Gaz de schiste

Vers une bulle spéculative?

Des craintes s'expriment aux États-Unis derrière des portes closes

Le Québec et la question environnementale



Même s'il y a des puits très généreux, ils sont souvent entourés par de vastes zones embrassant des puits pauvres. Dans certains cas, le forage et l'exploitation coûteraient plus cher que la valeur du gaz que les puits renferment.
_ Photo : Agence Reuters


Consultez l'article du New York Times
Marco Bélair-Cirino - Quoi que ses porte-parole puissent dire au grand jour, l'industrie gazière américaine, qui s'est lancée tête baissée dans l'exploitation du gaz de schiste, a du mal à tirer son épingle du jeu. Plusieurs acteurs de premier plan du milieu (hauts cadres, analystes, avocats, géologues) abordent avec une forte dose de scepticisme les prévisions de profits des exploitants de gaz de schiste, selon des centaines de documents internes de l'industrie gazière américaine obtenus par le New York Times.
Ils dressent, derrière des portes closes, un portrait peu reluisant de l'avenir de la filière énergétique, des propos qui contrastent avec ceux que tiennent sous les projecteurs des médias les porte-parole de l'industrie gazière.
Dans les courriels étudiés par le New York Times, on peut lire que certains craignent d'assister à la formation d'une bulle spéculative, rappelant la bulle technologique qui a éclaté à l'aube des années 2000. «L'argent [des investisseurs] s'y déverse [même si le gaz de schiste est] intrinsèquement non rentable. [...] Cela rappelle les .com [dot-coms]», écrivait, en février, un analyste de la société d'investissement PNC Wealth Management. «Ce qu'il se dit dans le monde des indépendants est que les gisements de gaz de schiste représentent une chaîne de Ponzi géante», faisait valoir une autre personne, employée par IHS Drilling Data, dans un message transmis fin août 2009.
Les données recueillies par la firme de consultants sur plus de 10 000 puits faisant partie de trois grandes régions distinctes des États-Unis soulèvent un grand nombre de questions au sujet des perspectives d'avenir pour l'industrie.
Même s'il y a des puits très généreux, ils sont souvent entourés par de vastes zones embrassant des puits pauvres. Dans certains cas, le forage et l'exploitation coûteraient plus cher que la valeur du gaz que les puits renferment.
D'autre part, les acteurs se demandent si les compagnies gazières n'exagèrent pas intentionnellement, voire illégalement, la production de leurs puits ainsi que l'importance de leurs réserves puisque la quantité de gaz à extraire de puits majeurs s'avère souvent moindre que ce qu'indiquaient les prévisions des sociétés.
Les réserves — la quantité de gaz que l'entreprise déclare qu'elle peut exploiter de façon réaliste — sont des données primordiales parce qu'elles constituent une mesure centrale de la valeur de l'entreprise. Une surévaluation est illégale parce qu'elle induit en erreur les investisseurs.
Un ancien dirigeant d'Enron a écrit en 2009 alors qu'il travaillait pour une société d'énergie: «Je me demande quand ils vont commencer à dire aux gens que ces puits ne sont tout simplement pas ce qu'ils pensaient qu'ils allaient être.» Il a ajouté que le comportement des entreprises de gaz de schiste lui rappelait ce qu'il avait vu quand il travaillait chez Enron.
D'ailleurs, les données de production, fournies par les entreprises aux organismes de réglementation d'État et examinées par le New York Times, montrent que de nombreux puits ne sont pas aussi performants que ce à quoi s'attendait l'industrie.
Dans trois champs d'exploitation majeurs — Barnett au Texas, Haynesville au Texas et en Louisiane et Fayetteville en Arkansas —, à peine moins de 20 % des zones les plus prometteuses apparaissaient au bout du compte comme susceptibles d'être rentables dans les conditions actuelles du marché.
La région de Barnett fournit l'étude de cas la plus fiable pour prédire l'avenir de la filière du gaz de schiste. Les données indiquent que si la production des puits continue à décliner de la manière actuelle, beaucoup risquent de devenir financièrement non viables d'ici 10 à 15 ans.
Un examen de plus de 9000 puits, en utilisant les données de 2003 à 2009, montre que moins de 10 % des puits avaient permis de récupérer l'argent investi sept ans après le début du forage.
La publication de l'ultime texte de la série «drilling down» du New York Times intervient au moment où le gouvernement fédéral américain et les États envisagent de hausser considérablement les subventions destinées à l'industrie gazière dans l'espoir qu'elle fournira de l'énergie à faible coût pour les décennies à venir.
Mais si le gaz naturel se révélait finalement plus cher à extraire du sous-sol que ce qui avait été prévu, propriétaires fonciers, investisseurs et créanciers pourraient voir leurs investissements décroître, tandis que les consommateurs, eux, seraient confrontés à des factures d'électricité et de chauffage plus salées, fait remarquer le New York Times.
Perception fausse
Plusieurs des documents ont été fournis sous le couvert de l'anonymat au journal par des acteurs du secteur qui disent croire que la perception de la filière du gaz de schiste par la population ne correspond pas à la réalité.
D'autres membres de l'industrie restent toutefois optimistes, jurant que la situation du gaz de schiste s'améliorera à mesure que la demande et le prix de la ressource gonfleront. «L'approvisionnement en gaz de schiste va aller seulement en augmentant», a affirmé le vice-président exécutif de Chesapeake Energy, Steven C. Dixon, lors d'une conférence de l'industrie de l'énergie en avril.
Mais des doutes sur la viabilité de l'industrie sont également soulevés dans les rangs des compagnies d'énergie. «Nos ingénieurs estiment que ces puits ont 20, 30 ans de production devant eux, mais, dans mon esprit, ça doit encore être prouvé», a indiqué, mi-mars, un géologue de Chesapeake Energy à un analyste du gouvernement fédéral. «En fait, je suis assez sceptique moi-même quand on voit le déclin dans la première année de production.»
Par contre, le directeur exécutif de Chesapeake, Aubrey K. McClendon, a déclaré aux investisseurs durant la même période: «Il est temps d'être optimiste concernant le gaz naturel.»
En septembre 2009, un géologue de ConocoPhillips, l'un des plus grands producteurs de gaz naturel dans la région de Barnett, a averti dans une correspondance avec un de ses collègues qu'il pourrait s'agir du «plus grand champ non rentable du monde».
Pourtant, environ six mois plus tard, le chef de la direction de l'entreprise, James J. Mulva, décrivait le gaz naturel comme un «cadeau de la nature», ajoutant que «plutôt que d'être coûteux, le gaz de schiste est souvent une source d'énergie à faible coût».
Interrogé à propos de ces contradictions, le porte-parole de ConocoPhillips, John C. Roper, a dit croire que la filière du gaz de schiste est économiquement viable.


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