J’ai fait de la politique pendant 30 ans. D’abord au sein du Parti libéral, du Québec et du Canada. Ensuite au Parti québécois et au Bloc québécois. Je connais de nombreux élus ou ex-élus, des dirigeants politiques de tous les gouvernements, certains étant de mes amis. Mes relations dans le monde des affaires et les médias sont du même niveau. Je pourrais presque en dire autant des milieux syndicaux, communautaires et caritatifs. De mes conversations avec les représentants de cette élite québécoise, j’ai acquis la conviction que le Québec est prêt pour son big-bang !
Depuis des années, nombre de leaders s’entendent en privé sur des solutions aux problèmes du Québec. Toutefois, quand vient le temps de les proposer publiquement, la plupart battent en retraite. Il est vrai qu’au tribunal populaire des médias plusieurs ont été jugés coupables de crime contre l’humanité... Par exemple, quand Lucien Bouchard a émis une évidence sur le déficit de travail des Québécois, on l’a cloué au pilori. On a diabolisé des projets de façon irrationnelle et dogmatique. Le projet du Cirque du Soleil à Pointe-Saint-Charles ? Une hérésie !
L’investissement d’un milliard de Rabaska à Québec ? Un génocide assuré ! Le CHUM à la cour de triage d’Outremont ? Un complot de Power Corporation ! Si vous osez dire publiquement que vous soutenez une de ces initiatives, vous êtes un vendu, un conspirateur ou un fou. Toute discussion est écartée d’emblée.
En ce qui concerne les propositions de réformes de l’État, ce n’est guère mieux. J’entendais récemment à la radio un journaliste s’offusquer du fait que l’on ose même soulever la question de la privatisation d’Hydro-Québec. Il ne faut pas s’étonner, dans un tel contexte, qu’un leader politique y pense à deux fois avant de lancer une idée courageuse… Il est urgent de mettre fin à cette démocratie du bâillon !
Le fruit des réformes est mûr. Le 26 mars dernier, les électeurs eux-mêmes ont exprimé leur ras-le-bol à une classe politique trop prudente. Nous avons une occasion en or, d’ici les prochaines élections générales, de prouver que les Québécois ne sont pas nés pour un « p’tit pain ». Le Québec peut et doit réaliser son miracle économique. Il en a le génie et les ressources. Le Parti québécois, qu’on taxait de droitisme sous André Boisclair, a recueilli 28,4 % des suffrages. La soi-disant conservatrice Action démocratique du Québec a mérité la confiance de 30,8 % des électeurs. Le Parti libéral, qu’on accuse de néolibéralisme depuis des années, a remporté la palme avec 33,1 % des voix exprimées. Le centre de gravité politique s’est déplacé, prenons-en acte !
Personne ne propose de dénaturer notre culture nationale. Toutefois, le Québec a besoin de grandes entreprises mobilisatrices et de réformes qui le rendront plus productif et plus attractif à l’échelle mondiale. Après 40 ans d’investissement dans le domaine social, il est temps que le Québec investisse dans la création de richesse, la productivité et l’esthétique. Il faut susciter une rumeur positive sur le Québec, en faire un point chaud mondial. Nous en avons le talent. Les leaders des trois grandes formations politiques en auront-ils l’audace ? Demandons-leur !
Jean Charest, Mario Dumont et Pauline Marois, que pensez-vous de ces quelques idées pour réveiller le Québec ?
1. Légaliser l’assurance maladie privée pour tous les services de santé. C’est l’exemple parfait de ces choses qu’on ne veut pas dire mais qui font à peu près consensus dans les conversations privées. La grande majorité de mes interlocuteurs sont d’accord, au moins partiellement, avec le principe d’une plus grande participation du privé en santé. La Loi canadienne sur la santé doit être modifiée pour permettre aux Québécois de suivre l’exemple, notamment, des Suédois, des Allemands et des Français !
2. Constituer une caisse santé pour assurer un financement adéquat du système public de santé. L’accroissement de la contribution du secteur privé n’est pas la panacée. Avec le vieillissement de la population, la raréfaction des ressources humaines et l’explosion des coûts médicaux, il faudra poursuivre l’effort de financement public. Si les Québécois veulent un accès universel à de bons soins, ils devront payer davantage. La caisse santé pourrait être financée par différents moyens : taxes « vertueuses » — sur les produits, les services ou les comportements nuisibles pour la santé et la sécurité —, amendes plus lourdes en matière de sécurité routière, tickets modérateurs, impôt spécifique affecté à la santé, encouragements fiscaux, etc. Elle serait cependant exclue du fonds consolidé du Québec, et donc protégée des transferts entre postes budgétaires.
