BILAN

Les langues officielles, «yes sir»

Le commissaire Graham Fraser tire sa révérence après 10 années mouvementées

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Mission impossible

Il en faut, de l’acharnement, pour occuper le siège de commissaire aux langues officielles dans ce pays : la défense des droits linguistiques des minorités, en particulier les francophones hors Québec, exige une volonté à toute épreuve.

En 10 ans au poste de chien de garde des langues officielles, Graham Fraser a constaté que la détermination peut laisser place à l’exaspération. L’impatience se lisait dans son dernier rapport, où le commissaire critiquait une fois de plus Air Canada pour les « Sorry, I don’t speak French » entendus encore trop souvent à bord des avions du transporteur national.

Sorry, I Don’t Speak French, c’est aussi le titre de son essai lancé en 2007, dans les mois suivant sa nomination comme commissaire aux langues officielles. Graham Fraser déplorait le recul du bilinguisme et la difficulté à ancrer l’utopie des deux langues officielles dans la réalité canadian. Une décennie plus tard, on ne peut que constater que la bataille pour le respect des droits linguistiques des minorités est loin d’être gagnée. On peut même penser qu’il s’agit d’un combat sans fin, comme Sisyphe condamné pour l’éternité à pousser sa pierre vers le haut de la montagne, avant qu’elle redescende aussitôt dans la vallée.

Comme le dit Sylvia Martin-Laforge, directrice générale du Quebec Community Groups Network : les droits linguistiques, « if you don’t use it, you lose it ». La représentante de la communauté anglophone du Québec n’a que de bons mots pour le travail de Graham Fraser au cours des 10 dernières années. Les francophones hors Québec sont eux aussi fort satisfaits du bilan du commissaire sortant.

Bref, Graham Fraser fait l’unanimité. Cet ancien journaliste du Toronto Star, parfaitement bilingue, qui connaît très bien le Québec — son essai sur l’histoire du Parti québécois est considéré comme un ouvrage de référence —, a travaillé fort. Mais il s’est heurté à la réalité politique et aux limites des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur les langues officielles, mise en place en 1969 par Pierre Elliott Trudeau.

Le bilinguisme from coast to coast est sans doute mûr pour un coup de barre pour célébrer dignement son 50e anniversaire, en 2019. L’occasion serait belle pour Justin Trudeau de revamper un élément important de l’héritage de son père. Un bon point de départ consisterait à créer un tribunal administratif voué aux droits linguistiques, estime Frédéric Bérard, codirecteur de l’Observatoire national en matière de droits linguistiques de l’Université de Montréal.

Vigilance

« On ne peut pas laisser les droits linguistiques au bon vouloir des institutions et des politiciens. C’est avec les droits déclarés par les tribunaux que le fait français a progressé », dit-il.

Brian Mulroney a accordé au commissaire aux langues officielles un pouvoir de poursuite en Cour fédérale, à la fin des années 80. C’est déjà mieux qu’au lancement de la Loi sur les langues officielles, il y a quatre décennies : le commissaire n’avait qu’un pouvoir moral de recommandation. Un tribunal voué aux droits linguistiques réduirait tout de même les délais et les coûts de la justice, explique Frédéric Bérard.

Un outil comme celui-là donnerait plus de mordant au commissaire. En 10 ans, Graham Fraser est ainsi intervenu 23 fois devant la Cour fédérale, mais la plupart du temps à titre d’intervenant dans une cause portée par des groupes ou des citoyens, rappelle le professeur. « Sans vouloir rien enlever à son travail, il faut dire que Graham Fraser est une figure très consensuelle. On peut penser que le Canada aurait besoin d’un commissaire plus directif, qui prendrait lui-même le leadership pour faire respecter la loi », dit Frédéric Bérard.

Fraser au front

À la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), on n’a rien contre des mesures qui donneraient plus de mordant au commissaire, bien au contraire. Pour le moment, la Fédération milite pour s’assurer que le prochain chien de garde des droits linguistiques provienne des communautés francophones hors Québec. Le principe d’alternance veut qu’un francophone succède à un anglophone à ce poste névralgique.

« C’est important pour nous d’avoir quelqu’un qui connaît la complexité, les contraintes, les obstacles de la vie en milieu minoritaire », dit Sylviane Lanthier, présidente de la FCFA.

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