Entre Ubu et Kafka

À quoi sert un drapeau au Parlement ?

Ce serait drôle si ce n’était pas si triste !

Le vote sur la présence du drapeau canadien à l'Assemblée nationale n’a pas eu lieu le 28 novembre, tel qu’annoncé par le président la semaine précédente. D’après Jean-Marc Salvet (http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/politique/201211/28/01-4598770-drapeau-canadien-a-lassemblee-nationale-encore-un-bras-de-fer.php): il y a un os : le gouvernement Marois veut que les partis exposent leurs positions sur le sujet mais l’Opposition officielle veut voter sans aucun débat.
Comme le disait mon ancien prof de chimie en distribuant les notes misérables à certains étudiants : « Ce serait drôle si ce n’était pas si triste ! ». Les libéraux déchiraient leurs chemises il y a quelques jours à peine parce que l’absence de l’unifolié au Salon rouge serait « un déni de notre pays » (Le Soleil, 17 novembre) et un mépris de la démocratie, mais ce « terrible » affront ne semble pas mériter d’explications devant le Parlement. Le fin fond de l’affaire est qu’un débat démontrerait la vacuité de leur position qui est strictement politique et tactique alors que celle du gouvernement Marois repose sur une approche juridique et rationnelle de la question.
Patrice de la Brosse, qui a été responsable du pavoisement pour le gouvernement du Québec, a exposé très clairement cette approche dans Le Soleil du 26 septembre 2012 (http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/points-de-vue/201209/24/01-4577075-quelle-guerre-de-drapeaux-.php), bien avant que la « crise » actuelle n’éclate. « Dans les administrations gouvernementales, écrivait-il, le pavoisement est un geste hautement significatif et ne doit laisser aucune place à la subjectivité. […] il existe cependant des lois, des normes et des façons de faire reconnues internationalement ». Quel drapeau déployer? Réponse de l’expert : « Celui qui représente l'État, l'autorité ou l'administration qui s'exprime (par exemple, on ne verra pas de drapeau du Québec à l'entrée d'un parc fédéral, uniquement l'unifolié) ». Il est donc absolument clair que le drapeau du Québec doit prendre place seul dans les salles où siègent l’Assemblée nationale et ses commissions. Y installer un autre drapeau ne peut qu’engendrer la confusion et l’ambiguïté : on signalerait qu’il s’y trouve une autre autorité.
« Le retour du drapeau canadien au Salon rouge, poursuit monsieur de la Brosse, a été imposé en 2003 par le cabinet du nouveau premier ministre, sans justification aucune. Ce geste n'avait qu'une logique de nature politique. En effet, si cela avait été objectivement justifié, on aurait placé le drapeau du Canada dans deux autres places d'honneur dans l'édifice où loge l'Assemblée nationale: sur le toit de l'Hôtel du Parlement, et surtout dans la Salle de l'Assemblée nationale (le « Salon bleu », où siègent les députés). On peut supposer qu'une telle décision aurait soulevé quelques questions... »
Peut-on retirer un drapeau? « Oui, répond de la Brosse, mais... il s'agit d'une opération aussi lourde de signification que le fait d'installer un drapeau. Cependant, on peut se le permettre lorsque ce retrait veut rectifier un pavoisement afin de le rendre conforme aux us et coutumes reconnus au Québec comme ailleurs. […] La décision appartient à l'autorité responsable du lieu, vraisemblablement le Bureau de l'Assemblée nationale et il s'agira d'un geste administratif qui n'a rien à voir avec tel ou tel parti ou telle ou telle tendance fédéraliste, autonomiste ou souverainiste ».
Patrice de la Brosse voit juste quand il évoque le Bureau de l’Assemblée nationale. En décembre 1984, un député demandait au président si le drapeau canadien serait hissé à l’un des mâts réservés au drapeau des pays étrangers dont une délégation est en visite à l’Assemblée nationale. Le président décida (comme le fera un de ses successeurs en mai 1990) que le Bureau de l’Assemblée nationale était compétent en la matière (JD, 6 décembre 1984, p. 1437). Le Bureau avait d’ailleurs émis une directive sur les drapeaux en août 1984, directive qui sera remplacée en décembre 2005 (décision 1289) par le Règlement sur le pavoisement des édifices de l'Assemblée nationale.
Ce règlement du Bureau traite du pavoisement extérieur (dont la mise en berne) et lors des visites officielles. Il n’est pas spécifiquement question de la présence des drapeaux dans les salles de délibérations mais, lorsqu’un député du Parti Égalité demanda, en 1991, que le drapeau du Canada prenne place à l’Assemblée nationale du Québec, l’Assemblée majoritairement libérale décida que ce serait fait « aux occasions que détermine, selon le cas, le Bureau de l’Assemblée nationale » (JD, 1er mai 1991).
Pourquoi alors le Bureau est-il tenu sur la touche en 2012 ? C’est pourtant à cette instance que les questions de pavoisement ont été référées depuis plus de 25 ans, sauf les « décisions » prises par le gouvernement Bourassa en 1985, le gouvernement Parizeau en 1994 et le gouvernement Charest en 2003 ?
Présidé par le président de l’Assemblée, le Bureau comprend cinq députés ministériels et quatre de l’opposition (art. 87 et 88). Le gouvernement Marois y a donc une « majorité »… tant que le président Chagnon ne vote pas et, supposant qu’il vote avec « son » parti (envers et contre les principes exposés par M. de la Brosse ci-dessus), il y aurait une égalité des voix qu’il pourrait départager avec son vote prépondérant (art. 97).
En d’autres mots, en suggérant à l’Assemblée de se prononcer sur la présence du drapeau canadien à la Salle du Conseil législatif, le président de l’Assemblée nationale peut esquiver la situation délicate dans laquelle il se trouverait si cette question était soumise au Bureau, ce qui l’obligerait à se prononcer officiellement, en tant que défenseur des privilèges du Parlement québécois, sur la question de fond : à quoi sert un drapeau ?

