Par Pierre Boisguilbert ♦ En 2006 sortait sur les écrans le film Le Dernier Roi d’Écosse. C’était un film magnifique avec Forest Whitaker, incomparable dans le rôle-titre et assumant le personnage d’Idi Amin Dada. Interrogé sur son roman dont le film est adapté, Giles Foden expliquait qu’il avait choisi ce titre, revendiqué par le dictateur, comme singulièrement révélateur de sa folie et de sa mégalomanie meurtrière. Quoi de plus fou pour un Africain ougandais que de se déclarer roi d’Écosse ? Eh bien, Foden avait tort, car la réalité est en train de rattraper la fiction et la démence d’hier est devenue conforme aux valeurs du temps.
L’Écosse n’a pas encore de roi, mais déjà un Premier ministre musulman, Humza Yousaf. Et s’il occupe ce poste, c’est parce qu’il est à la tête du parti indépendantiste. Un parti qui à l’origine défendait l’identité historique des Écossais contre la colonisation des Anglais. On est bien loin de la lutte des Celtes contre les Normands.
À la suite de la démission surprise de Nicola Sturgeon, le 15 février dernier, après huit ans au pouvoir, les membres du parti indépendantiste écossais (SNP) avaient le choix entre trois candidats pour lui succéder.
Avec 52 % des voix des membres du SNP, Humza Yousaf, jusqu’alors ministre de la Santé, a remporté le deuxième tour du scrutin qui l’opposait au ministre des Finances, Mme Kate Forbes.
« C’est un jour de fierté pour moi et ma famille, et j’espère que c’est aussi un jour de fierté pour l’Écosse car cela témoigne de nos valeurs en tant que pays alors que je me tiens ici en tant que premier musulman à diriger une nation démocratique occidentale », s’est réjoui Humza Yousaf. D’origine pakistanaise et indienne, Humza Yousaf est aussi le premier dirigeant musulman d’un important parti politique au Royaume-Uni. Son père et ses grands-parents paternels sont originaires de la province du Pendjab au Pakistan. Sa mère « est née au Kenya dans une famille d’immigrés asiatiques », détaille le journal pakistanais The Daily Pakistan. La famille s’est installée en Écosse en 1962. En 2011, lors de sa première élection au Parlement écossais, il a prêté serment en anglais et en ourdou. Après sa victoire, il a rendu hommage à ses grands-parents paternels, venus du Pakistan il y a 60 ans. « Ils n’auraient pu imaginer dans leurs rêves les plus fous que leur petit-fils deviendrait un jour le prochain Premier ministre d’Écosse. Cela nous rappelle que nous devrions […] toujours célébrer les immigrés, qui contribuent tellement à notre pays », a-t-il ajouté.
Mais c’est tout de même un étrange musulman. L’idéologie woke a trouvé un musulman woke ancré à gauche et très progressiste sur les questions de société. Humza Yousaf soutient notamment une loi qui veut faciliter le changement de genre pour les jeunes, dès 16 ans et sans avis médical. Une loi qui a été bloquée par le gouvernement britannique. Humza Yousaf s’est engagé à poursuivre Londres en justice pour défendre la légitimité du Parlement écossais sur la question.
Les deux autres candidates, Kate Forbes et Ash Regan, s’opposaient, elles, au projet de loi. Regan avait d’ailleurs démissionné de son poste de ministre pour protester contre cette « réforme du genre » et les deux concurrentes avaient déclaré qu’elles ne contesteraient pas le veto britannique. L’identité écossaise est donc liée à la théorie du genre. Voilà où nous en sommes.
Qui sait, son rôle sera peut-être un jour interprété par un Mel Gibson transgenre célébrant le nouveau William Wallace sans kilt. Le film Braveheart célébrait de manière très romancée la vie du héros et symbole de l’indépendance écossaise, qui à la fin du xiiie siècle, affronta, à la tête des clans écossais unis, les troupes du roi Édouard Ier d’Angleterre.
Mais du Dernier Roi d’Écosse à Humza Yousaf en passant par Braveheart, on peut se poser des questions. Un jour, les historiens se pencheront sur le suicide de l’homme européen par la subversion de son identité par des valeurs pour lui mortifères. Un Premier ministre indépendantiste écossais musulman et d’origine pakistanaise fera partie de l’enchaînement des aberrations idéologiques peut-être présentées d’ailleurs comme des avancées majeures. Car on ne parle pas d’un Premier ministre issu d’un parti internationaliste, écologiste, néo-féministe ou de défense des immigrés, mais du parti de l’indépendance de l’Écosse un temps représenté par Sean Connery. On voit le chemin parcouru. Un musulman porté au pouvoir car favorable aux transgenres. La boucle est bouclée. Rome a eu des empereurs qui n’étaient en rien des Romains ni même des Italiques. Ils venaient de tout l’Empire qui croyait se perpétuer en élisant à la pourpre suprême des nouveaux Romains si éloignés des origines. Rome s’enrichissait, paraît-il, de ses différences… On connaît la suite et la fin.
Pierre Boisguilbert
30/03/2023