Face à la catastrophe, dormez plus fort...

Toute l’intelligentsia fédéraliste, refusant de voir la vérité en face, s’est retranchée depuis derrière ses lieux communs

Chronique d'André Savard

On annonçait des statistiques catastrophiques révélant que la place du français diminuait. Le français frôle même l’extinction dans la plupart des régions canadiennes. La semaine avant le dévoilement des résultats du recensement, Lysiane Gagnon écrivait qu’il n’y avait pas de quoi s’alarmer. Toute l’intelligentsia fédéraliste, refusant de voir la vérité en face, s’est retranchée depuis derrière ses lieux communs.
Des gens comme André Pratte ou Alain Dubuc, qualifié de plus grand intellectuel québécois par le Globe & Mail, comme d’autres sous-fifres du régime le firent dans le passé, ont nié. Le français ne recule pas, il prend juste de l’élan pour rebondir. S’il recule, il avance sûrement quelque part et, donc, dire qu’il recule, c’est généraliser de façon démagogique. D’ailleurs, sans le Canada, ce serait pire car, au moins, le français est un choix possible au Canada, garanti par la Constitution. Tant que ce choix ne sera pas révoqué, il y aura de l’espoir car la vie est toujours vivante.
Ainsi s’est emberlificotée la réaction aux derniers résultats du recensement.
Les recensements ont toujours montré que le français perd de l’importance. En démographie, on qualifie ce déclin de “tendance lourde”. Après avoir représenté plus de la moitié de la population canadienne, depuis la signature du pacte annexionniste de 1867, les francophones sont passés à moins du quart de la population. Les extrapolations à partir du plus récent recensement permettent de voir que la pente sera encore plus raide car l’intégration à la langue anglaise va de facto au Canada. Tout le dispositif social canadien a fait de la langue anglaise une nécessité qui ne se discute même pas.
Le Canada a mis beaucoup d’énergie à dire qu’il abritait le multiculturalisme, un soi-disant système de groupes sociaux d’une espèce particulière, soumis à des lois inédites. Or, le recensement montre que l’anglais sert d’assise incontournable à ce multiculturalisme. Si évidents que soient les chiffres, on a voulu « réinterpréter dans un cadre plus pondéré ». Dans ce cadre plus pondéré, il est malséant de parler de la disparition du français. On vous dira que vous faites preuve d’une incompréhension totale du pouvoir canadien dans son essence.
Il n’y a pas de pays pire que le Canada pour s’y faire répondre par des chansons, des boutades, des arguments sublimes, des échappatoires de forcené. La question n’a rien à voir avec la survie du français, vous dira-t-on, rien à voir avec le conflit entre deux pouvoirs; provinces et gouvernement national doivent s’entendre, donc rien à voir avec un complot qui condamnait dès l’origine le français. Le gouvernement national synchronise des fonctions économiques et des organisations spécialisées dont plusieurs dans le passé ont commandité une étude sur l’usage du français dans un secteur. Tout le monde serait de bonne foi selon cette version de la vérité, à part les paranoïaques qui, eux, ne voient rien de « pondéré » dans la tendance canadienne.
Juste avant la publication des résultats du recensement, Lysiane Gagnon conviait le Québec à réagir comme l’Ontario qui ne « crie pas au génocide » parce que sa représentation en députés n’est pas tout à fait proportionnelle à sa population. Le surlendemain de la publication des résultats, André Pratte titrait sa chronique: [Le Français progresse!->10718] Après tout, on était soixante mille au début de la colonie et le français a pris de la valeur au point où nous sommes des millions aujourd’hui.
Oui nous n’étions que soixante mille à une époque où une seule ville au monde pouvait prétendre viser les cent mille habitants, Venise, et où une ville de quinze mille habitants pouvait passer pour une agglomération importante même en Asie. Les chroniqueurs fédéralistes ont fait fi de ce barème pour évaluer. Ils ne pensaient qu’à conclure que si les francophones diminuent en proportion, ils sont plus nombreux, plus forts que jamais.
