Une commission peu accommodante

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor


La Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables a débuté ses travaux vendredi dans la controverse et avec un lourd handicap de crédibilité.
Ce groupe de travail a été mis sur pied par Jean Charest pour évacuer du débat électoral d'avril dernier la question de l'identité québécoise qui faisait des remous toujours périlleux pour le Parti libéral. M. Charest n'avait surtout pas le goût d'intervenir dans ces matières sensibles. Le premier ministre a aussi réussi le coup de maître de recruter deux intellectuels parmi les plus respectés dans la société québécoise, Gérard Bouchard, frère de Lucien, l'ex-premier ministre péquiste, et Charles Taylor, un philosophe et auteur qui jouit d'une réputation internationale.
Le choix des autres membres de la commission a par contre laissé pantois. Tous sont des universitaires montréalais. Aucun représentant des régions du Québec ni des divers milieux dans lesquels se vit concrètement au quotidien l'intégration des immigrants. Les incidents qui ont engendré la crise des accommodements raisonnables (comme le port du kirpan à l'école, des vitres teintées pour dissimuler un gymnase, l'impossibilité pour des policières d'interpeller des membres de certaines communautés, et autres) sont survenus dans la métropole, mais ils ont eu un retentissant écho en régions. C'est d'Hérouxville, une toute petite municipalité dans le centre du Québec, qu'est parti le mouvement d'opposition aux concessions excessives faites aux communautés ethniques ou religieuses qui refusent d'ajuster certains de leurs comportements aux us et coutumes de la majorité des Québécois.
Le coprésident de la commission, Gérard Bouchard, a en plus tenu il y a quelques jours des propos élitistes étonnants, dans une entrevue au Devoir. M. Bouchard a dit en substance que les auditeurs de TVA et de TQS n'étaient pas suffisamment informés pour intervenir sur des questions aussi complexes. Ces propos ont été à juste titre considérés comme très méprisants à l'endroit du citoyen moyen qui n'a pas pour profession de jongler avec des concepts philosophiques.
Or les accommodements raisonnables bousculent ce qui compose la fibre québécoise : nos racines, la culture, la langue et la religion de la majorité, les droits individuels et collectifs que nous reconnaissons, etc. Tous ces éléments de l'identité québécoise sont profondément ancrés dans ce qu'on appelle la culture populaire, celle du «peuple», qui écoute TVA, TQS, et qui lit ce journal.
La composition de la commission et l'élitisme qui semble s'y être installé dès sa création font craindre que ce même «peuple» n'y sera pas vraiment écouté. Le Québécois ordinaire ne s'exprime pas à travers des mémoires d'experts, ou les multiples organismes consultatifs paragouvernementaux qui ont des missions de lobby auprès des pouvoirs publics et qui véhiculent des positions stéréotypées, inspirées de la rectitude politique de l'heure.
La commission tiendra bien des forums de citoyens à travers le Québec pour permettre justement aux citoyens du «Québec profond» de se faire entendre sur le sujet, mais un sérieux doute plane sur le degré d'écoute que recevront leurs opinions de non-spécialistes.
Ce type de réflexion sur l'évolution d'une société est nécessaire. Les Québécois sont d'ailleurs les champions sans conteste de la consultation. On ne compte plus les commissions parlementaires thématiques et les commissions d'étude. Pensez seulement aux multiples qui ont été tenues sur la santé, mais qui n'ont pas fait avancer les politiciens d'un pas.
Un très grand nombre de ces exercices servent malheureusement, en effet, à repousser dans le temps des décisions susceptibles de susciter du mécontentement, tout en muselant les adversaires politiques qui avaient trouvé un bon cheval de bataille pour mettre un gouvernement dans l'embarras. Il s'en suit toujours une dédramatisation du problème et le gouvernement est laissé tranquille. La Commission Bouchard-Taylor a toutes les apparences d'appartenir à cette dernière catégorie. Les Québécois, habitués au procédé, l'ont bien compris et leur idée est déjà arrêtée sur ses mérites. La côte sera difficile à remonter pour MM. Bouchard et Taylor.


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