1868, le Canada célèbre son premier anniversaire

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Il y a un siècle, on désespérait que les Anglais prennent le nom de « Canadien » qui était le nôtre !

Pierre Chaloult profite de la « fête chômée » du mercredi 1er juillet 1868 pour rédiger une « Lettre à un arrière-petit-fils ». Il y « griffonne » ses « impressions » sur le premier anniversaire du « nouveau Canada ». Récit d’un « petit bourgeois de Québec » entrecoupé de coupures de presse datant d’il y a 150 ans.


La première édition de la fête du Canada n’attire pas les foules dans la vieille capitale, constate-t-il lors d’une promenade à cheval qui l’amène de la côte de la Fabrique, au sommet de laquelle est posée la basilique de Québec, à la Basse-Ville en passant par la rue Saint-Jean et la Grande Allée. Bien sûr, l’Union Jack fleurit ici et là. « Je n’ai vu nulle part de manifestation qui sorte de l’ordinaire », relate-t-il.


Dans des « manifestations officielles », certains entonnent le God Save the Queen. Mais Victoria, honorée du titre de reine du Canada depuis un an, est en Grande-Bretagne, où elle veille sur son empire, sur lequel le soleil ne se couche jamais. « [N]ous n’avons point encore ce fameux drapeau du Canada que l’on nous avait assez vaguement promis », fait remarquer Pierre Chaloult. L’unifolié se fera attendre encore 97 ans.


L’habitant de la Haute-Ville regrette de voir le qualificatif de « Canadiens » glisser entre les doigts des Québécois « pure laine » — des descendants de colons français — au profit des « Anglais ». « Nous acceptons mal l’idée que l’on nomme les Anglais des Canadiens. Je ne veux pas dire que nous sommes contre les Anglais qui sont devenus nos maîtres par la force des armes en 1760. N’empêche que nous continuons, nous les Canadiens que je me plais à dire pure laine, à parler français alors que, tant que je sache, le français n’est pas la langue des Anglais », écrit-il avant d’ajouter : « Paraît tout de même que nous vivons aujourd’hui un jour historique ! »


Enthousiasme inégal


L’influent journal Le Canadien brosse un portrait pour le moins différent. « [C]e n’est que très rarement que l’on voit autant d’entrain, autant de gaieté et de satisfaction que ce qu’on a vu le jour de l’anniversaire de l’établissement, en ce pays, d’un régime qui, dans les vues de ses auteurs, doit régénérer le pays, faire succéder la prospérité à la pauvreté, faire disparaître les divisions intestines […] et enfin nous assimiler aux peuples les plus avancés sous le rapport politique, industriel et agricole », peut-on lire dans l’édition du vendredi 3 juillet 1868.


Cela dit, Le Canadien rapporte un « enthousiasme » inégal à travers la Puissance du Canada, évoquant d’un trait de plume un coup d’éclat de sécessionnistes de la Nouvelle-Écosse. Le Canadien promet d’y revenir dans une édition ultérieure, jugeant à propos de « mettre la politique de côté afin de conserver de l’espace pour rendre un compte plus détaillé des […] nombreux amusements de la journée : courses, régates, excursions de plaisir ».


Même constat — quoique moins euphorique — de L’Événement, que lit avec assiduité Pierre Chaloult. « Rien n’a fait repentir le pays de s’être engagé dans cette grande entreprise politique, car il n’a point encore ressenti le poids d’aucune des charges nouvelles qu’il a acceptées », peut-on lire dans un extrait retranscrit par Pierre Chaloult.


Cela dit, un « écueil » guette le « régime nouveau », selon le journal d’Hector Fabre : la croissance économique. Pour l’heure, le nouveau pays est affaibli par la saignée de l’émigration des Canadiens aux États-Unis. « La Confédération aura beau réaliser des merveilles politiques, si elle ne nous fait pas atteindre un haut degré de prospérité, elle perdra en définitive sa cause », conclut L’Événement.


Un pendu joue les trouble-fête


La Minerve, le samedi 4 juillet 1868, revient pour sa part rapidement sur l’anniversaire de la Confédération, qui « a été unanimement observée comme jour de fête ». Plus haut, le journal revient sur la pendaison de Joseph Ruel, à Saint-Hyacinthe. L’événement a volé la vedette aux festivités entourant le premier anniversaire du Canada. En effet, au moins « 5000 à 6000 spectateurs, dont 1 sur 15 du sexe féminin », ont assisté aux derniers moments de l’homme reconnu coupable du meurtre par empoisonnement de Toussaint Boulet.


« [F]ranchement, il fait peine de constater qu’un semblable spectacle ait eu tant d’attrait pour un si grand nombre de personnes », poursuit Le Courrier de Saint-Hyacinthe dans un long article publié le jeudi 2 juillet 1868. « Qu’au moins de cette sinistre plateforme d’où Ruel a été lancé dans l’éternité parte une leçon salutaire ! »


«Les nombreux amusements de la journée, courses, régates, excursions de plaisir, et le nombre immense de personnes qui ont fait grève à toutes leurs occupations pour prendre part à la réjouissance générale, nous dit hautement jusqu'à quel point la fête de la confédération a été bien accueillie par la population de Québec et promet de devenir populaire. En effet, ce n'est que très rarement que l'on voit autant d'entrain, autant de gaieté et de satisfaction que ce qu'on a vu le jour de l'anniversaire de l'établissement, en ce pays, d'un régime qui, dans les vues de ses auteurs, doit régénérer le pays, faire succéder la prospérité à la pauvreté, faire disparaître les divisions intestines [...] et enfin nous assimiler aux peuples les plus avancés sous le rapport politique, industriel et agricole.»

Le Canadien, 3 juillet 1868


> La suite sur Le Devoir.



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