3. Investir massivement dans l’éducation et le développement des Québécois, de la petite enfance au troisième âge. Les centres de la petite enfance doivent bénéficier de cette mesure, sur le plan de la tarification et de l’accessibilité. À tous les niveaux, des règles de performance strictes doivent être mises en place. Il faut que l’investissement en question se traduise par une meilleure productivité des Québécois sur le terrain.
4. Adopter les règles comptables les plus exigeantes et les plus transparentes au monde. L’état des finances publiques québécoises étant exceptionnellement mauvais, les solutions doivent être tout aussi exceptionnelles. Des pays de l’OCDE, seuls le Japon, l’Italie, la Grèce et la Belgique ont une dette publique plus élevée que celle du Québec. Le gouvernement québécois annonce des budgets équilibrés depuis 12 ans. Pourtant, le vérificateur général démontrait l’an dernier que la dette avait augmenté de 5,3 milliards depuis 2002 (sans compter le déficit accumulé de 1,3 milliard dans les budgets de fonctionnement du réseau de la santé et des services sociaux !).
5. Alléger sensiblement la fiscalité des particuliers et tendre vers la diminution, voire l’élimination complète de la fiscalité des sociétés. Les Québécois sont parmi les contribuables les plus taxés en Amérique du Nord. Et la classe moyenne au Québec écope davantage qu’ailleurs. Ainsi, le taux d’imposition de la marge supérieure des revenus (48,2 %) s’applique à partir d’un salaire annuel de 58 595 dollars. Au Texas, ce taux (35 %) s’applique à partir de 349 700 dollars. Par ailleurs, l’impôt élevé des sociétés constitue un obstacle considérable quand il s’agit d’attirer les investissements étrangers directs (IED). La course mondiale aux IED — importants moteurs de croissance — a créé une tendance baissière au chapitre des impôts des sociétés. Cela explique en grande partie le succès de l’Irlande ou de la Suède, qui ont réduit ces impôts, sans parler des États baltes. L’Estonie se propose d’ailleurs d’éliminer complètement les impôts des sociétés à partir de 2009. Ce secteur de la fiscalité est en constante mutation et le Québec, qui était concurrentiel il y a 10 ans, ne l’est plus.
6. Réduire la dette réelle des Québécois. La meilleure façon de réduire la dette par rapport au PIB consiste à cesser de l’augmenter pour les « dépenses d’épicerie » — l’augmentation du salaire des infirmières, par exemple, devrait être financée intégralement par les revenus du gouvernement, non par des emprunts. Une autre façon est de stimuler la croissance économique. Il faut cependant s’attendre à ce que la remise à niveau des infrastructures accroisse la dette en chiffres absolus.
7. Établir un moratoire de 10 ans sur tout nouveau programme social non autofinancé ou non rentable à terme. S’il est démontré qu’un meilleur soutien aux proches aidants, par exemple, réduira les coûts du système de santé public, un tel programme pourra être envisagé. Autrement, il sera interdit. Les taux de croissance économique des dernières années sont anémiques et permettent à peine de couvrir la croissance des coûts des programmes existants. Le Québec n’a pas l’argent nécessaire pour en créer de nouveaux !
8. Privatiser Hydro-Québec et libéraliser le secteur de l’énergie. Les monopoles, privés comme publics, ne sont jamais les organisations les plus performantes. Dans le cas d’Hydro-Québec, les interférences politiques sont omniprésentes. Sa privatisation partielle ou complète permettrait de rembourser, en partie ou en totalité, la dette de l’État, libérant ainsi une marge de manœuvre financière considérable. De plus, l’État conserverait son pouvoir de réglementation et percevrait d’abondantes redevances hydrauliques. Dans un contexte de concurrence, les tarifs énergétiques seraient libéralisés et connaîtraient une tendance à la hausse, reflétant les prix réels du marché. Toutefois, la concurrence limiterait cette inflation, tandis que la hausse des tarifs encouragerait les Québécois à économiser l’énergie, permettant d’exporter les surplus à un prix plus élevé.
9. Instaurer un régime de travail et de formation obligatoires pour les bénéficiaires de l’aide sociale aptes au travail. Il faut sortir ces personnes du cercle vicieux de l’oisiveté. Il faut les mettre en réseau, les former et leur donner des outils pour se reprendre en main. Ce sera peut-être plus coûteux pour l’État à court terme, mais tous y gagneront à long terme.
