ACCOMODEMENTS RAISONNABLES

Uniformiser la société, c'est perdre la démocratie

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor


«Je suis plusieurs dans un dialogue» pour paraphraser un grand poète qu’est Hölderlin. Et c’est précisément la définition de la démocratie : la discussion. Aucun potentat n’a cherché naïvement à forcer l’unité sans risquer d’être totalitaire, c’est-à-dire ridicule. La pluralité, la diversité culturelle, idéologique et religieuse, au lieu d’être une pathologie sociologique, sont une richesse, une mine que la société doit exploiter.
Imaginons ce que serait l’Europe sans Spinoza, Marx, Freud, Einstein pour ne mentionner que ceux-là. Ces juifs victimes des siècles durant d’un antisémitisme haineux et sanglant au point d’être déshumanisés par l’expérience tragique de la Seconde Guerre mondiale. Des milliers d’intellectuels, scientifiques, littérateurs juifs ont participé à enrichir le dialogue universel de la raison et que l’on stigmatisait inférieurs par cela seul qu’ils ne croient pas à ce que l’on croit.
On ne peut pas être xénophobe sans cesser d’être moderne, sans trahir l’héritage généreux et humaniste des Lumières. Se créer des frontières infranchissables entre le moi et les autres se fait dans la tentation du retour au Moyen Âge des exclusivismes religieux. L’homme moderne est homme avant d’être croyant. Il se définit avant tout par son universalisme égalitariste. «Je suis l’autre», disait Arthur Rimbaud. Il faut y lire, entre autres, que je suis forcément moi : je ne suis rien sans l’individualité de ma mémoire, de ma tradition et de mes convictions. D’autre part, je ne peut pas me définir sans m’identifier à l’autre parce qu’on participe, tous les deux, du même universel humain.
Nous devons emprunter à l’Europe ou plutôt adopter son héritage intellectuel et historique. Autrement dit, suivre, loin de tout électoralisme, les pionniers de l’humanisme et de la pensée de l’ouverture sur l’autre et en même temps reconsidérer et esquiver l’histoire des guerres raciste et de religions qui ont ensanglanté le vieux continent en vue de construire un avenir de l’Homme.
Les différences, l'âme de la démocratie
Une société démocratique est plurielle dans son unité. L’uniformiser c’est la perdre. Ce sont les oppositions, les antagonismes, les différences qui font l’âme de toute démocratie : pas de discussion sans désaccord et pas de démocratie sans discussion. Uniformiser une société c’est la pétrifier et l’appauvrir. D’ailleurs, les différences ne doivent pas se contenter des monologues : je suis différent. Au contraire, elles doivent s’exprimer dans un dialogue enrichissant par sa multiplicité : je suis différent, qu’est ce que tu en dis ?
Le défaut démographique du Canada l’oblige à aller chercher des immigrants dans différents pays. Ils arrivent, s’installent. Leurs habitudes vestimentaires, culinaires sont différentes : tant mieux. Est-ce que les juifs obligent les non juifs à manger casher ? Une femme voilée oblige une non-voilée à s’habiller comme elle ? Est-ce que les autochtones canadiens exigeaient des premiers colons de mettre des plumes sur leurs têtes ou de retourner chez eux ? Non. Alors pourquoi se chamailler dans des discours simplistes sur ce qui nous différencie au lieu de communiquer et d’offrir à l’humanité l’exemple d’une société multiculturelle, prospère et paisible.
Hérouxville
Le maire qui affiche ses conviction religieuse en annonçant à la télévision qu’il va à la messe chaque dimanche et invite les autres politiciens à faire de même adopte par là un discours qui mine les fondement même de la république : c’est faire du Canada un pays de croyants au lieu d’une société de citoyens. Un conseil à notre maire : relisez la Bible et surtout les versets où Dieu chérissait le publicain humble qui n’ose même pas lever les yeux au ciel et indignait ce pharisien qui étalait sa foi devant lui. D’ailleurs, c’est un saint, saint Thomas d’Aquin, qui a fait du traditionnel omnis potestas a Deo un omnis potestas a Deo per populum : la modernité est la désacralisation de la politique. Elle fait de la politique une affaire d’homme.
Dans une démocratie, entre les élus et les électeurs c’est la relation de représentants et représentés qui prime. Une relation nourrie par les promesses des citoyens-gouvernants et l’attente de leur réalisation de la part des citoyens-gouvernés. Et c’est insulter l’intelligence des ses concitoyens que de leur demander des voix par cela seul que l’on partage leur convictions religieuses.
Mohamed El Boutakmanti
Doctorant en philosophie

Université Laval


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