Une crise sur mesure

Charest - les gros sabots


"Rupture de la cohabitation", "subterfuge", "bris de confiance", "tractations cachées", du "jamais vu en 216 ans!". Ouf! Il n'y a pas que le vent froid qui décoiffe ces jours-ci à Québec.
À en juger pas la force de la tornade qui s'est abattue mardi sur l'Assemblée nationale, il semble que nous soyons en pleine crise politique au Québec en tout début de session parlementaire.
Et pourtant, non.
Jean Charest aimerait bien que ce soit le cas, cela lui donnerait une occasion en or de déclencher des élections sur le dos des partis de l'opposition. Mais franchement, toute cette histoire de l'élection d'un nouveau président de l'Assemblée nationale, eut-elle été organisée dans le dos du gouvernement, c'est de la cuisine interne pour les députés. Pour le bon peuple, que François Gendron ou Yvon Vallières soit assis sur le gros fauteuil du Salon bleu, ça n'a pas d'importance.
D'autant que François Gendron n'est pas un mauvais choix, au contraire, et qu'il est normal, pour un gouvernement minoritaire, d'en perdre une aux mains de l'opposition de temps en temps.
Après, si Jean Charest veut bouder et faire le bum à l'Assemblée nationale, c'est lui qui en souffrira dans l'opinion publique, pas l'opposition.
Ce que l'on a vu, mardi, c'est le Jean Charest des mauvais jours. Rageur, hargneux, fâché, le "Charest-la-baboune", comme dirait Mario Dumont. Exactement l'image dont avait réussi à se défaire le premier ministre, pour son plus grand bien, d'ailleurs.
Bon, évidemment, deux objectifs se cachent dans la colère des libéraux: intimider le nouveau président (ce qui peut toujours servir dans la prochaine session) et semer les graines d'une future crise parlementaire pour éventuellement accuser l'opposition de paralyser le Parlement. Et déclencher des élections, ça va de soi.
En un sens, Jean Charest a emprunté une page du grand livre de stratégie de Stephen Harper, qui a lui aussi construit patiemment une crise pour justifier le déclenchement d'élections, début septembre.
Rappelez-vous: la dernière session aux Communes avait aussi très mal commencé. Très vite, le gouvernement conservateur avait accusé les partis adverses de l'empêcher de gouverner. On connaît la suite: M. Harper s'est ensuite servi du prétexte de la crise financière mondiale pour "tirer la plogue" lui-même.
M. Charest pourrait être tenté de faire la même chose, d'autant plus que lui, contrairement à Stephen Harper, n'a pas fait voter de loi sur élections à date fixe. Probablement pas cet automne - quoique Jean Charest est, note-t-on chez les libéraux, plus pressé que son caucus et que ses conseillers à repartir en campagne -, mais la fenêtre du printemps est grand ouverte.
"Il veut y aller, il n'a toujours pas digéré le résultat de la dernière campagne et il veut son match revanche, c'est certain, dit un stratège libéral influent. Mais pas cet automne, préparez-vous plutôt pour le printemps."
Le gouvernement Charest, simple coïncidence ou action préélectorale planifiée, fait beaucoup d'efforts pour maximiser sa visibilité ces temps-ci avec un blitz publicitaire sur la langue française, sur la formation de la main-d'oeuvre, sur les services en ligne du gouvernement, etc.
C'est dans la logique des gouvernements minoritaires, que l'on aime ça ou non, ils atteignent vite la fin de leur vie utile. Ce gouvernement aura deux ans en mars. Et même si tous les chefs parlent des vertus de la coopération, ce qu'ils recherchent d'abord, c'est le chiffre magique de la majorité.
Or, cette majorité se profile à l'horizon pour les libéraux. Du moins, techniquement.
Les chiffres des sondages sont favorables (avance dans presque toutes les régions, bons scores auprès de l'électorat francophone, taux de satisfaction record), les finances (c'est rarement un problème pour le PLQ) sont en bon état et le recrutement nous réserverait une ou deux surprises, dit-on.
La faiblesse de l'opposition, du moins dans les sondages, favorise aussi les libéraux. Autre élément majeur: le timing. Pour un gouvernement, vaut mieux, en effet, déclencher soi-même des élections, en imposant ses enjeux, que d'attendre d'être battu par l'opposition dans une atmosphère de crise.
C'est le pari qu'a fait Stephen Harper, et n'eût été sa vilaine campagne au Québec, il serait probablement majoritaire aujourd'hui aux Communes.
Il y a deux leçons là-dedans pour Jean Charest: garder le contrôle sur son avenir. Mais surtout, faire campagne avec un plan concret, pas seulement sur la présomption que les électeurs vont donner un chèque en blanc au parti au pouvoir sous prétexte qu'il est moins pire que l'opposition.
D'un autre côté, les dernières élections fédérales ont aussi démontré que les souverainistes, même s'ils traversent une période creuse, sont encore capables de mobiliser leur vote autour d'un enjeu central.
Par ailleurs, il serait imprudent d'enterrer l'ADQ trop vite, encore une fois. Mario Dumont est un excellent campaigner et il pourrait canaliser la frustration des électeurs envers un Jean Charest accusé d'opportuniste.
Jean Charest et ses conseillers le savent. Ils pourraient bien sûr réclamer un mandat fort pour affronter la crise financière, mais ils ne peuvent oublier que les Québécois n'ont jamais aimé tant Jean Charest que depuis qu'il est minoritaire.
Au-delà des sondages et du timing, un élément force Jean Charest a garder le pied sur le frein pour l'instant: la décence.
La décence de ne pas imposer une nouvelle élection aux Québécois, la décence de ne pas déclencher une campagne par pur opportunisme. Bref, la décence - et le réflexe de protection - de ne pas trop étirer l'élastique de l'électorat.
Cela dit, la décence ne fait pas le poids contre une chance réelle de remporter une majorité.


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