Lucien Bouchard s'était fait vivement reprocher d'avoir montré de la compréhension envers le gouvernement Chrétien, qui avait sabré les transferts aux provinces pour éponger son déficit.
Indéniablement, M. Bouchard avait manqué une excellente occasion de se taire, mais il n'en avait pas moins reconnu une certaine légitimité aux compressions imposées par Paul Martin, même si elles ont été largement responsables des mises à la retraite massives dont le système de santé ne s'est pas encore complètement relevé.
Dans le budget qu'il a présenté jeudi, Jim Flaherty a plutôt fait l'éloquente démonstration que la baisse du transfert en santé prévue à compter de 2018 ne répond à aucune nécessité budgétaire.
Même sans les coupes de 5,2 milliards annoncées, la reprise économique, déjà plus robuste que ce à quoi on s'attendait, aurait permis de revenir à l'équilibre dans les délais prévus. Les centaines de milliards en retombées économiques que le ministre des Finances dit maintenant attendre de l'exploitation des ressources naturelles devraient permettre de remplir les coffres de l'État à ras bord pendant des années.
Il faut saluer l'habileté politique de M. Flaherty, qui a (presque) réussi à faire passer comme «modestes» des compressions qui, conjuguées avec le gel déjà imposé, seront au bout du compte de l'ordre de 28 % et ramèneront le poids relatif de l'État canadien à ce qu'il était dans les années 1960.
Usant d'un magnifique truisme, un collègue écrivait hier: «Les coupes de 6,9 % ou de 191 millions exigées du ministère du Patrimoine, dont 115 millions (10 %) à Radio-Canada, étaient attendues et ne surprennent donc pas.» La question est plutôt: sont-elles justifiées? Déjà, le télédiffuseur public avait vu ses budgets amputés de 171 millions en 2009. Des considérations d'ordre strictement budgétaire ne sauraient expliquer un tel acharnement.
Un pays aussi riche que le Canada devrait augmenter son assistance aux pays défavorisés. Quand on connaît l'aversion du gouvernement Harper pour les ONG qui ne partagent pas ses positions, des compressions de 377 millions à l'aide internationale ne peuvent que laisser perplexe. Le gouvernement a peut-être utilisé une «machette rouillée», comme a dit le nouveau chef du NPD, Thomas Mulcair, mais il savait très bien où il frappait.
***
La révision des programmes gouvernementaux doit être un exercice permanent. Encore faut-il en définir correctement la finalité. Le ministre d'État à la Petite Entreprise et au Tourisme, Maxime Bernier, l'a expliqué avec sa candeur habituelle hier: l'opération vise simplement à permettre au gouvernement conservateur d'abaisser encore les taxes et les impôts.
À la veille des prochaines élections, les familles avec un enfant de moins de 18 ans seront certainement ravies de pouvoir fractionner leurs déclarations de revenus, mais cela ne constitue pas une politique de redistribution de la richesse, qui est une responsabilité essentielle d'un État moderne. D'une baisse d'impôt à l'autre, le gouvernement conservateur se prive volontairement des moyens de l'assumer.
Contrairement à ses prétentions, le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, a clairement dit que le Régime de sécurité de la vieillesse est tout à fait viable. Il est vrai que d'autres pays occidentaux entendent différer l'âge de la retraite, mais le Canada est dans une bien meilleure situation financière que la plupart d'entre eux. En décréter arbitrairement le report à 67 ans, sans égard aux impacts sur les plus démunis, est tout simplement irresponsable.
Maxime Bernier — encore lui — a expliqué le plus sérieusement du monde que c'est précisément parce que le système est en bonne santé qu'il est temps de le changer. Tant de bon sens devrait bientôt lui valoir une promotion.
Le maire Tremblay a déploré que le budget soit demeuré muet sur des questions comme l'itinérance ou le logement social. C'est que Jim Flaherty est allé à la bonne école. Il faisait jadis partie du gouvernement de Mike Harris, qui recommandait aux assistés sociaux ontariens de se mettre au baloney. Plusieurs ont vu dans son budget le signe d'un «changement de culture» à Ottawa. Il vaudrait peut-être mieux parler d'un recul de la civilisation.
***
On peut facilement comprendre la frustration de Raymond Bachand, qui peine à simplement limiter la hausse des dépenses à 2 %, alors qu'Ottawa s'apprête à réduire sa contribution au financement des services de santé tout en lui refilant de nouvelles factures.
Annoncer une diminution de 9,5 % du budget de la Sécurité publique alors que l'adoption du projet de loi C-10 sur la justice criminelle va se traduire par des coûts additionnels substantiels pour les provinces relève de la provocation.
Comment expliquer autrement que M. Flaherty revienne à la charge avec son projet de commission des valeurs mobilières pancanadienne, malgré un jugement de la Cour suprême le déclarant inconstitutionnel?
M. Bachand a rappelé qu'il y aura des élections fédérales en 2015. De là à souhaiter un changement de gouvernement à Ottawa, il n'y avait qu'un pas. Les résultats du 2 mai dernier ont cependant démontré que la définition du modèle canadien échappe désormais aux Québécois. Ils devront se contenter de celui que choisira le Canada anglais.
Un recul de la civilisation
Plusieurs ont vu dans son budget le signe d'un «changement de culture» à Ottawa. Il vaudrait peut-être mieux parler d'un recul de la civilisation.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé