Ce n'est pratiquement pas croyable de constater l'ampleur de l'abus de langage, surtout ces temps-ci, mais qui ne date pas d'hier. Les travaux consultatifs de la Commission B-T nous en offrent un tableau des plus éloquent et saisissant. La table est surabondamment garnie d'immenses plats de mots énormes - j'allais dire gargantuesques! - et nous avons l'embarras du choix pour les croquer et voir ainsi leur vraie nature, les ingrédients qui les composent et les altérations subies au niveau même de leur sens.
Hum! Par quoi, par lequel de ces mots commencer? - Bof, tiens, commençons par...
Vous avez dit... "immigrant" ?
On le sait, paraît-il que la question des arrangements, raisonnables ou non, concerne les immigrants et l'immigration. En admettant que ce soit le cas, rectitude politique, compréhension empathique totale et lutte farouche au racisme et à la discrimination sous toutes leurs formes obligeant, de bons Québécois et Québécoises pure laine, dits aussi de souche, se sont mis tout à coup à se définir, eux aussi, comme des immigrants. On est égaux ou on ne l'est pas, n'est-ce pas?
Et c'est ainsi que lors des premiers forums de la Commission B-T, des personnes sont venues au micro en se présentant comme natives de telle région, ayant ensuite émigré vers telle autre et s'étant bien intégrées à leur nouveau "pays" et à leurs nouveaux concitoyens! Il s'est aussi dit que nous, les Québécois d'origine canadienne française qui avons fondé ce pays, appelé, à l'origine, la Nouvelle-France, étions des immigrants en ce pays, mais de plus longue date (400 ans), les seuls non-immigrants étant les peuples autochtones. Puis il s'est dit que les autochtones eux-mêmes étaient des immigrants, puisque venus d'autres continents bien avant nous. Enfin, dernièrement, bouclant la boucle de cette épique épopée migratoire, une dame est venue nous apprendre que les premiers humains étant nés en Afrique, et en Afrique seulement, alors seuls les Africains ne sont pas des immigrants sur cette terre, "Et vive l'Afrique!", a-t-elle conclu.
Pur abus de langage. Un immigrant est tout simplement quelqu'un qui quitte son pays d'origine pour vivre dans un autre, un pays étranger. Passer d'une région à une autre, ou d'une ville à une autre à l'intérieur d'un même pays, n'est pas une émigration et ne fait pas de nous un immigrant. Pour l'être, il faut aller vivre dans un pays étranger, c'est-à-dire d'une autre nation que la nôtre. Or, qui dit autre nation dit aussi autre culture, autres moeurs, autres us et coutumes et, possiblement, autre religion, tout cela mis ensemble nous confrontant, bien souvent, à un système de valeurs différent du nôtre. Bien sûr, même si chaque pays est différent parce qu'il a sa propre identité culturelle, plusieurs d'entre eux ont des similitudes: le dépaysement éprouvé, quand on met les pieds dans un pays étranger, n'est pas le même si moi, une Québécoise, je vais faire un tour en France, ou en Belgique, ou en Italie, et si je vais au Japon, en Inde ou dans un pays d'Afrique.
Cela dit et clarifié, il est tout aussi évident que pour une personne qui décide de s'installer dans un pays étranger, l'intégration risque d'être d'autant plus difficile que la culture du nouveau pays choisi est éloignée de sa culture d'origine. C'est pourquoi on ne cessera jamais assez de dire, et de mettre en évidence, que ce ne sont pas "les immigrants" en général qui font problème (un très grand nombre d'entre eux sont parfaitement bien intégrés), mais seulement certains d'entre eux et ce, qu'ils soient arrivés chez nous récemment ou depuis longtemps. Les cas problématiques sont tout de même bien circonscrits et impliquent des communautés culturelles qui ont tenu, et tiennent toujours, à conserver leurs coutumes et leur système de valeurs au sein du nôtre. C'est ce qu'on nomme le refus de s'intégrer, ou la ghettoïsation, ou le droit à son identité culturelle, mais ça, c'est le contenu d'un autre plat de mots à croquer...
