Une commission mal partie

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor

Depuis l'annonce de la structure, du mode de fonctionnement et des objectifs de la commission Bouchard-Taylor, je ne cesse de ressentir un malaise profond. Pourtant, j'avais accueilli l'annonce de la commission comme une bonne idée et j'avais même proposé ma collaboration aux travaux si on la croyait utile.
Depuis, je me demande si je ne me trompais pas sur toute la ligne et je me demande surtout si les séances publiques, en particulier les forums citoyens, ne vont pas en élargissant les fossés que la commission s'était donné pour objectif de combler. Sans m'arrêter aux seules déclarations d'exaltés et de grossiers ignorants qui font les délices de l'Infoman, ce que j'ai entendu très souvent, c'est un refus insidieux de l'autre, du racisme doux qui se drape dans les habits innocents de l'égalité, de l'intégration et de l'identité menacée.
Cette commission avait un mandat très précis: trouver à la place des politiciens une solution politique et globale à une vague d'arrangements ridicules qui tournaient tous autour de la religion et qui, tous, avaient été conclus dans le Montréal métropolitain. Mais pour les intellectuels, les choses ne sont jamais simples -- heureusement car tout est complexe, malheureusement quand le problème n'est que d'ordre politique. Les deux coprésidents, deux hommes pour qui j'entretiens un respect profond, ont sans le vouloir ouvert une énorme boîte de Pandore au nom de l'intégrité intellectuelle. Tout se tient et si on gratte, on peut trouver dans les réactions outrées des Québécois des liens avec une identité mal définie ou perçue comme menacée. Si on étudie, on trouvera bien qu'une école mieux adaptée pourrait minimiser les problèmes d'intégration, qu'une immigration choisie autrement pourrait modifier la situation actuelle et que plus de moyens dans les outils gouvernementaux d'intégration des immigrants pourraient atténuer les difficultés d'intégration.
La triste composition du Conseil des sages peuplé exclusivement d'universitaires et de chercheurs, dépourvu de gens de terrain, de syndicalistes, d'animateurs de quartier, a certainement encouragé cette globalisation de l'approche de la commission, globalisation qui l'a transformée en commission tout azimut. Selon les mémoires, on ne sait pas trop si Bouchard-Taylor enquête sur la démographie, le fonctionnement de l'école, les politiques d'immigration et d'accueil ou sur la nature «nationale» ou «civique» de l'identité québécoise. Nous assistons à un curieux déballage de tous les mécontentements et de toutes les suspicions, de tous les préjugés et de toutes les ignorances. Je dois avouer que je trouve hallucinant d'entendre des gens qui n'ont jamais côtoyé ou vu une femme hassidique ou voilée, sauf à la télé, affirmer comment ces gens menacent leur identité. Le choix de tenir en région autant de rencontres se justifie peut-être sur le plan théorique de la démocratie et de l'égalité, mais je crains bien qu'au bout du compte, il n'aura été d'aucune utilité et n'aura servi qu'à conforter ceux qui se nourrissent des malaises qui couvent dans la société. Ce sont les stratèges de Mario Dumont qui doivent se réjouir de la tenue en région de ces Forums citoyens.
Nous sommes bien loin des travaux qui devaient trouver une solution à un problème métropolitain qui prenait essentiellement ses racines dans la place de la religion dans la sphère publique. Nous sommes devant une commission qui ausculte les états d'âme identitaires.
On discute énormément d'immigration, d'intégration et de structures d'accueil, souvent sur un mode généreux et ouvert. Mais la plupart des accommodements déraisonnables qui ont donné naissance à la commission ne disparaîtraient pas magiquement si nous étions dotés du système idéal d'accueil et d'intégration.
Une très grande partie de ces accommodements concernaient les juifs hassidiques. Rappelons-nous les baies vitrées du YMCA et les arrestations par des policières. Aucune politique ne pourrait prévenir ces problèmes. Depuis que le mouvement hassidique est né en Pologne au XVIIIe siècle, les membres de cette secte refusent toute forme d'intégration, non seulement à la société dans laquelle ils vivent, mais aussi à la société juive. La distance qu'ils maintiennent avec nous est aussi grande que celle qu'ils ont établie à Jérusalem dans le quartier de Mea Sharim. Nulle politique d'intégration ne résoudra jamais cette équation insoluble.
Je crois qu'il est encore temps de recentrer les travaux sur l'enjeu fondamental qui est celui non pas du droit à la pratique religieuse, mais du droit d'être croyant et de l'articulation de ce droit dans l'espace public. Pour y parvenir, il serait peut-être utile aussi de débarrasser la religion de ses couches culturelles, patrimoniales, historiques et de la considérer comme ce qu'elle est, un engagement privé et personnel dans la foi et subséquemment, l'adhésion à des pratiques et à des codes de conduite au nom de cette foi.
Ces codes sont essentiellement répressifs et font appel au sacrifice -- ne pas manger de viande le vendredi, jeûner durant le ramadan. Si le croyant est prêt au sacrifice pour demeurer dans la sphère religieuse et garder le respect de son Dieu, il doit aussi se demander à quel sacrifice religieux il est prêt pour appartenir à la sphère publique et en obtenir des services et des avantages. Le choix de la foi dorénavant est un choix personnel, ce n'est plus comme ce le fut anciennement un choix de société et quand on choisit un style de vie, on doit assumer ce choix avec toutes les difficultés qu'il comporte. Quand j'entre dans la sphère religieuse d'une synagogue, le non-croyant que je suis accepte de porter une kippa ou d'enlever mes chaussures et de faire les ablutions. Je sacrifie une petite partie de mes principes pour découvrir autre chose. Et que les croyants ne s'insurgent pas devant le sacrifice demandé: toutes les religions regorgent d'accommodements raisonnables qui pardonnent à celui ou celle que la société oblige à commettre un péché.


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