250 ans d’insécurité identitaire

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Ravary devrait laisser parler son instinct : c'est l'indépendance qui réglera la condition minoritaire des Canadiens français

J’accordais une entrevue samedi dernier à la radio de CBC sur « l’islamophobie » au Québec.


J’ai répété ce que je dis toujours à ce sujet. Un, je n’aime pas le mot islamophobie. Imprécis, il est trop facile d’en manipuler le sens. Deux, les Québécois ne sont ni plus – ni moins – racistes que les autres Canadiens. Trois, francophones dans une mer d’anglais, l’insécurité linguistique et culturelle des Québécois explique une certaine frilosité identitaire.


L’animateur a attrapé cette balle au vol et m’a demandé « Quand cette insécurité va-t-elle disparaître ? »


Cela m’en a bouché un coin. J’ai pensé répondre « quand le Québec deviendra un pays », mais je ne suis pas convaincue que l’indépendance ferait de nous un peuple moins culturellement angoissé. Question de voisinage.


« Ça dure depuis 250 ans, depuis la Conquête anglaise, vous savez. Difficile de prédire quand cela sera réglé. If ever. »


Pas de retour en arrière


La question de l’animateur Brent Bambury, de l’émission Day 6, au demeurant fort sympathique, m’est restée en tête. Allons-nous traîner le boulet de l’insécurité ethnoculturelle pour l’éternité ? Mais s’en guérir, ce n’est pas de la tarte à la farlouche.


Même moi, bilingue et biculturelle, j’ai l’impression de m’excuser d’exister quand je donne une entrevue en anglais.


Chose certaine, ce n’est pas en fermant la porte à toute immigration, en forçant tous les Québécois à parler français à la maison, en coupant l’internet en anglais que l’on deviendra plus sereins.


Pays ou province, le Québec va toujours accueillir des immigrants, comme il l’a fait, à son avantage, tout au long des 19e et 20e siècles. Un Québec 100 % blanc, chrétien et francophone de souche c’est terminé, et c’est tant mieux. Manger du pain blanc mou tous les jours, quel ennui !


Les cas problèmes sont des cas d’exception, mais pas les occasions ratées quand on se ferme aux autres.


Un bel exemple : le père de Steve Jobs, fondateur d’Apple, s’appelait Abdul Fattah Jandali. C’était un immigrant syrien. Aujourd’hui, avec les politiques migratoires de Donald Trump, il ne pourrait même pas visiter son fils aux États-Unis.


Plus près de nous, à Rimouski, le spécialiste international des tsunamis Mohammed El-Sabh, né en Égypte, a contribué à la création du département d’océanographie de l’UQAR. En 1991, il avait prévu un tsunami dans l’océan Indien, mais on ne l’a pas écouté.


Une rue de Rimouski porte son nom, mais des crétins patentés ont déjà fait courir le bruit que c’était un hommage à un « grand prêtre islamique ».


Mariner dans la paranoïa ratatine le cerveau.


Passer à un autre appel


Pour apprécier à leur réelle valeur ces gens qui ont tout quitté pour vivre ici, il faudra se débarrasser de nos complexes, de notre hantise du retour de la religion, de nos craintes absurdes d’être « remplacés » – une autre marotte importée de France – de notre peur de disparaître au profit de bruns qui parlent anglais et qui portent des turbans et cesser de mettre les accommodements raisonnables au cœur de nos préoccupations.


Tout en gardant un œil sur l’islam politique.


On entend souvent parler de « sécurité énergétique ». Il faudrait développer notre « sécurité identitaire ». Pas en se fermant, mais en s’ouvrant pour s’affirmer humainement.