On assiste ces temps-ci à une offensive en règle de la part de ténors de droite pour forcer le vote obligatoire en matière d'accréditation syndicale. Il existe beaucoup de démagogie autour de ce débat. Surtout, les tenants de tels changements occultent systématiquement les effets pervers de cette pratique, effets qui sont pourtant bien documentés au Canada comme aux États-Unis.
Distinction entre le vote à scrutin et adhésion
Il est facile d'associer vote à scrutin secret et démocratie. Pourtant, voter dans une élection et adhérer à un syndicat sont deux pratiques bien différentes. Personne ne peut prétendre que voter pour un parti politique et en devenir membre sont deux gestes de même nature devant être gérés par le même moyen : le scrutin.
Ainsi, le scrutin est tenu à un moment précis suivant une campagne de sollicitation publique provenant de groupes opposés. Le vote n'engage pas formellement son auteur. L'adhésion est un acte privé exigeant un engagement personnel envers une organisation. Pour la CSN, l'adhésion d'une majorité de membres demeure un moyen essentiel permettant la participation de ceux-ci aux objectifs de leur syndicat.
Démocratie syndicale et vote à scrutin secret
Pourquoi les gouvernements provincial et fédéral ont-ils légiféré, chacun dans leur code du travail, pour permettre le choix d'un syndicat par signature de carte d'adhésion plutôt que par vote secret? La raison est simple : c'est pour éviter l'ingérence et l'intimidation des employeurs auprès des salarié-es.
Lors de la tenue d'un vote à scrutin secret, les moyens dont disposent les groupes opposés peuvent avoir un effet déterminant sur le résultat. Comment un syndicat en formation peut-il disposer de moyens aussi efficaces qu'un employeur ou qu'un groupe de salarié-es appuyé par celui-ci?
Les salarié-es qui militeront ouvertement en faveur de l'accréditation lors de la campagne précédant le vote s'exposeront au pire, surtout en cas de résultat négatif. En effet, ils seront identifiés par l'employeur comme des trouble-fêtes et risqueront des représailles, et ce, en l'absence de toute la protection que procure généralement la présence d'un syndicat et d'une convention collective. N'oublions pas que le droit d'association est un droit fondamental qui encore aujourd'hui doit s'exercer dans la clandestinité.
Démystifions la légende urbaine voulant que le vote à scrutin secret soit un rempart contre l'intimidation que les travailleurs pourraient subir de la part d'organisateur syndical au moment de la signature de leur carte d'adhésion. Ainsi, il faut savoir que lors de la vérification du caractère représentatif, l'agent des relations du travail vérifie les formules d'adhésion et enquête sur leur conformité.
Si l'agent découvre des irrégularités quant au caractère libre et volontaire de certaines adhésions, il l'indiquera dans son rapport et le commissaire chargé du dossier pourra, en vertu du Code du travail, ordonner la tenue d'un scrutin secret. À notre avis, ce processus de vérification est un gage clair du respect de la volonté des travailleuses et des travailleurs.
Notons que le processus par carte d'adhésion est bien plus démocratique, à notre avis, car il nécessite l'obtention de la majorité absolue des salarié-es, alors que le scrutin secret se contente d'une majorité des salarié-es se prévalant de leur droit de vote.
La syndicalisation au Canada et aux États-Unis
L'étude canadienne menée en 2002 par la professeure Karen J. Bentham révèle que l'opposition à l'accréditation est la norme, phénomène dont les manifestations prendront des formes diverses: 88% des employeurs ont posé des gestes visant à restreindre l'accès du syndicat aux employés; 68% d'entre eux s'étaient adressés directement aux travailleurs pour contrer la campagne de syndicalisation; 29% ont entrepris diverses mesures de représailles; 12% ont admis avoir eu recours à des pratiques déloyales; 32% d'entre eux avaient entraîné leurs cadres pour qu'ils puissent réagir à une campagne d'accréditation, etc.
Pire encore, les pratiques déloyales de la part des employeurs se multiplient quand le Code du travail prévoit un vote obligatoire comme en témoigne l'étude de Chris Riddell qui note une augmentation de 160% de celles-ci en Colombie-Britannique au moment du changement de la loi. Les héroïques batailles dans les Wal-Mart et les McDonald rappellent l'importance de se prémunir contre l'ingérence farouche des employeurs dans les processus de syndicalisation.
La baisse du taux de syndicalisation au Canada, au cours des dernières années, est en lien direct avec l'adoption de procédures de vote obligatoire par les provinces. Susan Johnson, dans une étude pancanadienne effectuée en 2002, indique que l'adoption de telles procédures réduit en moyenne de neuf points de pourcentage le taux de réussite d'une campagne de syndicalisation.
Le même phénomène s'observe aux États-Unis. De 1975 à 1996, le taux de syndicalisation a diminué de moitié, passant de 28,9% à 14,5%. L'ingérence des employeurs et l'utilisation de pratiques déloyales ne sont pas étrangères à cette tendance qui a convaincu le nouveau président des États-Unis à déposer devant le Congrès américain son projet de loi intitulé Employee Free Choice Act qui s'inspire du modèle québécois.
Le Québec mérite mieux en ces temps difficiles qu'un discours parfaitement idéologique et antisyndical. Les propos tenus par Me Louis Morin, ancien président de la Commission des relations du travail, le 16 mai 2005, devraient nous faire réfléchir et nous rapprocher des réalités du terrain : «Dans toute ma carrière, je n'ai pas rencontré un seul employeur qui ait bien pris la nouvelle lorsqu'un syndicat montrait le bout du nez. Parfois les réactions sont virulentes. Est-ce plus démocratique de voter contre la syndicalisation après que l'employeur eut menacé les salariés de fermeture, de perte de droits, etc. que d'avoir signé une carte d'adhésion même si c'est avec persistance qu'on a demandé de le faire?»
Claudette Carbonneau, présidente de la CSN
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