Le président Viktor Ianoukovitch et l'opposition ukrainienne ont signé vendredi un accord de sortie de crise prévoyant d'importantes concessions du pouvoir, mais qui pourraient apparaître insuffisantes au lendemain du bain de sang qui a endeuillé Kiev.
Signé vendredi au palais présidentiel en présence des médiateurs européens, l'accord prévoit notamment une élection présidentielle anticipée, la formation d'un gouvernement de coalition et un retour à la Constitution de 2004, lequel a été immédiatement voté dans la foulée par le Parlement ukrainien, la Rada.
Il survient après des affrontements qui ont fait près de 80 morts depuis mardi à Kiev, un niveau de violence inédit pour ce jeune pays issu de l'ex-Union soviétique. La crise, qui a duré trois mois jour pour jour, a métamorphosé le centre-ville en quasi-zone de guerre, hérissée de barricades et de tentes pour les protestataires.
Sur l'emblématique place Maïdan, au coeur de la capitale ukrainienne, les premières réactions recueillies par l'AFP étaient mitigées et donnaient l'impression que les concessions annoncées par M. Ianoukovitch étaient perçues comme à la fois tardives, insuffisantes et sujettes à caution.
Petro Nazapo, un cinquantenaire de Lviv (ouest), a déclaré «se préparer pour une nouvelle attaque», affûtant au couteau un pied de table. «Je ne sais pas si nous avons été trahis ou pas», a-t-il relevé, ajoutant: «Nous ne partirons que lorsque nous aurons gagné».
«Les gens disent qu'ils ne quitteront pas Maïdan tant que Ianoukovitch ne sera pas parti», a jugé de son côté Oleg Bukoyenko, un habitant de Kiev de 34 ans. «Des élections en décembre ne suffisent pas, il faut qu'il parte maintenant. Sinon il pourrait finir comme Kadhafi ou Ceausescu», a-t-il ajouté, évoquant les «crimes» commis, selon lui, par le président.
«Je ne crois pas qu'il s'agisse de la décision de Ianoukovitch, cela lui a été imposé par les Européens. On ne peut pas lui faire confiance: il dit une chose et en fait une autre», a-t-il conclu.
Des dizaines de milliers de personnes continuaient d'occuper la place ce vendredi dans une atmosphère cependant nettement moins tendue que la veille, certains manifestants se prenant en photo ou allumant des feux d'artifice.
«Passer des paroles aux actes»
La prudence était aussi de mise du côté des responsables européens, pourtant principaux artisans du compromis après une journée et une nuit entière de négociations par les ministres des affaires étrangères polonais, allemand et français à Kiev.
«Il est désormais de la responsabilité de toutes les parties d'être courageux et de passer des paroles aux actes», a réagi le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy.
Le premier ministre britannique David Cameron a vu dans l'accord «une chance réelle de mettre fin à l'effusion de sang». Le président français François Hollande a, lui, «salué» l'accord insistant sur sa mise en oeuvre en «intégralité et dans les meilleurs délais».
Les Européens et Américains avaient fait monter la pression sur le régime de M. Ianoukovitch tout au long de la semaine en décidant de priver de visas et de geler les avoirs de responsables ukrainiens et en menaçant de sanctions supplémentaires.
L'Ukraine se trouve actuellement au bord de la faillite, et la Russie a promis l'octroi d'un crédit de 15 milliards de dollars et un important rabais du prix du gaz.
L'annonce de la suspension des négociations sur un accord d'association avec l'Union européenne, au profit d'une relance des relations économiques avec Moscou, avait conduit le 21 novembre des milliers de personnes à descendre dans la rue.
L'accord de vendredi a été signé par les trois principaux dirigeants de l'opposition ukrainienne, Vitali Klitschko, Arseni Iatseniouk et Oleg Tiagnibok, de même que par les ministres des Affaires étrangères allemand Frank-Walter Steinmeier et polonais Radoslaw Sikorski, a constaté l'AFP. Le représentant de la Russie, en revanche, n'a pas signé.
L'opposition, représentée par le «Conseil du Maïdan», avait donné son feu vert à l'accord à condition que l'actuel ministre de l'Intérieur Vitali Zakhartchenko ne fasse pas partie du prochain gouvernement et que le procureur général Viktor Pchonka ne conserve pas ses fonctions, selon Oleg Tiagnibok. Ces deux hommes sont mis en cause pour leur rôle dans la répression policière et judiciaire contre les manifestants en Ukraine.
Sa signature a été immédiatement suivie par l'adoption à une large majorité (386 députés sur 450) au parlement ukrainien, la Rada, d'un retour à la Constitution de 2004, qui accordait au président des pouvoirs moins importants que la Constitution actuelle.
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