LE CHOC DES GÉNÉRATIONS

1968 au Québec

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Mai 68 - mai 2008

Un policier observe une révolte étudiante en 1968. Les manifestants déambulent en direction de l’Université de Montréal. (Archives La Presse)

Jean-Simon Gagné - Montée du nationalisme, révolte étudiante, éclatement du monde des arts, attentats, l’onde de choc de l’année 1968 laisse le Québec sens dessus dessous. Portrait d’une année pas comme les autres.


Le 8 mai 1968, l’agitation gagne le Parlement, à Québec, que l’on ne surnomme pas encore l’Assemblée nationale. La majorité des courriéristes parlementaires quittent l’Assemblée pour protester contre «la lenteur et la stérilité des débats». Les journalistes dénoncent aussi «l’inutilité » de bon nombre de débats.
À qui la faute? Depuis le début de 1968, la Révolution tranquille semble s’essouffler. Le gouvernement de Daniel Johnson semble tétanisé, dépassé, écrasé par l’ampleur de la tâche qui reste à accomplir. Un grand nombre de réformes s’enlisent en attendant un hypothétique feu vert. Malade, le premier ministre ne tardera pas à partir en convalescence.
À Ottawa, c’est la frénésie. Durant le printemps, un étrange phénomène, la «Trudeaumanie», balaie le pays. Élu de justesse à la tête du Parti libéral du Canada, en avril, Pierre Elliot-Trudeau atteint bientôt des sommets de popularité. Célibataire, riche, friand de voitures sport, le nouveau premier ministre déclenche des réactions dignes d’une vedette rock. On le voit même courir pour échapper à des jeunes filles en délire, sur la pelouse du parlement.
Le 24 juin, la veille des élections, lors du défilé de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal, une émeute éclate à proximité de l’estrade où prennent place les dignitaires. La télévision montre un Pierre Elliott Trudeau bravant les émeutiers, au milieu du tumulte. L’homme devient plus grand que nature. Le lendemain, il est triomphalement élu premier ministre du Canada. Au Québec, les libéraux remportent 55 sièges sur 74.
C’est le début d’une étrange dualité au sein de la politique québécoise. Car au moment même où Pierre Trudeau triomphe, le nationalisme québécois a le vent dans les voiles. Un sondage Le Soleil donne 40 % des suffrages à l’Union nationale de Daniel Johnson, 28 % au Mouvement souveraineté-association (MSA) de René Lévesque, 18 % au Parti libéral de Jean Lesage et 8 % au Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), de Pierre Bourgault.
Le Parti québécois est fondé à l’automne. il regroupe bientôt l’ensemble des forces indépendantistes. Le décès du premier ministre Daniel Johnson sonne bientôt le glas de l’Union nationale et de son nationalisme «de grands-papas». Entre-temps, le premier ministre Trudeau n’a guère laissé d’illusion à ceux qui rêvent d’un statut particulier pour le Québec. «Il n’y a pas plus de problème Québec qu’il y a de problème Manitoba ou de problème Colombie-Britannique.»
Aujourd’hui, on estimerait sans doute que le Québec de 1968 traverse une profonde crise identitaire. De nombreux articles de journaux s’inquiètent de la baisse de fécondité chez les francophones. «Si le Québec ne prend pas de
mesures immédiates, l’île de Montréal deviendra à majorité anglophone d’ici quelques années», prévient l’ancien premier ministre unioniste Antonio Barrette.
On en arrive presque à oublier que le nouvel ambassadeur américain aux Nations-unies, George Bell, prédit que «le combat de l’autonomie du Canada sera perdu».
Au Québec, le petit monde des arts vit ce que l’on surnomme plus tard une sorte de big-bang originel. Le 28 mai, c’est la première de L’OStidcho, à Montréal, avec Robert Charlebois, Louise Forestier, Yvon Deschamps et Mouffe. Trois mois, plus tard, la pièce de théâtre Les belles-sœurs, de Michel Tremblay, est présentée pour la première fois. En octobre, la poétesse Michèle Lalonde fait une lecture bouleversante de son poème Speak White, lors d’un spectacle intitulé Chansons et poèmes de la résistance.
Le monde de l’éducation atteint lui aussi son point d’ébullition. Les cégeps, qui viennent tout juste de voir le jour, sont débordés par le nombre d’étudiants qui arrivent du secondaire. Et il apparaît clair que les trois universités francophones ne pourront pas absorber tous les finissants des cégeps qui voudront poursuivre leurs études. Le 10 octobre, le vice-président de l’Union générale des étudiants, Gilles Duceppe, déclare que «si rien n’est fait, entre 35 % et 70 % des cégépiens qui veulent aller à l’université s’en verront refuser l’accès».
Mouvement de grève
Dès la fin du mois de septembre, des mouvements de grève paralysent les écoles secondaires. On voit des étudiants de 12 ou 13 ans manifester contre le manque d’équipements dans les laboratoires ou contre la pénurie de manuels scolaires. À plusieurs endroits, les établissements n’ont pas encore eu le temps de construire des casiers...
En octobre, la révolte gagne les cégeps. En l’espace de quelques semaines, la quasi-totalité des établissements sont occupés par les étudiants. Ces derniers réclament la création de l’Université du Québec et la réaffectation de millions de dollars dans le système de bourses. Parmi les émissaires du gouvernement, on remarque Bernard Landry, promu conseiller du premier ministre en matière de relations étudiantes.
Le mouvement d’occupation ne touche guère les universités. À l’Université Laval, même si les bureaux de la direction sont occupés durant plusieurs semaines, les étudiants rejettent la grève par 918 voix contre 497. Au passage, les opposants qualifient les cégépiens «de petits bourgeois qui craignent de ne pas avoir leur place au soleil et leur maison à Sainte-Foy». À l’Université de Montréal, l’agitation se concentre surtout en philosophie et en science sociale. Un avant-goût des clivages qui diviseront pendant longtemps le mouvement étudiant.
Le 10 décembre, le gouvernement annonce finalement la création de l’Université du Québec à Montréal. Mais le Québec de 1968 est déjà passé à autre chose. Quelques jours plus tôt, une bombe a explosé dans le magasin Eaton du centre-ville de Montréal, sans faire de victime. Et des milliers de personnes ont manifesté à Québec contre une loi permettant aux allophones d’inscrire leurs enfants dans les écoles anglophones.
Déjà en route vers les années 70...


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