A Bonaventure, en Gaspésie, un citoyen originaire de Tunisie a mentionné qu'on lui a souvent demandé pourquoi il avait quitté son pays pour venir s'installer ici, au Québec. Il avait l'air de considérer cette question incongrue... La seule réponse, selon lui, c'était tout simplement: "Par choix." - Mais, dites-moi, pourquoi serait-il incorrect de poser une telle question? N'est-ce pas, plutôt, une manière de s'intéresser à l'autre, de communiquer avec lui et d'apprendre un tas de choses sur lui et sur son pays qu'il a quitté mais sûrement pas oublié? N'est-ce pas s'ouvrir à ce qui est différent de nous, manifester de l'intérêt pour ce qui nous est inconnu? - Oui, et je réclame le droit de poser pareille question, et d'avoir une réponse un peu plus élaborée et plus juste que ce fichu, bête et cloueur-de-bec "par choix"!
Chronique de la croqueuse de mots (1)
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
8 octobre 2007Monsieur Girard,
Vous avez tout à fait raison. Les Canadiens français ou Québécois de souche sont des Autochtones français du Québec. Dans une étude que nous avons réalisée, mon frère, juriste à la retraite et moi, en faisons la preuve noir sur blanc. Nous avons distribué cette recherche à des dizaines de personnes, incluant Jacques Parizeau. Personne n'y a cru ou n'a voulu réfléchir à cet aspect de notre situation. Il semble bien que la plupart des élites québécoises, incluant les souverainistes, ignorent ou veulent ignorer ce fait. Pourquoi? Ont-ils baissé les bras? Préfèrent-ils se promener en Europe avec leur passeport canadien, manger dans tous les plats? Sont-ils heureux de se faire qualifier d'immigrants au même titre que le dernier immigrant débarqué ici? Il est vrai qu'ils avaient fait le rêve utopique d'une « nation civique multiculturelle ouverte et tolérante », au risque de nous faire disparaître, occultant ainsi et à leur manière toute différence.
L'article 35 de la Constitution canadienne reconnaît les Inuits, les Indiens et les Métis. Et Pierre Trudeau n'a-t-il pas écrit que «s'il nous avait fallu reconnaître les Canadiens français, les Celtes de la Nouvelle-Écosse, les Acadiens du Nouveau-Brunswick nous aurions assisté au démembrement du Canada ». C'est tout vous dire...
Pour tous ceux qui désirent recevoir les trois documents qui traitent de ce sujet, bien vouloir communiquer avec moi à vallee7@sympatico.ca et je vous les ferai parvenir.
Le temps est peut-être venu de séparer les pommes et les oranges. Quant aux immigrants, ils n'ont qu'à s'intégrer à notre société. D'ailleurs, nous n'avons pas de leçons à recevoir de qui que ce soit à ce sujet. Depuis la fondation de la Nouvelle-France n'avons-nous pas su intégrer des Irlandais, des Écossais, et plus récemment des Italiens, des Grecs, etc... Et que dire des centaines de milliers de Métis en sol québécois qui, au même titre que les Inuits et les Indiens, ont des droits ancestraux.
Alors que faisons-nous dans cette galère des accomodements raisonnables???????
Ils sèment le vent, ils récolteront la tempête!
Marie Mance Vallée
Simon Girard Répondre
7 octobre 2007Moi, c'est le mot "autochtone" et l'utilisation qu'on en fait qui me dérange. On présente les peuples amérindiens comme étant des autochtones et les descendants d'Européens (Français ou Anglais) comme des "non-autochtones". J'ouvre le Petit Larousse et, même si je ne l'ai pas sous les yeux, je sais que le mot "autochtone" veut dire: "originaire du pays qu'il habite". Or je suis né au Québec, donc je suis un autochtone, moi aussi, et pas seulement nos concitoyens amérindiens! Un non-autochtone, c'est un immigrant et je crois que c'est m'insulter que de me qualifier de "non-autochtone" alors que mes ancêtres sont arrivés au 17e siècle. Mais on ne se donne pas la peine de vérifier le véritable sens des mots alors un mensonge mille fois répété finit par devenir une vérité...