Une prorogation sans raison valable

Coalition BQ-NPD-PLC



La gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, a accepté jeudi la demande du premier ministre Stephen Harper de proroger la session parlementaire en cours, et ce, dans le seul but apparent de lui éviter un vote de confiance contre son gouvernement en Chambre lundi prochain.
Or, comme il n'existait aucun précédent d'un premier ministre demandant à la gouverneure générale de proroger une session du Parlement afin d'éviter une défaite de son gouvernement sur un vote de confiance, il y a lieu de s'interroger sur la justesse de cette décision de la représentante de la reine au Canada.
Précisons d'abord qu'une prorogation est une procédure dont l'effet est de mettre fin à une session du Parlement et qui, au Canada, est une prérogative du gouverneur général qui l'exerce à la demande du premier ministre. En règle générale, cet exercice
ne pose aucun problème et survient lorsque les principaux travaux d'une session parlementaire sont terminés.
À cet égard, il y a quelque chose d'irréel de demander à la gouverneure générale de mettre fin à une session qui ne fait que débuter ses travaux. La seule raison qui justifie la demande du premier ministre réside évidemment dans sa crainte de perdre le vote de confiance auquel son gouvernement devait normalement faire face lundi.
Force est donc de constater que le premier ministre souhaitait simplement contourner une convention constitutionnelle selon laquelle un gouvernement qui perd la confiance de la Chambre ne peut pas conserver le pouvoir.
Dans un tel contexte, la gouverneure générale devait-elle jouer le jeu de M. Harper en lui accordant la prorogation souhaitée et ainsi lui éviter de se soumettre à une convention constitutionnelle bien établie?
On doit répondre à cette question par la négative car, en se pliant aux souhaits du premier ministre, la décision de notre chef d'État revient à s'attaquer à notre système démocratique qui veut que, sans l'appui des élus du Parlement, un gouvernement ne peut pas s'accrocher au pouvoir.
Ainsi, en acceptant de proroger la session parlementaire sans aucune urgence digne de ce nom, la gouverneure générale permet au gouvernement Harper d'éviter de faire face à la réalité et remet en cause les fondements mêmes du «gouvernement responsable» au pays.
Cela revient à donner au premier ministre de l'heure le loisir de demander une prorogation automatique d'une session parlementaire quand il croit que son gouvernement est sur le point de perdre le pouvoir.
Dans cette veine, curieux paradoxe, par sa décision d'hier, la gouverneure générale permet à la personne même qui dirige le gouvernement, et dont la légitimité est contestée, de retarder jusqu'à un an, à la limite prévue par la Constitution, l'importante décision des représentants élus de trancher sur le maintien en place du gouvernement de l'heure.
En somme, cela revient à remettre en question la notion de gouvernement responsable sur laquelle reposent les liens fondamentaux qui existent entre les pouvoirs exécutif et législatif. C'est pourquoi, dans le respect de nos institutions, le premier ministre aurait dû faire montre de courage en ne demandant pas à la gouverneure générale de proroger la session parlementaire actuelle et accepter le fonctionnement de notre système démocratique.
Autrement dit, il ne devait pas tenter de faire indirectement ce qu'il ne croyait pas pouvoir faire directement, soit conserver le pouvoir. Qu'on soit ou non d'accord avec les façons de faire de l'opposition, rappelons que dans notre système démocratique celle-ci peut légitimement tenter de défaire un gouvernement.
Ainsi, même si aucun gouverneur général n'a jusqu'à présent refusé une telle prorogation, l'absence de précédents ne signifiait pas que Mme Jean était obligée de commettre l'erreur d'accepter la demande du premier ministre Harper de proroger la session par opportunisme. Eu égard à la décision délicate que devait prendre la gouverneure générale, les principes qui sous-tendent et justifient le refus d'une prorogation en de telles circonstances apparaissent convaincants.
***
Serge Rousselle, Professeur de droit et constitutionnaliste, Université de Moncton


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->