Un plan d’action

Chronique d'André Savard


Les indépendantistes sont des obsédés du grand plan d’action. Ils débattent toujours à partir du principe que celui-ci doit s’accorder à leur raison d’être fondamentale. En fait, le présent contexte quoique déconcertant est un vivier fort propice. Il faut voir où se situe la porte tournante de la rationalité et mettre le pied là où elle est.
Le recensement et la citoyenneté québécoise ont été deux thèmes importants cette année. On parle de la place à attribuer à la nation québécoise, au corps de lois susceptibles de la protéger, aux différents types et niveaux de lois versus les règles canadiennes. Très vite, on en arrivera à une question cruciale : les implications pratiques d’une Constitution québécoise dans la configuration politique actuelle.
Pauline Marois est une femme empathique. Elle saura très bien demander à la population de déterminer quelles sont les manettes à tourner, les boulons à desserrer, pour introduire les changements souhaités. Ensuite il n’y aura qu’à laisser parler l’épreuve des faits. Il n’y a pas de doute que la population veut plus qu’une patte de chaise à l’Unesco. Il serait possible de faire plébisciter un certain nombre de nouvelles ressources qui seraient fonctionnellement libératrices pour l’Etat québécois.
À moins de faire une Constitution qui se limite à garantir l’exclusivité des champs de compétences, on sera vite en effraction par rapport au cadre canadien. La nation québécoise vit avec la procuration du Canada. Avec un peu d’audace, on peut montrer facilement que l’auto-institution du pouvoir par la nation québécoise est difficile, voire impossible. Cela vaut cent mille discours, cent mille scolastiques.
Quand les indépendantistes commencent à parler d’un plan d’action, ils finissent toujours par parler d’une pédagogie linéaire qui découle de ce principe : les Québécois forment une nation colonisée. Parce qu’elle est colonisée, disent-ils, il ne lui est pas possible de distinguer qu’une chose est de l’ordre de la libération et une autre de l’ordre de l’oppression.
On doit refuser, continuent-ils, de participer à l’ordre de l’oppression et évoluer dans nos moyens d’action uniquement à partir de l’ordre de la libération. Généralement, ces indépendantistes sont aussi des indépendantologues car ils veulent décontaminer le discours indépendantiste de toute ambivalence qui n’aurait pas tranché avec l’ordre de l’oppression. Il y a toujours chez eux cette idée d’un plan de réalisation avec un concept clair, des échéanciers, une courbe stratégique, le tout assorti d’un débat public avec l’indépendance comme strict objectif.
Or, les sondages montrent que la population n’est pas prête à choisir l’indépendance car elle y voit une rupture aux conséquences incalculables. Par contre, dans la mentalité québécoise germe le rêve de pouvoirs bien québécois qui seraient mis en œuvre dans une architecture étatique qui ferait enfin sortir l’Etat québécois de son rang de province. C’est chimérique, soit. Faute de pouvoir détruire pour l’instant ce rêve, un gouvernement indépendantiste, dans un premier temps, devrait laisser la population articuler un projet pour contrebalancer les prérogatives et l’autorité institutionnelle du Fédéral.
Cela ne peut se faire qu’avec Pauline Marois. Avec Mario Dumont, la distinction entre affirmation nationale et affirmation provinciale ne sera jamais claire. Ce sera comme une photo de gâteau. Le mieux est de mettre la préoccupation de l’identité nationale à l’avant-plan, comme cela commence à se faire avec le projet de citoyenneté de Pauline Marois. Que le projet se dote de plus en plus d’une dimension architecturale particulière basée sur les droits souverains de la nation québécoise.
Il est impossible de s’affirmer en tant que nation tout en restant dans la configuration politique actuelle. Dès que surgit le principe que le pouvoir doit être délégué par la nation québécoise et que la nation québécoise doit être l’élément moteur dans le champ des rapports du pouvoir, cela s’avère intrinsèquement explosif dans le contexte canadien.
On sait que, jusqu’à présent, le Canada a dit que le Fédéral était cet élément moteur car il représente la nation canadienne, la seule grande nation pouvant prétendre représenter tout le monde. Il s’agit en fait de l’argument de base des fédéralistes.
La porte tournante de la rationalité est à ce niveau en ce moment. On doit mettre de l’avant l’identité nationale du Québec et ses implications pratiques. Quelle est cette coexistence provinciale à laquelle nous nous soumettons? Quels sont ses effets historiques? Quels sont ses limites et ses dangers? Le gouvernement du Québec reste un dispositif convergent dont les capacités sont allouées par le gouvernement représentant la grande nation.
Comme le Canada tient à l’uniformité statutaire des provinces et comme les fédéralistes se répètent entre eux que trop en permettre au Québec menace d’exacerber leurs réflexes nationalistes, le Fédéral ne manquera pas de se mettre en travers du chemin. C’est probablement un stade par lequel il faudra passer pour qu’une frange indécise de la population québécoise s’arme davantage d’une pensée critique.
André Savard


