Aimons-nous notre langue ?

Enseignement intensif de l'anglais en 6e année


Jean Piuze - Québec - Je suis né à Québec, une ville où l'on entend très peu d'anglais. J'y ai fait toutes mes études (primaire, cours classique, qui correspond au secondaire et au collégial d'aujourd'hui, et université) en français; il en fut de même pour mon frère. En matière d'anglais, nous n'avons suivi que les cours de cette langue dispensés dans les réseaux scolaires francophones des années 50 et 60. La qualité du français était importante pour nos parents et, même s'ils étaient tous deux des francophones bilingues, jamais ils ne nous parlaient en anglais à la maison. Nous ne sommes pas allés non plus dans des camps anglophones l'été.
Eh bien, malgré tout cet environnement très francophone, à 20 ans, mon frère et moi parlions un anglais de qualité, qui nous aurait permis d'aller travailler n'importe où en Amérique du Nord si nous l'avions souhaité. Tout ceci pour illustrer qu'il est absolument fallacieux de prétendre qu'il faille truffer d'anglais les programmes du primaire et du secondaire, ou faire ses études collégiales en anglais, pour bien apprendre cette langue et avoir ainsi de meilleures chances de réussir dans la vie.
Comment alors apprendre l'anglais? Comparativement au français, l'anglais courant, qui a une grammaire simple, est relativement facile à apprendre, avec quelques efforts pour maîtriser son orthographe et sa prononciation parfois rébarbatives. L'école québécoise francophone a toujours donné à ses élèves les éléments de base en grammaire et en orthographe anglaises, et elle devrait poursuivre dans cette voie.
Pour le reste, apprendre l'anglais découle avant tout de la volonté et des efforts de pratique de chacun. Par une écoute régulière de télévision et de musique en anglais, la lecture de livres et de bandes dessinées dans la langue de Shakespeare et des voyages à l'occasion en pays anglophone, voilà essentiellement comment mon frère et moi sommes devenus bilingues.
C'était pourtant une époque où il n'y avait pas comme aujourd'hui des centaines de canaux de télévision accessibles, Internet et ses ramifications quasi illimitées, les réseaux sociaux, une explosion de films, de vidéos et de chansons, des occasions innombrables de voyager à travers le monde à bas prix, et cette globalisation extraordinaire des communications, où l'anglais règne en roi et maître. Franchement, il faut presque le faire exprès de nos jours pour ne pas apprendre l'anglais par osmose! Et par surcroît, si on demeure dans la région de Montréal ou de Gatineau par exemple, l'immersion est presque constante.
Le français est le véhicule de notre culture québécoise, tandis que l'anglais est le véhicule de la culture populaire mondialisée. Aussi, est-il inquiétant de constater que le gouvernement du Québec
non seulement agit si peu pour l'amélioration, la promotion et la protection du français, mais qu'il annonce maintenant une mesure scolaire importante d'intensification de l'apprentissage de l'anglais à l'école primaire.
C'est le français des francophones québécois qui est malade, pas leur anglais. La qualité générale du français parlé et écrit actuel est très préoccupante, alors que les anglicismes, tant de vocabulaire que de syntaxe, s'accumulent à grande vitesse dans notre langue en cette ère de la Toile. Ce semestre d'anglais intensif
en sixième année, annoncé par le premier ministre, nous en avons désespérément besoin... pour le français! Et ce, afin de nous assurer que les élèves ne quitteront pas le primaire sans avoir saisi et intégré les règles de l'accord du participe passé, ou encore la distinction entre «ces» ou «ses»...
Ces apprentissages ne sont pas difficiles, et nos élèves sont intelligents, mais il faut y mettre le temps nécessaire. Nous avons besoin de cette demi-année scolaire en français pour en arriver un jour à ne plus entendre des étudiants francophones à l'université se plaindre que le test de français (leur langue maternelle!) obligatoire y est trop difficile. Si nous ne faisons pas les bons choix en matière de langue, c'est notre culture même qui sera menacée de disparition au XXIe siècle.
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Jean Piuze - Québec


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