Des distilleurs qui fabriquent des spiritueux 100 % québécois se réjouissent que la Société des alcools du Québec distinguera désormais leurs produits de ceux qui ne sont pas entièrement locaux.
Très peu de spiritueux québécois contiennent réellement de l’alcool provenant d’ici. En fait, la grande majorité de ceux vendus à la Société des alcools du Québec (SAQ) est produite à partir d’une base d’alcool neutre achetée en Ontario.
C’est le cas, entre autres, de la PUR Vodka, des produits de Spiritueux Ungava et du gin Piger Henricus de la microdistillerie Les Subversifs.
Cette option permet aux distilleurs de réaliser d’importantes économies. À titre de comparaison, l’alcool neutre distillé de manière industrielle par le géant ontarien Greenfield se vend environ 4 $ le litre, alors que produire la même quantité d’alcool de façon artisanale peut coûter jusqu’à 18 $.
Quelques rares producteurs font tout de même le choix de créer leur alcool à partir de grains québécois. Mais depuis 2014, ils n’en retiraient aucun avantage promotionnel à la SAQ, puisque la société d’État regroupait tous les spiritueux embouteillés ici sous l’appellation « Origine Québec ».
En plein essor
D’ici l’été prochain, cette situation sera du passé puisque cette bannière sera dorénavant réservée aux spiritueux contenant une majorité d’ingrédients du Québec. Les produits faits avec l’alcool distillé dans la province voisine seront donc présentés comme canadiens, et non québécois.
« On est très contents de ça, se réjouit Éric Lafrance, président de l’Association des distilleries artisanales du Québec (ADAQ). Parce qu’actuellement, on peut acheter un whisky étranger qui a été embouteillé ici et qui est vendu comme un produit de chez nous. Ce n’est pas normal. »
Stéphane Denis, directeur de comptes à la SAQ, explique que l’industrie des spiritueux est en plein essor au Québec. La société d’État a donc dû s’adapter aux nouvelles tendances du marché.
« Les choses ont énormément changé dans les dernières années, constate M. Denis. En ce moment, on essaie de raffiner notre définition de ce qu’est un spiritueux du Québec. »
Confusion
« On aimerait créer un entre-deux, entre “Origine Québec” et “produits canadiens”. On travaille là-dessus avec l’industrie », ajoute-t-il.
Il y a à peine un an, aucune distillerie québécoise ne produisait elle-même ses bases. La microdistillerie urbaine Cirka a été la première à offrir un gin et une vodka faits entièrement ici, de la cuisson des céréales à la distillation.
« On voulait contrôler le processus de A à Z, et on trouve que la qualité des matières premières fait toute la différence dans la qualité du produit final », mentionne JoAnne Gaudreau, un des trois associés de Cirka.
Mme Gaudreau se dit satisfaite du changement apporté à l’appellation « Origine Québec ».
« Quand on dit que certains produits sont d’ici alors que ce n’est pas le cas, ça crée de la confusion », souligne-t-elle.
Un « faux débat » ridicule, disent certains distilleurs
PHOTO COURTOISIE
Désormais, l’appellation « Origine Québec » sera réservée à ce type de produit.
Plusieurs distilleurs qui utilisent l’alcool neutre de l’Ontario dans leurs produits estiment que le débat entourant l’appellation « Origine Québec » est inutile et ridicule.
« C’est comme si on disait que le fromage de chèvre produit à Charlevoix n’est pas québécois parce que la chèvre est née aux États-Unis ! » illustre Nicolas Duvernois, pdg de PUR Vodka.
« C’est un faux débat, parce qu’il doit y avoir deux ou trois producteurs au Québec qui font de la culture du grain et qui l’utilisent pour la distillation, ajoute-t-il. C’est une minorité qui fait ça pour une soi-disant pureté, alors qu’en réalité, ça ne change rien. »
Des « frustrés »
M. Duvernois considère que la bataille qu’ont menée certains distilleurs pour faire modifier les critères de l’appellation « Origine Québec » est une perte de temps.
« Tout ça, c’est pour quelques producteurs qui sont frustrés parce qu’ils ne vendent pas, lance-t-il. Moi, j’étais le premier à faire une vodka au Québec, et je n’aurais jamais réussi si j’avais perdu mon temps comme ça. »
François Pouliot, propriétaire du Domaine Neige, explique que l’alcool neutre utilisé par la plupart des producteurs de spiritueux n’a pas de goût ni de caractère, par définition.
« Donc, même s’il est acheté en Ontario, ça n’a aucun impact sur le produit final, soutient-il. C’est une matière première, et c’est ce que tu fais avec qui fait ton produit, selon moi. Ça reste des produits québécois même si la matière première n’est pas d’ici. »
Et la bière ?
Stéphan Ruffo, président de l’Association des microdistilleries du Québec (AMDQ), souligne que si les spiritueux contenant de l’alcool ontarien ne sont plus considérés comme québécois, aucune bière produite au Québec ne pourra plus l’être.
« Les bières québécoises sont généralement faites à partir d’un grain qui ne vient pas du Québec, indique-t-il. Alors est-ce qu’on arrête de considérer ces bières-là comme québécoises ? »
De son côté, le copropriétaire de la Distillerie du Fjord, Jean-Philippe Bouchard, dit comprendre que les distilleurs qui fabriquent des produits 100 % québécois souhaitent se distinguer des autres sur les tablettes.
« On comprend qu’ils veulent faire reconnaître ça, mais en même temps, il ne faut pas oublier que notre industrie est très compétitive, et que c’est pour une question purement économique qu’on utilise l’alcool neutre de l’Ontario, rappelle-t-il. Si on est une petite entreprise et qu’on veut être viable, on n’a pas trop le choix. »