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Gaston Deschênes32 articles

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13 commentaires

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    6 décembre 2012

    «... Les libéraux déchiraient leurs chemises il y a quelques jours à peine parce que l’absence de l’unifolié au Salon rouge serait « un déni de notre pays » (Le Soleil, 17 novembre) et un mépris de la démocratie...».
    Ah bon?
    Mais ils n'ont pas déchiré leurs chemises quand Ottawa a totalement bafoué la démocratie québécoise en volant littéralement le référendum de 1995...
    Le PLQ? Si un jour nous avons un pays, déclarez-moi illégal ce parti de traîtres corrompus!

  • Gaston Deschênes Répondre

    6 décembre 2012

    À la personne anonyme qui a écrit: "Vous semblez être un expert dans ce domaine. Pourquoi n’avez-vous pas averti illico les deux partis d’opposition ou le parti au pouvoir?"
    J'ai fait une autre intervention publique dans une note précédente. Au moins deux personnes beaucoup plus expertes que moi sont intervenues auprès du président de l'Assemblée pendant que la question était en suspens, mais, dans cette affaire (comme dans une autre occasion où l'Assemblée s'est fourvoyée, ie. l'affaire Michaud), il n'y a pas de raisonnement ou de logique qui tienne. Ce sont des positions aveuglément partisanes qui misent sur les émotions et l'ignorance des citoyens en matière de symboles officiels et de protocole.

  • Serge Charbonneau Répondre

    6 décembre 2012

    Excusez-la !
    C'est un peu hors sujet, mais ce titre :
    « À quoi sert un ... au parlement ? »
    était un titre trop inspirant !
    À quoi sert un symbole au parlement ?
    Il sert à mettre nos convictions et nos valeurs à l'honneur.
    Sommes-nous canadiens ou Québécois ?
    Quel drapeau devrait être à notre Parlement Québécois ?
    Et le crucifix...
    Sommes-nous encore en adoration devant cette église qui nous contrôlait de la pensée à nos gestes, même dans la chambre à coucher ?
    Sommes-nous pour l'ingérence religieuse dans nos politiques ?
    Les symboles que l'on affiche à notre Parlement doivent représenter nos convictions et nos valeurs.
    Serge Charbonneau
    Québec

  • Archives de Vigile Répondre

    5 décembre 2012

    "À quoi sert un drapeau au Parlement ?"
    Bin à créer la bisbille... pis ça fonctionne. :)

  • Archives de Vigile Répondre

    5 décembre 2012

    Vous semblez être un expert dans ce domaine.
    Pourquoi n'avez-vous pas averti illico les deux partis d'opposition ou le parti au pouvoir?

  • Yves Rancourt Répondre

    5 décembre 2012

    Rappelons-nous que François Legault définissait son parti, lors de sa création, comme un parti NATIONALISTE. La Presse en avait d'ailleurs fait largement état à l'époque, pour l'aider à se positionner sur l'échiquier politique québécois. Son jeu était clair: enlever le plus de vote possible au PQ, pour permettre de maintenir au pouvoir l'oligarchie.
    On sait maintenant que la CAQ n'a rien de nationaliste. Ce n'était qu'un vague slogan, que du vent. Regardez-bien maintenant comment elle va se comporter lors des débats sur le renforcement de la loi 101. Ça va être de toute beauté à voir!

