NIQAB ET CÉRÉMONIE D’ASSERMENTATION

Une vérité constitutionnelle qui dérange

Le débat sur la liberté de religion est tranché. La jurisprudence est claire, stable et catégorique. Le multiculturalisme a préséance. Point.

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Personne n'a jamais voté pour ça, ni au Canada, ni au Québec

Tout comme lors des débats entourant le projet de loi 60 sur la charte des valeurs québécoises, la récente décision de la cour fédérale concernant le port du niqab lors du serment de citoyenneté génère un tollé, une explosion d’opinions dans toutes directions.

Bien que l’analyse de la décision repose sur des notions de droit administratif, les notions controversées qui sous-tendent celles-ci relèvent avant tout des droits à l’égalité et à la liberté de religion. Les différences idéologiques sur ce sujet sont en effet très prononcées et les politiciens s’en méfient. Justin Trudeau et le Parti libéral du Canada ont choisi prudemment de garder le silence. Le gouvernement Harper, lui, adopta la facilité en empruntant le chemin populiste. En cherchant à réformer la politique fédérale de citoyenneté, il vient rejoindre l’enivrant sentiment collectif à l’égard de l’intégrisme religieux, le démon de l’heure.

Néanmoins, le premier ministre et le ministre Jason Kenney doivent se douter pertinemment qu’ils vont perdre leur nouvelle bataille. Il est vrai, cette réalité ne leur fait guère peur, car de toute façon, recevoir des claques de la part de la Cour suprême fait maintenant partie du quotidien de leur gouvernement. De plus, entre-temps, ils passent pour de grands défenseurs de la « famille canadienne », et s’enlignent stratégiquement pour gagner des points préélectoraux. Cela, en soi, dira-t-on, n’est ni bien étonnant ni très choquant.

Cette position est toutefois problématique en ce qu’elle propage un mensonge dans la population. En effet, il est malhonnête voire mesquin de faire croire qu’il y a place à un débat, qu’on est en présence d’une incertitude, qu’on est témoin d’un cas nouveau faisant place à un vide juridique. Il est mensonger de faire comme si on était pris au dépourvu et que l’on se trouve en absence d’un cadre normatif pour traiter d’une situation comme celle de Mme Ishaq. Le gouvernement conservateur fait fi, délibérément, des précédents judiciaires, et refuse de faire face à ce qu’est cette vérité constitutionnelle qui dérange.

La vérité, en fait, c’est que le débat sur la liberté de religion a déjà été tranché. La jurisprudence de la Cour suprême est claire, stable et catégorique. Au Canada, les droits et libertés s’interprètent et s’appliquent dans une perspective qui donne préséance à la philosophie du multiculturalisme. Point.

Toute situation qui entrave de façon plus que négligeable la capacité d’agir en conformité avec ses croyances religieuses constitue une violation de la liberté de religion. Bien qu’il puisse arriver certaines situations où une violation de la liberté religieuse est constitutionnelle (pensons à l’affaire de la jeune mineure Témoin de Jéhovah et les transfusions sanguines), celles-ci sont rares.

Dans les décisions Syndicat Northcrest c. Amselem [2004] 2 R.C.S. 551 (l’affaire des souccahs juives) et Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys [2006] 1 R.C.S. 256 (le Kirpan à l’école), la Cour a expressément mis en avant une position large, libérale et généreuse de cette liberté constitutionnelle. Il a été établi que la religion est un élément identitaire fondamental de la personne. Cet élément est d’une telle importance qu’il faudrait des objectifs étatiques prépondérants et des conditions précises, minutieuses et réfléchies pour en justifier une limitation. En 2004, au sujet du retrait des souccahs juives situées sur les balcons d’un immeuble de luxe (pour des raisons d’harmonie et d’esthétique), le juge Iacobucci écrivit :

« Dans un pays multiethnique et multiculturel comme le nôtre, qui souligne et fait connaître ses réalisations en matière de respect de la diversité culturelle et des droits de la personne, ainsi qu’en matière de promotion de la tolérance envers les minorités religieuses et culturelles — et qui constitue de bien des manières un exemple pour d’autres sociétés —, l’argument de l’intimé selon lequel le fait que de négligeables intérêts […] devraient l’emporter sur l’exercice de la liberté de religion des appelants est inacceptable. De fait, la tolérance mutuelle constitue l’une des pierres d’assise de toute société démocratique. Vivre au sein d’une communauté qui s’efforce de maximiser l’étendue des droits de la personne requiert immanquablement l’ouverture aux droits d’autrui et la reconnaissance de ces droits. »

Aux yeux de la Cour suprême, la tolérance doit être le principe directeur et l’acceptation d’autrui sa manifestation. La société canadienne étant issue de vagues successives d’immigration, « ce serait un geste à la fois indélicat et moralement répugnant que de suggérer que les appelants aillent tout simplement vivre ailleurs s’ils ne sont pas d’accord avec [la règle] restreignant leur droit à la liberté de religion ».

En 2015, plus de dix ans plus tard, rien ne laisse présager que nous sommes actuellement à la veille de voir même un début de revirement de la part du plus haut tribunal du pays. Les opinions de la Cour se sont même uniformisées sur ce sujet. Bien que cela ne soit pas sans problème et bien que d’aucuns critiquent le pouvoir considérable qui est confié à la magistrature, la doctrine du multiculturalisme et la protection de la manifestation de foi religieuse demeurent les notions principales qui gouvernent nos politiques de vivre-ensemble. En attendant une modification de la Charte, un désaveu de l’ordre judiciaire, un changement législatif majeur ou une restructuration entière de nos politiques d’intégration, les Canadiens (et les médias) doivent faire face à la vérité constitutionnelle. S’il est vrai qu’il est primordial d’avoir un dialogue constant entre la population, les élus et les instances judiciaires, n’est-il pas tout aussi vrai que ce dialogue doit être éclairé, constructif et conscient des réalités politiques et juridiques du Canada ?


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