Réflexion sur Adrien Arcand

Accélérer l'histoire

Ce que valent les partis en démocratie

G-8, G-20 - juin 2010 - manifestations et dérives policières


À la parution du livre « Adrien Arcand, führer canadien », je me
suis dit : « Une autre historiette remplie d'anecdotes ». Surprise. Il
s'avère que le livre est aussi prétexte à montrer comment des Chartrand,
des Marchand ou des Trudeau n'ont pas appris tout d'un coup à faire
l'histoire, mais y sont allés d'essais et d'erreurs. Ce qui est évident
aussi, c'est qu'ils ne l'ont pas fait enfermés dans un laboratoire à
l'extérieur de la société.
À la suite d'un compte rendu alternatif (le père d'Arcand était un militant
ouvrier) dans le Monde ouvrier, le journal de la FTQ, je me suis laissé
aller à la réflexion. La conclusion saute aux yeux que personne ne peut
prétendre être immunisé contre les idées de droite ou conservatrices. Même
les plus fervent-e-s peuvent changer de camp un jour ou l'autre. Mais
encore.
Quels moyens sont à la disposition de ceux qui veulent donner un coup de
barre à l'histoire de manière à ce qu'elle prenne un « cours nouveau » ? Il
viendra à l'esprit de plusieurs que la politique peut en être l'instrument.
Oui bien sûr, mais quelle politique ? Ceux qui ont tenté de percer les
mystères de l'histoire politique ont cru y déceler certaines lois.
Évidemment, il ne s'agit pas de la mécanique implacable qui apparaît à
certaines époques et qui broie les hommes et les femmes qui ont cru se
servir de ces lois. Ces moments sont rares et ceux qui les appellent ne
peuvent encore nous dire quel en serait le bilan. Il reste cependant qu'il
y a des leçons à tirer.
Dans les outils à la disposition de ceux et celles qui entendent changer le
monde, il y a les partis et les groupes d'affinité. Sans ces moyens, la
créativité de la démocratie délibérative a peu de poids et les
individu-e-s, laissé-e-s à eux-elles-mêmes, occupent une place bien
modeste. Quoique l'histoire de Chartrand, qui est loin d'être mort inconnu,
montre que les natures fortes peuvent s'en accommoder. Encore faut-il
préciser qu'il appartenait à un syndicat que l'on peut voir comme un groupe
d'affinité ou de contre-pouvoir. Il agissait sous le regard critique des
autres au sein d'une certaine communauté de vue.
Les partis, oui, mais la question restera du choix des moyens : quel parti
?

C'est là, à mon avis, que surgissent les valeurs, les choix de société, les
goûts ou les couleurs qui font de nous des acteur-trice-s sociaux au
service d'une cause plus grande que nous ou d'une orientation que nous
voulons voir prendre par la société.
Les différentes démarcations qui sont apparues au XX ième siècle imprègnent
encore de leur histoire le monde contemporain. Ainsi, un éditorialiste
anglophone a comparé la guerre en Afghanistan à la Guerre d'Espagne. Est-ce
à dire que nous devrions mobiliser des Brigades pour les envoyer combattre
« l'islamo-fascisme » ? Déjà, il y a beaucoup d'agences militaires privées
qui y sont impliquées contre rémunération. Est-ce vraiment ce qu'on appelle
combattre pour une cause ? N'est-ce pas une entreprise de l'argent pour
l'argent ? On le voit, les choix qui se présentent à nous sont empreints de
ce que l'histoire politique nous a légué.
Mais dans la réflexion qui nous amène à ces choix, ne faut-il pas oser
penser par soi-même et tirer des leçons de l'histoire qui ne soient pas
celles des idées dominantes ? Car celles-ci vont encore dans le sens du
statu quo et notre volonté d'accélérer l'histoire pourrait bien être celle
de la réaction. Même du retour en arrière ou de la stagnation. Cette
dernière situation étant pratiquement impossible compte-tenu des différents
acteur-trice-s qui s'engagent dans un camp ou dans l'autre, dans celui du
changement progressiste ou dans le retour à un état antérieur des choses.
La dialectique démocratique veut qu'il y ait donc partage des camps selon
les partis et les valeurs qu'ils sous-tendent. C'est ainsi qu'à partir de
notre volonté d'accélérer l'histoire, il y aura différentes alternatives,
différents choix. Il semble que Chartrand, Marchand ou Trudeau aient été
tentés au début par le pire, mais soient revenus, à l'expérience, aux
valeurs démocratiques. Comme ceux qui maintenant, n'ayant pas
nécessairement emprunté cette route tortueuse, se dévouent à la promotion
de la proportionnelle.
Le motif d'accélérer l'histoire peut donc être dévoyé, comme le XX ième
siècle nous l'apprend, vers un retour avant les Lumières, vers un type
d'obscurantisme que l'on croyait enterré par l'histoire, justement.
Cela m'amène à penser que la fragile démocratie peut porter en son sein
les forces d'un retour en arrière, d'une restauration du passé. C'est
pendant la période démocratique précédant la guerre qu'ont été recueillis
en Allemagne tous les renseignements qui ont facilité l'éradication de
l'opposition sous Hitler.
Peut-on se fier à une volonté d'accélérer l'histoire qui se retournerait
contre ses acteur-trice-s les plus ardent-e-s ? La question est pertinente
dans le contexte où ces acteur-trice-s de changement se multiplient avec la
vague altermondialiste et la popularité des engagements libertaires. En
même temps on voit poindre chez les dirigeants une volonté politique de
s'enfermer dans des forteresses policières pour débattre et trancher sur le
sort d'une humanité dont nous faisons tou-te-s partie. Ces décideurs, comme
on les appelle, laissent toujours aux appareils de répression le rôle
d'endiguer le développement de forces démocratiques nouvelles qui font du
vieux monde une caricature de ce que nous a légué l'histoire politique du
XX ième siècle.
C'est sur le retour en arrière possible de l'histoire que je voulais
attirer l'attention. Si les choix politiques se font en faveur du statu quo
et du repli sur soi plutôt que du changement à grande échelle et à la
profondeur que demandent les graves périls pour l'humanité, nous
connaîtrons des heures sombres. Il n'est pas dit que cela soit inévitable.
Et l'histoire pourrait bien s'accélérer à contre sens si on ne veille pas
au grain.
Guy Roy


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