10. Mettre fin à la sécurité d’emploi dans la fonction publique. Il faut recruter les meilleurs spécialistes, les former de façon continue et les rémunérer au mérite. À l’instar de ce qui se passe en Suède, les employés de l’État qui ne répondent pas aux attentes doivent être remerciés.
11. Mettre fin aux régimes de gestion de l’offre et de contrôle des prix dans toutes les industries du Québec. Encourager l’excellence et l’innovation au lieu de maintenir les béquilles protectionnistes actuelles. La Nouvelle-Zélande a éliminé les subventions à son agriculture avec un succès éclatant. Après une période d’adaptation et de consolidation chez les producteurs, l’industrie s’est ressaisie, les produits sont de meilleure qualité, l’innovation est de retour et l’exportation ne s’est jamais si bien portée.
12. Introduire la concurrence, dans la prestation de services à la population, entre les secteurs public et privé. Pourquoi ne pas s’inspirer de l’approche de la Ville d’Indianapolis concernant les services à la population ? Il s’agit de lancer des appels d’offre, auxquels se prêteraient tant le palier provincial que le municipal, qui soient ouverts au secteur public comme au privé. Voilà une belle façon de dynamiser un secteur public parfois un peu léthargique.
13. Privatiser la Société des alcools du Québec. Qu’est-ce que l’État fait dans le commerce de détail ? Il faut libéraliser tout le secteur. L’État pourra continuer à faire beaucoup d’argent à même les taxes et les permis d’exploitation, tout en appliquant le produit de la vente du monopole à notre énorme dette.
14. Intensifier les petites actions dans le domaine des affaires dans les écoles primaires et les programmes « entrepreneuriat-études » dans les écoles secondaires du Québec. De telles initiatives existent déjà. Une des meilleures façons de susciter l’entrepreneuriat est d’en faire la promotion en bas âge, de repérer les talents naturels et de les encourager. On le fait pour le sport et la musique, pourquoi pas pour l’entrepreneuriat ? La Fondation de l’entrepreneurship devrait être soutenue dans ses efforts en ce sens.
15. Prendre des mesures concrètes pour que 85 % des élèves québécois francophones de toutes les régions maîtrisent l’anglais d’ici 2020. Dans la plupart des pays du nord de l’Europe, une large proportion de la population maîtrise l’anglais — 85 % aux Pays-Bas. Au Québec, moins de 40 % des francophones sont bilingues. Dans une économie mondialisée, c’est un handicap. L’anglais devrait s’enseigner dès le plus jeune âge. Des périodes d’immersion devraient être instaurées dès le début de la scolarité et à chaque fin d’année scolaire. Les échanges bilingues et les camps d’été en anglais devraient être encouragés par des mesures fiscales. Et on devrait s’assurer de la compétence des professeurs d’anglais dans toutes les régions du Québec.
Ces quelques idées ne constituent pas une panacée pour le Québec. Tant s’en faut. D’autres idées sont peut-être plus pertinentes. Toutefois, s’offusquer que ces questions soient seulement soulevées et débattues ne relève plus du champ politique, mais bien de la religion. Espérons que le débat rationnel aura ici raison de la foi ! Discutons !
***
Daniel Audet
Ancien délégué général du Québec à Londres, l’auteur est revenu en politique en juin 2006, comme conseiller spécial du chef du Parti québécois, André Boisclair. Dans les années 1990, il a pratiqué le droit au cabinet Lapointe Rosenstein, a été directeur de cabinet du vice-premier ministre Bernard Landry, puis est devenu vice-président de Vidéotron, en 1997. Avant de replonger dans l’univers politique, il a dirigé le Cabinet de relations publiques National à Montréal. Il est maintenant premier vice-président du Conseil du patronat du Québec. Daniel Audet signe cet essai à titre personnel.
Source
15 idées pour un Québec fort
Les « lucides ne vont pas assez loin, affirme Daniel Audet, ex-conseiller de Boisclair et de Landry. Sa recette pour redresser l’économie est celle dont bien des gens rêvent, mais que personne n’ose dire tout haut !
PQ - le temps de l'audace
Daniel Audet6 articles
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Ancien délégué général du Québec à Londres, l’auteur est revenu en politique en juin 2006, comme conseiller spécial du chef du Parti québécois, André Boisclair. Dans les années 1990, il a pratiqué le droit au cabinet Lapointe Rosenstein, a été directeur de cabinet du vice-premier ministre Bernard Landry, puis est devenu vice-président de Vidéotron, en 1997. Avant de replonger dans l’univers politique, il a dirigé le Cabinet de relations publiques National à Montréal. Il est maintenant premier vice-président du Conseil du patronat du Québec.
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