 24 villes où il y a eu plus de 300 interventions. L'aboutissement de cette opération était dans une impasse depuis deux ans (juin 2008), car le gouvernement libéral l'a bloqué depuis en omettant de convoquer la CRÉ devant la Commission de l'Assemblée nationale pour entendre les commentaires des députés qui ne possèdent toutefois pas de pouvoir de décision en cette matière. Cette rencontre constituera la dernière étape à franchir avant l'entrée en vigueur de la carte projetée. On sait que la CRÉ est un organisme indépendant, présidé par le directeur général des élections, qui a été créé par le gouvernement Lévesque en 1979 dans le cadre de son train de mesures de démocratisation des institutions politiques qui comprenait, entre autres, de nouvelles règles sur le financement des partis politiques.
Le gouvernement Charest voulait plutôt chambarder les dispositions relatives à la révision de la carte Ainsi, le ministre Claude Béchard, responsable du dossier, a-t-il déposé, à la fin de l'automne 2009, le projet de loi 78 dont l'adoption aurait signifié de nouvelles règles constituant un net recul par rapport à la loi actuelle issue de la réforme de 1979. Ces dernières, au mépris du principe de l'égalité du vote des électeurs, privilégiant la représentation des régions à faible démographie comme la Gaspésie, le Bas-Saint-Laurentt et l'Abitibi, aux dépens des régions en forte croissance démographique comme celles des couronnes de Montréal (Laval, Laurentides-Lanaudière et Montérégie). Ce projet de loi est encore inscrit au feuilleton de l'Assemblée nationale mais, désormais caduc, il devrait en disparaître lors de la reprise de la session cet automne.
Le projet de loi 78 aurait affaibli le poids politique des régions
Or, ce projet de loi a suscité un tollé quasi généralisé aussi bien chez les associations citoyennes intéressées par la question qu'au sein des trois partis d'opposition à l'Assemblée nationale. Seuls certains leaders régionaux, estimant qu'il préservait le poids politique des régions périphériques, l'ont appuyé.
La CRÉ et le directeur général des élections ont aussi pris carrément position contre le projet de loi 78, lors des auditions en commission parlementaire tenues le printemps dernier, affirmant d'emblée qu'ils croyaient en la valeur intrinsèque de la loi actuelle. Ils ont alors souligné que les règles de délimitation proposées par le gouvernement Charest pourraient déroger au principe de la représentation effective édictée en 1991 par la Cour suprême en 1991. Il pourrait créer en effet dans certaines circonscriptions des écarts à la moyenne provinciale variant de -60% à 35% comparativement au ou -25% actuellement en vigueur dans la loi. Elles pourraient ainsi violer la Charte canadienne des droits et libertés. Actuellement, 25 circonscriptions dépassent cet écart de ou -25% et 14 autres sont sur le point de le dépasser.
Point névralgique, la CRÉ a aussi démontré que, contrairement aux dires du ministre Béchard et aux prétentions des leaders régionaux favorables au projet loi, ce dernier, loin d'augmenter le poids politique des régions périphériques, le diminuerait même à court terme, tendance qui s'accentuerait à long terme. On devrait créer, en effet, de nouvelles circonscriptions dans les zones plus densément peuplées tandis que le nombre de ces dernières n'augmenterait pas dans les régions périphériques. Ainsi, sur la base des données de la liste électorale permanente au 30 novembre 2009, le nombre de députés passerait de 125 à 133. Selon les projections démographiques de la CRÉ ce nombre augmenterait à 134 au cours de 2010, à 135 en 2015 et à 137 en 2020.
Les nouveautés du rapport révisé de la CRÉ
Devant la Commission de l'Assemblée nationale à la mi-septembre, la CRÉ présentera un deuxième rapport préparé suite aux consultations du printemps 2008 révisant le rapport préliminaire présenté en mats de cette année-là. Il a été déposé ce printemps à la Commission parlementaire des institutions mais son contenu, classé confidentiel, n'a pas encore circulé. Nous avons cependant pu en obtenir copie.
On y constate d'abord que la CRÉ maintient la décision, fortement décriée localement, de retrancher une circonscription dans chacune des régions de la Gaspésie, du Bas-Saint-Laurent et de Chaudière-Appalaches et d'en ajouter trois autres dans les couronnes nord et sud de Montréal. Pour répondre aux représentations faites durant la consultation, la proposition révisée comporte plusieurs changements dont un réaménagement important dans la région de l'Estrie-Centre du Québec. Elle comporte aussi cinq circonscriptions en situation d'exception, celles d'Ungava, d'Abitbi-Est, de Gaspé et de René-Lévesque sur la Côte Nord se voyant accorder le même statut que celle des Iles-de-la-Madeleine. La CRÉ soutient que cette proposition révisée permettra à plusieurs régions éloignées de bénéficier d'un plus grand poids politique que ne le prévoit le modèle proposé dans le projet de loi 78.
À quand le tour du mode de scrutin?
