« Le commandant ne peut pas vous parler, il est au front pour l’instant », me répond-on à quelques reprises, alors que je tente d’entrer en contact avec Hrulf, le Québécois à la tête de la Brigade normande.
Je réussis finalement à joindre le militaire sur une application de messagerie cryptée. Il accepte de s’entretenir avec moi à condition de ne pas révéler son identité ni l'endroit où il se trouve. Il y a une petite accalmie en ce moment, mais ça brassait la nuit dernière et cet après-midi
, dit-il pour expliquer nos problèmes de communication.
Ce vétéran des Forces armées canadiennes a fait le voyage vers l’Ukraine dès le début de l’invasion russe. Il dirige aujourd’hui un groupe d’anciens militaires venus du Canada, des États-Unis et d’Europe qui combattent aux côtés de l’armée ukrainienne. Hrulf a baptisé sa brigade en l'honneur des ancêtres français de certains Québécois qui en font partie.
Il décrit ce qu’il vit depuis deux mois comme un enfer sur terre.
« Quand les Russes s’y mettent, ils nous bombardent avec tout ce qu’ils ont. C’est un miracle que je n’aie pas perdu d’hommes jusqu’à maintenant. »
Si certains éléments de la brigade ont des origines ukrainiennes, tous sont là pour défendre des valeurs auxquelles ils croient, avance Hrulf. Ce n’est pas une guerre propre. On est là pour arrêter un génocide, mais aussi pour donner une chance aux Ukrainiens d’avoir la liberté qu’ils souhaitent. Les Russes ne sont pas du bon côté de l’histoire.
Le vétéran explique que tous les membres de la brigade combattent bénévolement et sont intégrés à un bataillon de la branche volontaire de l’armée ukrainienne. Ils relèvent donc directement du ministère de la Défense. C’est la seule façon de ne pas imposer un contrat à mes gars, dit-il. On n’est pas des mercenaires. Un combattant peut rester un mois seulement s’il le veut.
Hrulf ne cache pas qu'il y a eu de la bisbille au sein de ses troupes depuis le début de sa présence en Ukraine. D’anciens membres de la brigade ont d’ailleurs remis en question son leadership cette semaine dans un article de La Presse. (Nouvelle fenêtre) Ils lui reprochaient notamment d’avoir négligé de fournir l’équipement de protection nécessaire à ses hommes.
Le commandant admet avoir redirigé une soixantaine de combattants vers d’autres unités. Mais il martèle qu’il n’a jamais lésiné sur la sécurité. Tous avaient des casques et des plaques balistiques
, dit-il.
Baptême de feu russe
Au début du conflit, Hrulf ses hommes ont été invités à participer à une séance d’information par l’armée ukrainienne. Ils se sont plutôt retrouvés à reprendre un village alors aux mains des Russes, sous une pluie d’obus.
Malgré la surprise pour les expatriés, l’assaut s’est soldé par un succès. Radio-Canada n'a pas été en mesure de vérifier de manière indépendante ces faits d'armes.
« Je crois que les Ukrainiens voulaient nous tester. Mais j’estime qu’on a réussi parce que je ne suis pas mort et je n’ai pas perdu de gars. »
Mais ils n’étaient pas au bout de leurs peines. Le lendemain, les Russes sont revenus, avec le double des effectifs. Ils ont pris des prisonniers et toute la population civile qui nous avait aidés a été déportée, raconte le commandant. On assiste à une assimilation forcée.
Hrulf estime que sa brigade offre une certaine expérience qui fait défaut chez certains combattants volontaires ukrainiens des autres unités. On leur donne notamment de la formation sur le terrain aux niveaux tactique et stratégique. Mais il y a encore beaucoup de travail à faire, convient-il. Il y a de nombreuses pertes chez les nouveaux venus.
Le vétéran observe que l’héritage soviétique est encore bien présent chez les troupes ukrainiennes. Toutefois, la formation dont a bénéficié l’armée ukrainienne auprès des troupes de l’OTAN a porté fruit. Depuis 2015, le Canada a contribué à former 33 346 militaires dans le cadre de l’opération Unifier, selon le ministère de la Défense nationale. Le coût de ce programme s’élève à plus de 890 millions de dollars.
Avant, tu ne pouvais pas aller aux toilettes sans l’accord du général. Les Occidentaux ont fait un très bon travail pour décentraliser le commandement pour permettre aux équipes de prendre des initiatives tactiques sur le terrain. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les Russes ont perdu des généraux, qui doivent se rendre sur la ligne de front s’il y a un problème. C’est corrompu et tout le monde a peur de faire une erreur.
Si le commandant est reconnaissant des pays qui envoient de l’armement pour soutenir l’effort de guerre, sur le terrain, il manque encore cruellement de matériel pour les combattants volontaires.
On a besoin de rails Picatinny pour les AK-47 et des optiques, déplore-t-il. C’est très difficile à trouver. La priorité est pour l’armée ukrainienne et on prend ce qu’il reste.
La Brigade tente aujourd'hui de se financer en vendant des tasses et des vêtements. Mais ce n’est pas ça qui va nous permettre d’acheter des véhicules
, ajoute Hrulf.
Prêts à tout
En pleine entrevue, le commandant se met à apostropher un de ses soldats. Il y a un drone? Éteins ta lumière et rentre, putain!
, crie-t-il, alors qu’un engin Orlan-10 les survole.
Hrulf reprend ensuite la discussion comme si de rien n’était.
Il s’attend maintenant à une plus grande offensive des Russes dans la région du Donbass. On a un plan et on patiente. On a des instructions à suivre. On ne peut pas faire ce qu’on veut.
À savoir si les Ukrainiens ont des chances de sortir victorieux de cette bataille, le Québécois est confiant. Même si c’est une confiance aveugle ou naïve, tout le monde est extrêmement motivé. L’inquiétude se fait sentir quand on se fait bombarder. Les blessures sont horribles. Mais les Ukrainiens sont prêts à tout pour défendre leur terre. Si j’étais un Russe, j’y penserais deux fois avant de venir.
Pour ce qui est de la Brigade normande, elle est là pour longtemps, même si le conflit s'enlise, selon Hrulf. Pour ma part, tant qu’on va être utiles, je vais rester. Mais à un moment donné, après deux ou trois ans de guerre, je vais passer le flambeau.