Victoire des indépendantistes en Ecosse = mort du Royaume-Uni ?

Écosse et indépendance

Par Sylvain Biville - Le SNP, gagnant des élections locales du 5 mai, veut un référendum sur l'indépendance. L'avenir du Royaume-Uni est en jeu.

Alex Salmond, leader du SNP et premier ministre écossais, à Edimbourg le 6 mai 2011 (David Moir/Reuters).

(De Londres) Vu de Londres, l'Ecosse, c'est « le nord de la frontière », un territoire lointain et méconnu, où l'on parle la langue de Shakespeare en roulant les « r ». Moins on en entend parler, mieux on se porte.
Mais depuis le 6 mai au matin, l'Ecosse est au cœur de toutes les conversations. Les Anglais n'en reviennent pas de l'ingratitude de leurs cousins septentrionaux, qui ont eu l'outrecuidance de préférer les indépendantistes du Scottish National Party (SNP) aux partis traditionnels du royaume.
Le triomphe électoral du SNP, qui a rassemblé 47% des voix, est sans précédent. Jamais, dans la courte histoire du Parlement écossais contemporain, établi en 1999, un parti n'avait obtenu la majorité absolue. Avec 69 élus sur 129, Alex Salmond, le premier ministre écossais et leader du SNP, qui dirigeait depuis 2007 un gouvernement minoritaire, va désormais pourvoir s'appuyer sur une confortable majorité.
« L'indépendance est inéluctable »
« L'indépendance est inéluctable » a-t-il estimé après sa victoire, en confirmant sa volonté d'organiser un référendum sur la séparation d'ici la fin de son mandat, en 2016.
A Westminster, le microcosme politique, qui n'a rien vu venir, tremble sur ses bases, comme en témoigne l'éditorial publié le 6 mai par le très conservateur Daily Telegraph :
« Le spectaculaire succès du SNP n'a pas uniquement transformé le paysage politique au nord de la frontière, mais potentiellement dans tout le Royaume-Uni. Le 5 mai 2011 pourrait bien devenir la date la plus importante dans l'histoire récente de ce pays. »

Une victoire du « oui » à un référendum sur l'indépendance serait effectivement lourde de conséquences. Il ne se traduirait pas seulement par la sécession de l'Ecosse, mais par la disparition pure et simple du Royaume-Uni tel qu'il existe depuis 1707, lorsque les royaumes d'Angleterre et d'Ecosse, après plus de huit siècles de coexistence houleuse, ont fusionné pour donner naissance au Royaume-Uni de Grande-Bretagne.
Une minorité pour la séparation de l'Ecosse et de l'Angleterre
On n'en est pas encore là. Les « unionistes » se rassurent en scrutant les enquêtes d'opinion, qui donnent toutes le camp indépendantiste largement minoritaire, entre 25% et 30% de la population écossaise. Mais les mêmes instituts de sondages prédisaient encore, il y a quelques semaines, une large victoire des travaillistes aux élections locales !
Fin stratège, Alex Salmond a déjà démontré qu'il était capable de déjouer tous les pronostics. Contrairement aux souverainistes québécois, qui viennent de se prendre une raclée sans précédent, le leader du SNP veut prendre le temps de créer les conditions pour une victoire du oui au referendum.
Il a prévenu que la consultation n'aurait pas lieu tout de suite. Sa priorité est d'abord d'obtenir de Londres davantage d'autonomie fiscale et économique. Il veut notamment arracher au gouvernement britannique des concessions sur un meilleur partage des recettes du pétrole de la mer du Nord et des domaines royaux. Ces derniers, qui comprennent une partie du littoral, pourraient bénéficier du développement à venir d'éoliennes offshore.
Alex Salmond, la politique des petits pas
Alex Salmond fait le pari qu'avec un bilan positif, il parviendra à convaincre une majorité, d'ici 2014 ou 2015, que l'indépendance est une option économiquement viable pour un petit pays de 5 millions d'habitants sans grande ressource. Jusque-là, cette stratégie des petits pas a été payante.
Sean Connery en 1999 (Georges Biard/Wikimedia Commons)Dès son arrivée à la tête du parti en 1990, il a cherché à élargir l'audience du SNP, notamment en enrôlant l'Ecossais le plus célèbre au monde, Sean Connery, comme porte-parole du mouvement. En 2007, il a mis à profit sa courte victoire pour démontrer sa capacité à gouverner.
Son triomphe de la semaine dernière tient autant, sinon plus, à sa politique de gratuité des soins aux personnes âgées et des universités (au moment où les frais de scolarité triplent en Angleterre) qu'à sa plateforme indépendantiste.
Signe de la popularité d'Alex Salmond, le Scottish Sun, premier tabloïd d'Ecosse, a appelé à voter pour lui cette année alors qu'en 2007, il avait publié une corde du pendu à la une pour illustrer les dangers d'un vote SNP.
La déferlante SNP a totalement pris de court les partis traditionnels. Le premier ministre conservateur David Cameron, dont le parti n'a jamais été populaire en Ecosse, a promis à Alex Salmond de ne pas s'opposer à l'organisation d'un référendum, tout en assurant qu'il se battrait de « toutes ses fibres », pour faire échec à l'indépendance.
Les caciques Tories réclament de faire de la préservation du Royaume-Uni une priorité nationale.
L'Ecosse n'est plus un bastion travailliste
La montée du SNP est surtout une claque pour les travaillistes, qui considéraient l'Ecosse comme un bastion électoral. Le nouveau chef du parti, Ed Miliband, avait imprudemment désigné l'Ecosse, en novembre 2010, comme le début de la reconquête du pouvoir. Il en ressort aujourd'hui considérablement affaibli.
Incapable d'opposer une stratégie crédible au succès du SNP, Ed Milliband continue à diaboliser Alex Salmond :
« Je pense que ce qu'il propose est dangereux en termes de séparatisme. »
Paradoxalement, le succès d'Alex Salmond a été rendu possible par la politique de régionalisation mise en œuvre par les travaillistes à la fin des années 1990.
C'est à contrecœur que Tony Blair a ressuscité, en 1999, le Parlement écossais, dans le cadre d'une réforme qui a aussi bénéficié à l'Irlande du Nord et au pays de Galles. Il avait concocté à l'époque un mode de scrutin sur mesure, mi-majoritaire, mi-proportionnel, censé empêcher la prédominance d'un seul parti – tout en assurant la domination du Labour.
La régionalisation devait « tuer le nationalisme pour toujours », prédisaient les auteurs de la réforme. Douze ans plus tard, les indépendantistes écossais sont plus puissants que jamais. Et ils ont la capacité d'anéantir l'ensemble du Royaume-Uni. Les bookmakers ont déjà ouvert les paris sur l'avenir de l'Ecosse.
Photos : Alex Salmond, leader du SNP et premier ministre écossais, à Edimbourg le 6 mai 2011 (David Moir/Reuters) ; Sean Connery en 1999 (Georges Biard/Wikimedia Commons)


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