Une carte électorale révisée ne suffira pas toutefois à éliminer les carences de représentation sans une réforme en profondeur du mode de scrutin prévoyant l'injection d'une forte dose de proportionnalité. La CRÉ, elle-même, a déjà reconnu qu'il était devenu impossible de rééquilibrer la carte électorale sans modifier le mode de scrutin actuel en y introduisant des éléments de proportionnalité. C'est de toute façon le seul moyen de faire en sorte que chaque vote compte et que la représentation à l'Assemblée nationale des différents partis, aussi bien aux niveaux régional que national, soit équitable. L'exemple de l'élection de 1973, qui est survenue après une révision en profondeur de la carte électorale, est probant à cet égard. C'est l'élection où il y a eu les plus fortes distorsions dans l'histoire du Québec, les partis d'opposition ne faisant élire que 7,3% des députés même s'ils avaient recueilli plus de 45% des votes.
Malheureusement, la réforme du mode de scrutin a donné lieu, depuis la fin des années 60, à une des sagas les plus affligeantes de l'histoire politique québécoise, Rien n'est survenu depuis 40 ans même si,le Parti québécois et le Parti libéral se sont engagés formellement à introduire des éléments de proportionnalité dans le système majoritaire actuel, connu sous le nom d'uninominal à un tour, pour réduire sensiblement les distorsions qu'il entraîne dans la représentation des partis. Ainsi, le programme du Parti québécois a conservé ce point dans son programme de 1969 à 2000 alors qu'il l'a relégué «après l'accession du Québec à la souveraineté». Il s'est même engagé à réaliser cette réforme «dans l'année suivant la prise de pouvoir» dans ses plateformes électorales de 1976 et1994. Après s'être engagé dans le discours inaugural de la session en 2001, René Lévesque a même présenté un projet de loi au Conseil des ministres en 2004. Mais une majorité des députés de son caucus lui ont fait subir une cruelle rebuffade en l'obligeant à l'abandonner.
Les atermoiements du gouvernement Charest à ce chapitre sont encore frais à notre mémoire. En 2004, il a présenté un avant projet de loi prévoyant l'instauration d'un système mixte avec compensation qu'il s'est engagé à faire adopter en 2006. Mais suite aux pressions exercées par des élus municipaux des régions limitrophes notamment il a renvoyé le projet de réforme aux calendes grecques et n'en a même pas parlé depuis quatre ans.
La proposition de Québec solidaire
Québec solidaire a inséré dans son programme, lors de son dernier congrès d'orientation, le projet de réforme qu'il préconise. Le député solidaire de Mercier, Amir Khadir, voulait présenter un projet de loi sur le sujet ce printemps, mais il en a été empêché par l'interdiction faite par le règlement de l'Assemblée générale à un simple député de poser un tel geste en cette matière. C'est frustrant car Québec solidaire aurait été le premier parti dans l'histoire à présenter un projet de loi réformant le mode de scrutin. Le député Khadir a quand même présenté formellement la proposition de son parti devant l'Assemblée le 21 mai dernier.
Québec solidaire propose donc que cette réforme se traduise par l'instauration d'un mode de scrutin mixte (majoritaire-proportionnel) avec compensation au niveau national mais redistribution des sièges parlementaires au niveau régional à partir de listes de candidats également régionales. Il permettrait l'élection de 60% de la députation selon le mode de scrutin actuel (majoritaire uninominal à un tour) et les autres 40% selon les résultats proportionnels obtenus par les différents partis qui auraient recueilli au moins 2% des votes au niveau national.
Les électeurs voteraient deux fois sur le même bulletin : une première selon le mode de scrutin majoritaire actuel pour élire leur député de circonscription. Le candidat ayant obtenu le plus de votes dans chaque circonscription serait alors déclaré élu. Le second vote permettrait d'élire à la proportionnelle les députés assurant la compensation, c'est-à-dire la correction des distorsions entre les partis causés par le scrutin majoritaire. Cette élection se ferait à partir de listes de candidats établies par les partis.
Quant à la compensation, elle serait calculée au niveau nation avec redistribution des sièges au niveau régionale selon une formule validée dans le rapport du Directeur général des élections du Québec (DGEQ) sur les modalités d'un mode de scrutin mixte compensatoire présenté en décembre 2007. Il s'agit du système de compensation utilisé par l'Allemagne fédérale depuis 1948.
Il s'agit d'une forme hybride de compensation nationale et de compensation régionale. Cette dernière devrait satisfaire les citoyens et les élus des régions puisqu'elle confère une appartenance régionale aux députés de listes. Elle devrait aussi rassurer les tenants de la compensation nationale parce qu'elle produirait des résultats aussi proportionnels que la formule qu'ils favorisent. La vérité de cette assertion est confirmée par les simulations statistiques effectuées par les experts qui ont préparé le rapport du DGEQ.
***
Paul Cliche, auteur du livre «Pour réduire le déficit démocratique au Québec : le scrutin proportionnel»
L'auteur est membre de Québec solidaire ainsi que du Mouvement pour une démocratie nouvelle. Il a aussi été fort actif au sein de la Coalition pour un Québec des régions. Il s'exprime ici à titre personnel.

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Membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle et auteur du livre Pour une réduction du déficit démocratique: le scrutin proportionnel ; membre de Québec Solidaire; membre d’ATTAC Québec; membre à vie de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal.





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