  • Archives de Vigile Répondre

    5 décembre 2012

    Monsieur Deschênes
    Elvis Gratton doit être content! L'affichage de ces 2 drapeaux reflètent bien notre confusion identitaire et notre double personnalité collective; de la vraie schizophrénie institutionnalisée! Avez-vous déjà vu un pays aux Nations Unies afficher 2 drapeaux en même temps?
    Le PQ comme gouvernement, c'est pitoyable! Pas surprenant que nous attendions encore après le pays avec ce parti de carriéristes vendu aux oligarques fédéralistes. Plus ça change (?), plus ça empire!
    VIVE L'OPTION NATIONALE ET LA RÉPUBLIQUE DU QUÉBEC !!!
    André Gignac 5 déc 12

  • Archives de Vigile Répondre

    5 décembre 2012

    Cela nous démontre à quel point nous avons affaire à des caquistes insignifiants qui n'ont aucunement à coeur les intérêts des Québécoises et des Québécois.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 décembre 2012

    Je vois bien une place pour l'Unifolié à l'Assemblée Nationale. Mais une place bien discrète et dont je préfère taire que de choquer les prudes oreilles sur l'usage.

  • Charles Laflamme Répondre

    5 décembre 2012

    À quoi sert la controverse créée à propos de la présence du drapeau dans des chambres de juridiction québécoise?
    Elle sert à rendre sympathique aux fédéralistes ceux qui défendent sa présence. Ainsi ils les inhibent quand vient le temps de regarder leurs faits et gestes à l'encontre des intérêts de tous les québécois.
    D'ailleurs, la plupart des controverses, y compris celles initiées sur la langue, poursuivent ce but. Il n'y a qu'à se rappeler qu'on nous accuse d'être indépendantiste quand on dénonce les pertes de la Caisse de Dépôt ou le délestage des droits sur le pétrole de l'Ile d'Anticosti. Et si on critique le silence ou l'orientation du PQ dans ces dossiers, on nous accuse de diviser le mouvement indépendantiste et de favoriser les voleurs. Vraiment, dans l'opinion publique, le Québec est sans défense, sinon nous n'en serions pas rendus là.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 décembre 2012

    Les 19 nouilles fédéralistes de la caq ont tous voter le maple leaf flag avec les fédéralistes
    Legault as menti et tromper le peuple Québécois et l'électorat quand il as décrit son parti comme une coalition de souverainistes et d'indépendantistes.
    S'il y avait eu un seul souverainiste dans son parti il aurait voter en faveur du retrait du maple leaf flag.
    La preuve est maintenant faite hors de tout doute qu'il n'y en as aucun .
    On se demandait pourquoi que personne n'en avait jamais vu un s'exprimer .. on as la réponse.
    Legault est un menteur et un manipulateur sans scrupule.
    La preuve est maintenant faite qu'il n'y avait pas un seul souverainiste dans cette fausse coalition ... il n'y as que 19 nouilles fédéralistes bien comptés écrapoutis devant le chiffon rouge des libéraux qui acceptent la juridiction du drapeau canadien dans notre Aseemblée nationale
    Libérastes et Caqueteux fédéralistes = bonnet blanc....blanc bonnet
    On comprend mieux pourquoi la haine du ti-coune a Ti-Caire pour qui la fleur de lys est une insulte.
    Donc on as affaire a une coalition de fédéralistes Caqueteux libéraux...la CCLAC
    La CCLAC de Legault = Coalition des Caqueteux Libéraux pour l'avenir du Canada
    On était une coalition de souverainistes et de fédéralistes LOLLL, , le plus gros mensonge a vie du fédéraste Legault vient d'etre mis jour.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 décembre 2012

    Cette bataille est déjà perdue, puisqu'un vote à l'Assemblée nationale vient de décider que le drapeau unifolié restera au salon rouge. Les fédéralistes ignorants doivent se péter les bretelles de satisfaction.
    Pierre Cloutier

  • Archives de Vigile Répondre

    4 décembre 2012

    Je pensais que Chagnon aurait pu une fois s'élever au-dessus de la mêlée, et prendre parti pour l'Institution.
    Mais c'est vrai qu'il est là par défaut.