Aucune mesure d’envergure n’est nécessaire, selon eux, à moins que ce soit de bonnes mesures canadiennes. Ces mesures ont permis à l’action de la Providence de s’exercer dans le passé. Le recensement vient et viendra encore, annonçant un déclin prévisible. Plus c’est indéniable, plus la réaction canadienne est soporifique: il n’y a pas de catastrophe, c’est niet sur toute la ligne.
Claude Morin dans La Dérive d’Ottawa décrit fort bien l’engrenage :
“Poser le problème, écrit-il, revient à exiger des Québécois la pratique unilatérale et passive de trois vertus:
- la foi dans l’aptitude du fédéralisme actuel à ne plus obéir à ses tendances historiques lourdes,
- l’espérance que d’eux-mêmes Ottawa et le reste du Canada agiront contre nature et cesseront de modeler ce régime en fonction de leurs valeurs et de leurs intérêts et
- la charité de penser que, en plus de corriger les injustices du passé, le Canada anglais, saisi de remords et attentionné, se comportera dorénavant de manière altruiste à l’endroit du Québec...”
Si Claude Morin dénonce la candeur dans son livre La Dérive d’Ottawa, il perçoit aussi l’émergence de porte-voix québécois qui ne cultivent plus qu’une version de la vérité, celle de la société canadienne unie. Lysiane Gagnon se range bien dans cette catégorie. Elle traite la question du Québec comme s’il s’agissait d’un simple cas de représentation proportionnelle des provinces, toutes les provinces étant égales et ne pouvant jouir d’un statut particulier.
“Au fond, écrit Claude Morin, le Plan A vise à endormir le réflexe des Québécois, à les plonger dans la torpeur politique. L’intention est de laisser aux tendances lourdes du régime le temps d’exercer leur action sans soulever l’alerte. Car, on l’a montré, la dynamique du régime n’est pas neutre.
Après tout, calculent ses défenseurs, le temps joue en faveur de l’évolution qu’ils veulent voir se renforcer: diminution du poids démographique du Québec, changement dans la composition de la population, etc.”
Comme les collaborateurs fédéralistes ont décidé de s’attacher à cette décroissance jusqu’à la tombe, ils en traitent comme de sciences sociales, des lois globales régissant naturellement. Le fait français se meurt plus ou moins lentement selon les régions mais qu’importe. Cette situation mortelle est la source du pain quotidien pour plusieurs, membres des partis fédéralistes, des organes de presse ou des confréries privées. Ce pain prend la forme bien concrète d’une carrière, un bon poste d’éteignoir dans une université, une bonne réputation dans une classe dite d’avant-garde.
Ils détournent les avertissements et les menaces du recensement. Quelque chose a l’air de clocher? Non, nous n’avons rien vu. Attendez encore un peu, mes jolis, et bientôt vous comprendrez vous-mêmes que tout ça, c’était pour votre bien. Vous êtes seulement soumis à la loi de la grande nation et vous ne pouvez pas faire autrement.
André Savard


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1 commentaire

  • Raymond Poulin Répondre

    11 décembre 2007

    Évidemment, cela va de soi. Mais, pour le dénoncer, nous devons être paranoïaques, pour le moins. Pourtant, comme le disait Kissinger à Nixon: «Ce n'est pas parce que vous êtes paranoïaque que vous n'avez pas d'ennemis pour autant!» On a longtemps cru Rousseau parano. Jusqu'au jour où l'on s'est avisé que Voltaire avait écrit au consistoire de Genève pour l'inciter à emprisonner Rousseau voire à le condamner à mort. Le Québec français aussi, sur ce plan, compte quelques Voltaire. Heureusement qu'ils n'en partagent que le visage grimaçant sans le talent! En un sens, c'est une excellente chose: l'être humain n'est vraiment dynamique que lorsqu'il affronte un ennemi. L'un de mes ex-patrons avait coutume d'affirmer qu'il ne se sentait jamais aussi en forme que lorsqu'il recevait des tapes sur la gueule. Encourageons la tribu des gescayens à nous rentrer dedans encore plus fort, nous finirons bien par nous réveiller.