Une grande fierté

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La bibliothèque qui a conquis le peuple

La Grande Bibliothèque célèbre son dixième anniversaire. Il y a de quoi célébrer. Voilà une réussite formidable qui inspire fierté et confiance. Il faut le clamer haut et fort.
Comme dit l’adage, l’échec est orphelin et le succès a plusieurs auteurs. L’institution qui fait aujourd’hui l’unanimité, on l’oublie aisément, est d’abord née dans la controverse. Ils étaient nombreux les défaitistes, les pseudo-pragmatiques et les anti-intellectualistes bien maquillés à ne voir dans le projet qu’une dépense somptuaire ou un équipement superflu. Il ne s’agit pas de bouder notre plaisir en ressassant de vieilles rengaines, mais il est nécessaire de revenir un tant soit peu sur les circonstances entourant cette naissance improbable.
À l’occasion de ce dixième anniversaire, il importe en effet de rappeler qu’avant d’être un succès de fréquentation la GBQ a d’abord été une victoire sur la part sombre de la psychologie collective. Soutenir une vaste ambition culturelle au lendemain du désastre référendaire et en pleine lutte au déficit zéro, cela ne manquait pas de hauteur de vue. Les esprits chagrins pourront toujours dire que le gouvernement avait besoin d’un grand projet pour soutenir l’emploi, cela n’épuisera jamais les raisons profondes. Lucien Bouchard, qui a tant à se faire pardonner, aura fait là la plus grande contribution de sa carrière. Il faut le reconnaître. Mais on doit aussi à la vérité de regretter qu’il n’ait pas eu l’audace de tenir tête aux comptables mesquins qui ont infligé au projet d’architecture une austérité qui a terni pour longtemps l’immeuble. Le revêtement extérieur, non conforme à la maquette et au choix premier des architectes lauréats du concours, a terni la réalisation, privant l’institution des atouts qui en auraient fait une signature dans la ville.
On ne peut passer sous silence le rôle exceptionnel qu’a joué Lise Bissonnette qui a porté ce projet avec fougue et détermination. Elle a navigué dans la tempête en rappelant sans cesse que le Québec se méritait lui-même, qu’il méritait de s’assumer dans un geste culturel fort. C’était aussi la position de L’Action nationale qui, à l’époque, s’est faite ardente à promouvoir ce projet en lui consacrant ce qui, à ce moment-là, s’est avéré le document de référence le plus complet sur le projet.
Dénonciation d’un luxe somptuaire, crainte d’un futur éléphant blanc, bagarre pour imposer un concours d’architecture, âpres luttes pour intégrer les archives nationales au projet, interminables querelles de spécialistes sur l’accessibilité aux collections nationales, les combats n’ont pas manqué. La Grande Bibliothèque a finalement émergé. Il vaut la peine de relire les lignes que Lise Bissonnette écrivait dans le dossier que la revue avait fait paraître en 1999 :
Ces inepties passeront. La Grande Bibliothèque du Québec, minutieusement planifiée, forte de ses études préalables et instruite des expériences autres en Europe et en Amérique ne sera pas plus un éléphant blanc que les équipements culturels et éducatifs du quartier où elle vivra, ses moyens et son échelle en témoignent déjà. La Grande Bibliothèque, comme tous les établissements de même nature dans des pays semblables au nôtre, sera un immeuble extraordinairement fréquenté par des citoyens de tous âges et de toutes origines, tout simplement parce qu’elle leur offrira la même diversité de services.
Prophétiques, ces paroles méritaient qu’on les rappelle. La confiance dans la capacité collective est devenue si rare…
Rétrospectivement, il faut sans doute concéder que l’adversité a eu quelque chose de positif : elle a trempé les volontés, soudé les équipes autour d’un projet de mieux en mieux conscient de sa portée et rendu tous les artisans beaucoup plus conscients du modèle qu’ils étaient en train d’élaborer. Il faut leur rendre hommage : la qualité du service, la convivialité de l’atmosphère, le bouillonnement de la programmation sont des réalisations pour lesquelles la mobilisation de tous est requise. Du gardien de sécurité affable et souriant à la spécialiste chevronnée en passant par les préposés à l’accueil ou les responsables de l’animation, toute la brigade excelle.
Il n’y a rien d’étonnant dans la réponse du public. Du moins, rien d’étonnant pour qui sait faire confiance à sa capacité de reconnaître la qualité, le dévouement et la passion. Pas étonnant non plus que les statistiques de fréquentation, d’emprunts et de participation aux activités et de toute une batterie d’autres variables propulsent la Grande Bibliothèque au point d’en faire une institution phare de la Francophonie. En cette période où tant de courtiers en morosité font des affaires d’or à persiffler en distillant les poisons de l’autodénigrement, il faut pavoiser. Les Québécois méritent de se voir enfin comme ils sont : capables de très grandes choses.
Ceux-là qui craignaient que l’institution ne soit « que montréalaise » n’ont plus aucune raison de douter que la Grande Bibliothèque soit une véritable institution nationale. Son programme d’activités de rayonnement et ses nombreuses collaborations avec les bibliothèques qu’on retrouve un peu partout sur le territoire en font foi. Comme en témoignent également son accessibilité électronique et ses efforts constants pour mettre sa mission de conservation au cœur du patrimoine vivant en conjuguant diffusion et accessibilité aux mille potentialités de la révolution numérique.
C’est, somme toute, un bilan exceptionnel qu’il faut célébrer. Des activités nombreuses et variées sont programmées. Elles fourniront lieux et moyens de témoigner de l’appréciation et de l’attachement que nous lui portons. Il faut aussi saisir l’occasion pour donner un élan nouveau à la politique du livre et au développement des bibliothèques. La grande institution du boulevard de Maisonneuve a mis au point un modèle et développé une expertise qui méritent un plus grand rayonnement. Voilà le navire amiral qui devrait permettre de placer le Québec en phase avec les défis du livre et de la lecture au vingt-et-unième siècle.
Son succès mériterait que l’État se reconnecte sur le dynamisme de notre culture.
Semer des bibliothèques, cela n’est pas élever des entrepôts de livres, c’est poser des gestes susceptibles de fournir à chacun des usagers des matériaux et des occasions pour aller au bout de sa curiosité, qu’elle porte sur les aspects pratiques de sa vie, de celle de sa communauté ou sur les plus hautes réalisations de l’esprit humain.
Dans la grisaille austéritaire, nous avons besoin de la Grande Bibliothèque. Nous avons besoin tout autant de ce qu’elle nous apporte que de ce qu’elle inspire.


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