L’idée était d’abord de prendre un café. Véronique Hivon et Sol Zanetti sont en fin de compte restés à table trois heures. Ils se sont retrouvés cette semaine dans un bistro aux allures de bouchon lyonnais de Québec, le Pied bleu. Au menu, la « refondation » du mouvement indépendantiste.
À table, Véronique Hivon et Sol Zanetti emploient spontanément le tutoiement lorsqu’ils s’adressent l’un à l’autre. La discussion est franche et chaleureuse.
« C’est un grand jour, vous allez assister à l’Histoire ! » lance l’élue péquiste à Fabrice — un serveur à la langue bien pendue — avant d’esquisser un large sourire. « Il y a beaucoup d’indépendantistes qui attendent ça depuis longtemps, qui sont tannés des guerres intestines », poursuit le chef d’Option nationale, Sol Zanetti.
Le serveur n’en a aucune idée, mais son resto du quartier Saint-Sauveur, à Québec, sera le temps d’une soirée l’« espace de dialogue et de travail [des] forces du mouvement indépendantiste » défriché par la députée de Joliette.
Véronique Hivon propose à Sol Zanetti de commencer à « tracer les contours d’un projet de pays » — une démarche qu’elle souhaite voir « transpartisane ». « Ça, c’est emballant autant pour nous que pour la population. Je ne dis pas que c’est facile », fait-elle valoir.
L’amorce d’un dialogue entre les partis politiques indépendantistes constitue une « étape préliminaire » pour permettre au camp du Oui de « regagner en crédibilité » auprès de l’électorat québécois. « La population a envie de nous dire parfois : “ Si vous n’êtes même pas capables de vous parler entre vous, comment pouvez-vous espérer que, nous, on recommence à vous écouter ? ” » affirme-t-elle.
« Actions de pays »
Véronique Hivon et Sol Zanetti se sont rapidement entendus sur la nécessité d’inscrire des « gestes d’État » ou des « actions de pays » dans la prochaine plateforme électorale de leur formation politique respective.
« C’est intégrer dans notre programme de parti politique des choses qui dépassent le cadre législatif d’une province canadienne », explique M. Zanetti, donnant l’exemple de la signature d’un accord international de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) ou la réforme du programme d’assurance-emploi. « Ça vient imposer le thème de l’indépendance. Tu le lies à des enjeux de gouvernance concrets pour tout le monde. Puis, en même temps, tu n’as pas le choix d’être clair, de dire : “ Vous allez voter pour nous. On va faire l’indépendance ” », ajoute-t-il.
La responsable du plan de préparation à l’indépendance du Québec du candidat à la course à la direction du Parti québécois Alexandre Cloutier acquiesce d’un signe de tête. « 100 % d’accord ! Sol, on s’entend parfaitement là-dessus », lance-t-elle, les yeux pétillants. Le « programme de gouvernance » du PQ qui sera proposé aux Québécois aux élections générales de 2018 — si Alexandre Cloutier est propulsé à la tête de la formation politique d’ici là — renfermera à la fois des engagements réalisables à l’intérieur et à l’extérieur de la fédération canadienne, promet Mme Hivon. « En environnement, voici jusqu’où on peut aller en ce moment et voici jusqu’où on voudrait et pourrait aller si on était indépendants. C’est passionnant parce que les Québécois vont voir comment on pourrait agir dans ces sphères-là [actuellement de compétences fédérales]. »
Véronique Hivon et Sol Zanetti conviennent également de parler du projet d’indépendance sous toutes ses facettes d’ici au prochain scrutin afin de contrecarrer le discours de peur du camp fédéraliste. « Agiter un épouvantail pendant quelques semaines, ça peut aller [pour le Parti libéral du Québec], mais pendant trois ans et demi [leur] épouvantail va être pas mal démystifié. [En 2018], tu n’auras plus vraiment peur de lui », soutient l’alliée du député de Lac-Saint-Jean, Alexandre Cloutier.
Le projet de pays du Québec doit être « concret », afin de susciter l’adhésion notamment auprès des jeunes. « Je pense qu’il y en a beaucoup qui sont indépendantistes, mais qui s’ignorent. Ils ne savent pas que ce qu’ils croient aurait plus de [possibilité] de se concrétiser si le Québec avait les moyens d’un État indépendant », fait valoir Mme Hivon.
« Arrêter de douter »
Le principal sujet de discorde entre le PQ et ON, la « mécanique référendaire », vient toutefois pimenter les échanges.
M. Zanetti craint que la promesse de tenir un référendum sur l’indépendance du Québec, mais seulement après qu’un million de Québécois aient apposé leur signature dans un registre officiel, offre une nouvelle « porte de sortie » pour le PQ afin de repousser encore une fois le jour J. « C’est la hantise ! » Il préfère une démarche « sans ambiguïtés » comme celle de la députée de Vachon, Martine Ouellet, consistant à consulter la population québécoise sur l’avenir constitutionnel du Québec au cours des quatre années suivant l’élection d’un gouvernement majoritaire du PQ. « Ce qui fait le jeu de l’adversaire, c’est l’ambiguïté », soutient-il.
« Il faut arrêter de douter. Il faut changer de paradigme », répond du tac au tac Mme Hivon.
« Pour arrêter de douter, il faut des garanties », rétorque M. Zanetti. À ses yeux, « une mobilisation de la jeunesse » autour du projet indépendantiste passe nécessairement par une « attitude audacieuse » de la part des figures de proue du mouvement. « Quelque part, on doit se mettre la tête sur le billot », déclare-t-il.
« Je trouve qu’en demandant un million de signatures, on se met pas pire la tête sur le billot. Je dis ça de même », lance Mme Hivon. L’indépendance du Québec sera « l’enjeu central de la prochaine campagne électorale ». « Pour moi, c’est très clair », renchérit-elle. À « la » question « Y aura-t-il un référendum dans un prochain mandat ? », Alexandre Cloutier « va dire “ oui ” en mettant en mouvement les Québécois », poursuit-elle. « L’idée, ce n’est pas de faire un référendum, c’est de le gagner. Elle crée une obligation des porteurs du projet à mobiliser. » Cela dit, « les gens n’en ont rien à cirer » des prises de bec autour de la mécanique référendaire, selon Mme Hivon.
« Mais si on ne règle pas ce point qui est litigieux dans l’histoire récente du mouvement indépendantiste, on ne pourra pas passer à la deuxième étape. Ça ne marchera pas », avertit Sol Zanetti.
« Travaillons d’abord sur ce qui nous rassemble », insiste Véronique Hivon.
« Mangez ! Mangez ! » s’exclame Fabrice non loin.
La table est mise.
Le chemin de la République québécoise est obstrué par « un obstacle majeur » : la « peur de l’échec » au sein même du mouvement indépendantiste. « Je ne sais pas quel genre de thérapie ça nous prend collectivement… », dit Sol Zanetti. Véronique Hivon estime aussi que les défaites du Oui en 1980 et 1995 ont marqué au fer rouge l’« imaginaire collectif » des indépendantistes québécois.
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