DÉPUTÉS DÉMISSIONNAIRES

Une fonction à repenser

Le départ de 11 élus relance le débat sur le travail à l’Assemblée nationale

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«Le bureau du premier ministre prend trop de place»

La vague de démissions à l’Assemblée nationale — 11 élus ont annoncé leur retraite depuis deux ans — relance le débat sur le rôle de député. Peut-on valoriser cette fonction mal aimée ? Zoom sur un métier à la fois gratifiant et éprouvant.
« Le député n’est plus toujours l’homme occupé et prestigieux qu’il a déjà été. À mon avis, le député n’est pas inutile, il est mal utilisé », a lancé un élu à l’Assemblée nationale. Constat fait après la démission de Bernard Drainville, cette semaine ? Non. C’était il y a un demi-siècle, en 1966.

Le député Marcel Masse, élu sous la bannière de l’Union nationale, avait lancé cette phrase au cours d’un débat en Chambre. Cinquante ans plus tard, le « prestige » associé à la fonction reste à géométrie variable. Le public fait à peu près autant confiance aux députés qu’aux vendeurs de voitures d’occasion et aux… journalistes.

Le député et poète Gérald Godin avait livré le même diagnostic au début des années 1990 dans une lettre à sa muse Pauline Julien : « Il faut renouveler les institutions et les moeurs électorales si on veut que la jeune génération s’intéresse à la politique. »

Cette vieille rengaine a refait surface cette semaine avec la démission de Bernard Drainville. Après neuf années sur les banquettes de l’Assemblée nationale, le député du Parti québécois (PQ) a décidé de revenir à ses anciennes amours du monde des médias. Il a accepté l’offre de Cogeco de coanimer une émission au FM93, une radio populaire de la capitale.

Bernard Drainville a dit ressentir une « certaine fatigue », après toutes ces années d’engagement politique. Pour lui, la politique est un « sport extrême » où il faut se donner à fond. « Tu ne peux pas pratiquer ça à 50 % ou 70 %. Quand tu commences à sentir une certaine fatigue, faut que tu te poses des questions. Plutôt que d’attendre de tomber en panne sèche, pars », a-t-il dit en annonçant sa démission, mardi à Longueuil.

Traversée du désert

Le député était l’homme de confiance de Pierre Karl Péladeau, qui a démissionné le mois dernier. Associé à l’ancien chef — et à la charte des valeurs, mise de côté par le PQ —, Drainville a compris qu’il s’engageait dans une traversée du désert s’il restait en poste. Il a choisi de partir.

C’est un réflexe normal, selon d’anciens députés à qui nous avons parlé. Bernard Drainville a raison : la politique, ça use. C’est dur. Ça peut devenir fatigant.

La politique est faite d’alliances, de jeux de pouvoir, de stratégies. Et quand un député perd un de ses alliés, un de ses « protecteurs » dans son parti, il risque de trouver le temps long. Cette traversée du désert — un séjour sur les banquettes arrière de l’Assemblée — peut devenir un cauchemar. La plupart des élus rêvent d’une limousine ministérielle.

« Les députés du gouvernement ont un rôle de figurants », affirme sans détour Gilles Ouimet, ex-député libéral de Fabre, à Laval, qui a pris sa retraite de la politique en août 2015, à peine 16 mois après sa réélection. Il fait partie des 11 élus de l’Assemblée nationale qui ont démissionné depuis le scrutin d’avril 2014.

Cet avocat, ancien bâtonnier du Québec, a le profil d’un ministre de la Justice. Le premier ministre Philippe Couillard l’a tout de même gardé sur les banquettes arrière. Gilles Ouimet a un profond respect pour la fonction de député et pour ses anciens collègues. Mais il est d’accord avec ceux qui affirment que le système parlementaire actuel transforme les députés en machines à approuver les décisions du gouvernement.

« J’ai adoré être député même si j’étais une plante verte, dit-il. Indépendamment des démissions récentes, il faut valoriser le rôle de député. »

Gilles Ouimet arrive aux mêmes conclusions que bien d’autres élus avant lui : le bureau du premier ministre prend trop de place. Le chef du gouvernement contrôle tout. Lui et son personnel dictent ce que les élus peuvent dire, et quand ils peuvent le dire. Les députés peuvent vite se sentir inutiles.

« Il est clair pour moi qu’il faut modifier l’emprise de l’exécutif sur le législatif », dit-il.

« Politicailleries »

Première réforme à mettre en place, selon lui : mettre fin à la ligne de parti. Il faut instaurer le vote libre, sauf quand la survie du gouvernement est en jeu, comme sur les questions budgétaires. Les députés sont payés pour réfléchir, pour proposer des solutions, pour refléter les préoccupations des citoyens. C’est bien difficile quand le bureau du premier ministre impose sa ligne de conduite.

Ça mène à un autre constat qui irrite au plus haut point les élus : la partisanerie extrême. Le député péquiste Sylvain Pagé avait sonné l’alarme dans son Manifeste pour une nouvelle culture politique, publié en 2011. Il avait formulé une vingtaine de recommandations visant à valoriser le rôle des élus et à redonner confiance aux citoyens.

Appuyé par des députés de tous les partis — dont Gilles Ouimet et Bernard Drainville —, M. Pagé a réussi à faire cesser les applaudissements durant la période des questions, l’automne dernier. Par principe, il a lui-même renoncé à applaudir en Chambre depuis son élection en 2001.

« Triste spectacle, politicailleries, risée », le député de Labelle décrivait en termes crus le jugement des citoyens envers les parlementaires. Il a été impossible de parler à Sylvain Pagé au cours des derniers jours — il fait le Grand Défi Pierre-Lavoie —, mais son manifeste suggère des façons simples d’améliorer les débats parlementaires.

Plusieurs mesures ont été adoptées : fin des applaudissements, bonification du financement public des partis politiques, élections à date fixe. Sylvain Pagé irait plus loin. Il recommande de réaménager l’enceinte du Parlement en hémicycle, comme en Suède, pour éviter que l’opposition et le gouvernement se retrouvent face à face. Les sièges seraient distribués par ordre alphabétique, de sorte que les députés côtoieraient des représentants des autres partis. Ça réduirait la tentation partisane.
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