On parle beaucoup du film Yes, ces jours-ci, et on en parle avec raison. Réalisé par Félix Rose et Éric Picolli, il raconte le parcours d’un jeune artiste québécois, Simon Beaudry, parti faire une sorte de pèlerinage indépendantiste en Écosse au moment du référendum raté sur la souveraineté de 2014, comme si les militants les plus ardents des nations en quête de liberté politique y avaient vu un rendez-vous à ne pas manquer. Beaudry militera pour l’indépendance de l’Écosse et vivra un référendum par procuration: il faut dire qu’il n’est pas à la veille d’en vivre un au Québec.
Magnifiquement tourné et bien pensé, le film nous promène à travers le pays, dans ses grandes villes comme dans ses campagnes. On en sort en ayant l'impression d'avoir plongé dans les profondeurs du pays et de le comprendre intimement. Il nous fait découvrir des Écossais modérément passionnés par la question de l’indépendance, qui ne semble pas les engager existentiellement. Le référendum était sans aucun doute important pour les Écossais: ils sont très peu nombreux, toutefois, à y avoir vu une question engageant la survie même de la nation. La cause de l’indépendance, en Écosse, s’écrit à l’encre du pragmatisme comptable et politique.
Beaudry rêve d’indépendance, et il rêve de faire connaître le Québec dans le monde, d’autant qu’il a pu constater souvent qu’il n’est pas vraiment connu dans le monde. Mais Beaudry n’amène pas en Écosse ses seules convictions indépendantistes: il traine avec lui une forme de névrose identitaire. Il veut se déguiser en Écossais et porte pour cela le kilt. Il veut se déguiser en Québécois et porte alors la ceinture fléchée. Un peu comme s’il cherchait des symboles pour confirmer une identité imprécise, floue, qu’il ne semble pas trop savoir comment assumer. En Écosse, Beaudry cherche les Écossais, mais il se cherche peut-être aussi lui-même.
Depuis un temps, Beaudry s’est fait connaître dans le mouvement souverainiste par une proposition aussi forte qu’absurde: il veut changer le drapeau du Québec pour en proposer un autre, l’unilys. Il est lui-même conscient de l’absurdité de la chose: il veut représenter le Québec à l’étranger à partir d’un drapeau dans lequel les Québécois ne se reconnaissent pas alors qu'ils ont généralement tendance à aimer le leur. Beaudry a oublié que les symboles sont par définition collectifs et ne sont pas de purs produits publicitaires. Ce n’est donc pas le Québec qu’il veut faire connaître aux Écossais mais une forme de fantasme qu’il prend pour ce que devrait être le Québec.
Beaudry, malgré toute sa bonne foi, qu'il ne viendra à l'esprit de personne de nier, sème plus de confusion qu’autre chose. C’est d’ailleurs ce que lui fera remarquer son partenaire de voyage, Samuel Bergeron, un jeune québécois installé pour ses études en Écosse. Bergeron n’est pas sans intérêt et semble aussi représenter le paradoxe du souverainisme tel qu’on s’y engage dans la jeune génération. Ce qui passionne Bergeron dans le nationalisme écossais, c’est qu’il n’est pas du tout identitaire. Ni drapeau, ni culture, ni référence aux Écossais, même: rien. On pourrait dire: c'est l'hypnose grand vide. Il croit y voir une formule gagnante.
On croit même comprendre qu’il voudrait l’importer au Québec: n’était-ce pas la tentation d’une frange de la jeunesse ralliée à Option nationale, dont Bergeron sera candidat en 2012? Beaudry et Bergeron représentent cette nouvelle génération d’indépendantistes qui entretiennent un rapport trouble avec l’identité du peuple qu’ils veulent émanciper. L’indépendance semble représenter pour eux la possibilité de la table-rase. À tout le moins, ils ne savent pas trop quoi faire du peuple qui porte cet idéal. Ce n’est pas la moindre vertu de YES que de révéler subtilement cette tentation. Ceux qui regarderont Yes comprendront mieux l'Écosse : ils comprendront mieux aussi le Québec. Ils comprendront peut-être aussi pourquoi il n'est pas à la veille de devenir un pays indépendant.
Retour à ce très beau film qui nous en apprend beaucoup sur ce que le souverainisme devient: il est étrangement québécois dans la mesure où il raconte un avortement collectif. Voilà un peuple, le peuple écossais, qui a fantasmé son indépendance sans la faire. Peut-être nous sentirons-nous moins seuls, désormais, en pensant à lui. Un autre référendum a réussi, pourtant, en 2016: celui des Britanniques résolus à sortir de l’Union européenne. L’entreprise était moins romantique mais elle n’était pas sans grandeur: un peuple restaurait son indépendance et recouvrait sa souveraineté. Les souverainistes britanniques ont gagné et ont donné une victoire à ceux qui sont en dissidence contre une époque brutale qui malmène les peuples.
Étrangement, le Brexit a moins passionné chez nous: bien des souverainistes québécois n’ont voulu y voir qu’une manifestation détestable de populisme et de repli identitaire, selon la formule consacrée. Tout mouvement politique a certainement sa part d’ombre, mais pour l’essentiel, le Brexit était animé par un authentique patriotisme ancré dans l’histoire. Il parlait moins le langage de l’utopie que de l’identité. À bien y penser, c’est peut-être pour cela que les souverainistes québécois modernes et branchés n’ont pas voulu s’y associer.
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