Immigration massive

Vers un Québec multiculturel

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Le problème linguistique est un problème démographique


Le 30 octobre dernier, le ministre canadien de l’Immigration, Marco Mendicino, a annoncé un plan ambitieux pour son ministère : 1,2 million d’immigrants en trois ans, dont 401 000 immigrants en 2021. Si le Québec recevait son immigration au prorata de son poids dans la population canadienne (22,6 %), ce qui n’est évidemment pas le cas, il lui faudrait accueillir 90 500 immigrants en 2021. Il est intéressant de se demander quel serait l’impact d’une immigration québécoise alignée sur les objectifs d’Ottawa, notamment en ce qui a trait au poids démographique de la majorité historique canadienne-française.


Dans un article publié dans la revue scientifique Nations and Nationalism (article sous presse), j’ai calculé que la majorité historique canadienne-française, qui constituait 79 % de la population québécoise en 1971, atteindrait les 50 % à l’horizon de 2042, selon les tendances migratoires actuelles. Si je révise mes scénarios de projection en appliquant des seuils migratoires proportionnels à ceux d’Ottawa, soit 90 500 immigrants, je constate que ce groupe passe sous les 50 % dès l’année 2034. À l’autre extrême, en supposant une immigration équivalente au plancher migratoire du gouvernement de René Lévesque, soit 14 500 immigrants en 1978, je constate que la majorité historique glisse plutôt sous les 50 % en 2073.


Évidemment, il faut tenir compte des limites méthodologiques de cette analyse qui ne tient pas compte du métissage et de l’assimilation de plusieurs immigrants au sein de la majorité historique. Mes travaux reposent essentiellement sur des projections démographiques visant à actualiser les données du recensement de 1971 qui posait la question suivante : « À quel groupe ethnique ou culturel est-ce que votre ancêtre, du côté paternel, appartenait-il avant d’arriver sur ce continent ? »


Une mesure de l'ascendance française


Vous comprendrez ainsi que les valeurs que je présente sont une mesure de l’ascendance française dans la population en général. Ainsi, quand j’affirme que les Canadiens français passeront sous le seuil des 50 % en 2042, on peut probablement affirmer que la majorité historique demeurera majoritaire à cause du métissage. Au fond, si la majorité historique, par assimilation et mariage mixte, était en mesure d’inclure ne serait-ce que 20 % d’ascendance non française, elle remonterait à 62,5 % (dans l’hypothèse où le métissage se ferait à l’exclusif bénéfice numérique de la majorité historique).





 




On sait déjà que, selon les travaux de la chercheuse Hélène Vézina, les Canadiens français nés entre 1945 et 1965 avaient 95 % d’ancêtres remontant à la France ; il n’est donc pas irréaliste de supposer que les Canadiens français de 2042 pourraient être métissés dans une proportion de 20 %. Il demeure toutefois bien difficile de prédire la part précise que prendra ce métissage et si ce phénomène constituera un bénéfice net significatif à l’avantage numérique du groupe historique canadien-français.


Mes travaux de démographie me permettent néanmoins de conclure qu’avec des seuils migratoires annuels de 90 500 immigrants, le groupe canadien-français subira une érosion accélérée de son statut de majorité au Québec.


Certains affirmeront que la question de l’ascendance n’a pas d’importance et qu’au fond, ce qui compte, c’est la langue, mais on peut difficilement nier l’existence d’un lien entre les deux.


Or, s’il est devenu un lieu commun d’affirmer que le français est en difficulté à Montréal, la question se pose de savoir comment se maintiendra le statut de cette langue sachant que 87 % des immigrants s’installent dans la région métropolitaine de Montréal.


Certes, le Québec contrôle une partie de son immigration et ne sera pas forcé d’accueillir 90 500 immigrants par an. Cependant, la pression pour augmenter sans cesse sa part de l’assiette migratoire ira croissant. Déjà, avec les seuils migratoires d’aujourd’hui, l’érosion démographique de la majorité historique est bien réelle et soulève son lot de questionnements sur lesquels nos philosophes, sociologues et politicologues gagneraient à se pencher.


Comment, par exemple, la langue et la culture de la majorité historique au Québec pourront-elles être transmises de manière efficace aux nouveaux arrivants ? Est-ce que les Québécois, qui deviendront de plus en plus métissés, multiculturels et multiethniques, voudront préserver un héritage culturel canadien-français ? À long terme, envisageront-ils la possibilité d’adopter la langue anglaise et de s’assimiler à la culture nord-américaine ? Comment se canalisera l’anxiété identitaire liée au déclin accéléré du groupe majoritaire, sachant que ce groupe est aussi une minorité au Canada ? Comment faire davantage de place à une diversité grandissante dans un Québec devenu pluriel ? Comment ces réalités démographiques se répercuteront-elles sur la composition des électorats caquiste, libéral, péquiste et solidaire, et quel sera leur impact sur leurs priorités politiques ? La liste des questionnements est non exhaustive.


Une chose est sûre, cependant, les Québécois sont en route vers un destin multiethnique et multiculturel.




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