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    23 décembre 2007

    Je suis peiné de le répéter car il s'agit d'une situation malheureuse. Ce n'est pas la lutte pour affirmer l'identité québécoise, ni la constitution du Québec dans le Canada, ni la défense de la langue française - tous de louables et respectables combats au demeurant - qui nous feront sortir de l'ethnicité. Ces combats sont ceux de la survivance et de l'aménagement du fédéralisme. Ce sont aussi des combats qui, promus comme instrumentants l'indépendance (ce que des décennies de lutte ont démenti), continuent d'alimenter les illusions si profondément incrustées chez nous sur les possibilités de nous faire une place au sein du régime fédéral. Que la confusion règne à cet égard est une chose, que les indépendantistes la maintiennent en est une autre.
    L'indépendance nous fera sortir de l'ethnicité.
    GV

  • Raymond Poulin Répondre

    20 décembre 2007

    Monsieur Verrier,
    Il y a une marge entre accuser le peuple de ne pas être prêt et constater, sans blâme ni mépris, qu'une bonne partie de la population ne l'est pas. Prendre les moyens de l'aider à réaliser in concreto la nécessité de l'indépendance ne constitue certainement pas du machiavélisme. Il ne s'agit pas de le manipuler par des mensonges ou des mirages mais de lui démontrer, par des moyens autres que le discours, que le fédéralisme canadien ne peut lui permettre d'être son propre maître. Ces deux méthodes ne se combattent ni ne s'annulent, elles se complètent. Vous avez bien le droit de penser autrement sans recourir à des accusations que votre bagage intellectuel et votre expérience vous permettent de savoir infondées.

  • Archives de Vigile Répondre

    20 décembre 2007

    Une des grandes qualités de René Lévesque c'est d'avoir été clair sur son option. Il voulait la souveraineté mais assortie d'un pacte de partenariat avec le Canada. Inlassablement il plaidait sa cause et, même si le peuple n'était pas prêt, lui il l'était. Sa façon de faire force l'admiration par sa franchise sur l'option et le respect du peuple qu'il montrait en donnant au peuple les vrais arguments afin qu'il se prononce éventuellement sur les vrais enjeux. Il avait probablement la conviction que toute grande cause, pour triompher, doit être défendue visière levée. Le machiavélisme politique qui voudrait entraîner le peuple dans des voies sans issue pour ensuite le récupérer n'était pas sa tasse de thé. Ce type de manipulation ne convenait pas à cet homme. Si on veut défendre une grande cause, il faut en être fier et ne pas hésiter à se saisir de toutes les tribunes pour la mettre sur le devant de la scène. Beaucoup d'indépendantistes ne le font pas. Probablement parce qu'ils ne sont pas prêts, mais ils ne devraient pas accuser le peuple de ne pas être prêt lorsqu'il s'agit simplement de leur propre cas.
    Voici selon moi le type d'arguments - parmi d'autres - qui devraient guider nos écrits et nos actions :"L’argument essentiel qui fonde la lutte des souverainistes québécois consiste à soutenir qu’historiquement et sociologiquement, la population du Québec forme un peuple qui, dans le cadre du fédéralisme canadien, ne peut exister qu’à titre de minorité ethnique." Denis Monière, 2002
    J'espère seulement que ceux qui ne sont pas prêts ne déploieront pas trop d'énergie sur Vigile pour s'opposer à ceux qui désirent simplement défendre ouvertement une grande vision, une grande politique.
    Gilles Verrier

  • Archives de Vigile Répondre

    19 décembre 2007

    Votre perspective, partagée par d'autres chroniqueurs et essayistes dans Vigile, prend en compte l'ensemble des citoyens, soit tous ceux qui, de toute manière, décideront du sort du Québec. Faut-il le rappeler aux militants qui déchirent leur chemise chaque fois qu'on avance une proposition développant une stratégie électorale autre que la promesse d'enclencher directement et immédiatement le processus d'accession à la souveraineté après une élection? La très grande majorité de ceux qui décideront ne font pas partie de la mouvance militante indépendantiste et ne sont pas gagnés automatiquement à la cause, quelles qu'en soient les raisons. Ils attendent d'abord d'un parti qu'il gouverne effectivement le Québec actuel. Quant à l'indépendance, ils se convaincront de sa nécessité lorsqu'ils pourront constater concrètement ce qu'ils perdraient (et ce qu'ils perdent déjà depuis longtemps) à ne pas la faire. En gros, comme vous le mentionnez, il faut lui démontrer par des actions que «l'auto-institution du pouvoir par la nation québécoise est difficile, voire impossible» dans sa subordination au pouvoir canadien. Cette approche constitue une pédagigie adaptable au contexte et à la situation, non une "feuille de route" basée exclusivement sur une théorie rationalisante.
    Les ténors de la pureté doctrinale n'ont pas encore aperçu, après plus de quarante ans de déboires, que leur approche ne fonctionne pas dans un régime parlementaire représentatif tant qu'Il n'existe pas une crise majeure déjà perçue comme telle par la majorité de la population, et qu'une telle crise ne peut être perçue pour ce qu'elle est tant que la majorité n'a pas concrètement conscience que si elle n'agit pas en conséquence, elle perdra quelque chose considéré essentiel par elle-même. C'est avant tout une question de perception, et le discours doit être appuyé sur du concret chargé symboliquement, afin de créer une «représentation mentale collective qui suscite l'imagination et organise l'action» (Grorges Sorel). Or cela ne peut être mis en branle que par une organisation politique structurée, disciplinée, expérimentée et suffisamment souple pour ne pas s'enferrer dans des scénarios ficelés d'avance.