Un peu de Géographie

Le Québec est comme un homme que l’on regarde de dos. Il est fondu dans l’imaginaire canadien et même, il est gommé par lui.

Chronique d'André Savard


Univers social et éducation à la citoyenneté
Pour ceux qui jugent que ce titre relève du jargon prétentieux, il ne s’agit de rien d’autre que du concept qui remplacera Géographie et Histoire à l’école secondaire. Certains professeurs de géographie sont aux abois; plus question de faire apprendre les capitales par cœur, plus rien de ces cartographies où on devait situer le Togo par rapport au Ghana et aux autres pays africains. Désormais on demandera aux étudiants de s’imaginer directeur de projets pilotes dans des régions ciblées, une en Afrique, une au Brésil, une au Québec (pourquoi pas?) et une en Océanie.
L’enfant doit s’éduquer en assujettissant son propre programme d’apprentissage à des objectifs citoyens qui lui sont propres. Trouvez une stratégie pour faire pousser un végétal considérable ou développer une stratégie touristique qui attirera les foules de visiteurs vers une grotte tout en pierres, fixez-vous pour but de revitaliser une région qui disparaît dans une montagne de l’Amérique du Sud. En somme, la géographie ne mène à rien si on ne l’associe pas à une stratégie de développement. Plus besoin de connaître les étiquettes qui disent le nom de toutes les choses. Imaginez-vous, chers élèves, en mission.
On vient de revenir au bulletin chiffré et on pense s’être attaqué au cœur du problème. On en fait toute une histoire alors que le problème c’est que nous sommes en plein délire. La réforme de l’éducation est utilisée comme un gigantesque alibi par le gouvernement Charest. Il n’y a jamais eu un pédagogue sérieux qui a dit que les compétences devaient remplacer les connaissances. On ne peut pas développer des habiletés si on ne fait pas l’effort de connaître les repères stables d’une matière académique. Les continents restent là où ils sont de même qu’on ne changera jamais le fait que le peuple francophone fut dépossédé du Canada, lequel fut conquis de force par la couronne britannique.
La réforme conçue à l’origine ne signifiait pas que les connaissances étaient négociables et qu’elles devaient se plier à des considérations utilitaires ou à des intérêts politiques. Il est ridicule d’abandonner l’étude de la géographie pour demander directement aux étudiants de façonner un programme imaginaire d’aide agricole dans les régions de l’Amazone nouvellement défrichées. On va faire de ces enfants de complets prétentieux qui se mêlent de tout organiser au Brésil alors qu’ils ne savent pas situer Brazilia et Sao Paulo.
On blâme Pauline Marois d’avoir piloté la réforme de l’éducation. Ce qu’on oublie c’est que ce n’est pas Pauline Marois qui a dit que les matières académiques devaient désormais s’organiser en fonction du petit cogito de chaque élève. Ce n’est pas Pauline Marois qui a voulu reléguer le savoir académique derrière les caprices du citoyen d’aujourd’hui.
Le Triangle Urbain
Le film Bon cop bad cop est un de ces nombreux exemples pédagogiques que nous sommes habitués de nous faire servir au Canada. L’histoire réunit deux policiers qui doivent administrer une enquête sur un méchant. Ils sont séparés par les préjugés mais au fil de l’aventure ils réussissent à vaincre le méchant.
Le film est si mauvais qu’il eût été descendu en flammes même à Bolliwood ou dans une fabrique de télé-novelas en Amérique du Sud. Il fut présenté au Québec comme un événement canadien. En principe le message est humanitaire : deux hommes séparés par la frontière linguistique découvrent qu’ils partagent le même pays car, de concert, ils ont aidé à coffrer le terrible Tattoo Killer.
Le film poursuit sa carrière de tortionnaire à la télévision car le réseau Super Écran l’a joint à la programmation d’été. Et si vous allez sur les chaînes publiques, vous serez mitraillés par des messages publicitaires qui vous disent que vous pouvez tout trouver au Canada, des constructions polynésiennes octogonales aux jardins des plantes japonais, en passant par des statues de druide celtique. Ce n’est pas nouveau. Cela fait partie de l’idéologie officielle. Le Canada est un parc thématique mondial à ciel ouvert et, en cherchant bien, vous y trouverez les palais hindous, les sanctuaires birmans. Si vous fréquentez les régions prospères du pays, vous deviendrez assez riche pour vous payer une jolie villa de style hispano-grec.
Pourtant il y a un couac, paraît-il. Les touristes américains boudent le Canada et l’augmentation de la valeur du huard ne suffirait comme explication. Pour contrer cette tendance, on songe à mettre en évidence une particularité du Canada qui soit attrayante. Le microcosme du monde n’est pas un thème si porteur auprès des clientèles américaines. Les Américains ont Las Vegas où on s’adonne à la reproduction de la tour Eiffel et du Taj Mahal. Leur côte ouest, dans la foulée des adeptes de l’âge du Verseau, s’est éprise pour les basiliques orientales et les mails commerciaux les reproduisent dans leurs coins mondiaux sis au troisième étage, des simulations à n’en plus finir des architectures folkloriques.
Le plus sérieusement du monde, on pense rappeler aux Américains que le Canada n’est pas seulement un microcosme mondial mais qu’il a aussi un petit côté français, un petit côté plus accentué qu’autour du Mississipi. Étonnant? N’en déplaise, l’image de marque du Canada s’est élevée en laissant la francophonie dans une frange confuse.
Quiconque a beaucoup voyagé a eu l’occasion de rencontrer de nombreux globe-trotters qui ont parcouru le Canada. Ils savent qu’ils y sont venus mais généralement il leur est beaucoup plus facile d’identifier deux îles du Japon que le Québec.
Un parcours touristique se planifie en fonction des idées générales que l’on entretient sur le pays visité. Bien avant que l’avion ne se soit déposé, il est déjà orné de photographies imaginaires. Le voyageur voit d’avance le panier du pêcheur et le soleil blanc de l’Atlantique. Quant au Québec il constitue un point de passage : Montréal l’ancienne métropole détrônée par Toronto, ville des commencements, tremplin vers la capitale Ottawa. Il y a bien la vieille ville de Québec mais la rivière des Mille îles en Ontario a aussi un vestige de château construit par un richissime. Des châteaux il y en a plein en Europe et ce sont les chutes Niagara que l’on veut voir.
Quand on parle du rayonnement artistique du Québec à l’étranger, on oublie frivolement que le Cirque du Soleil ou un prix décroché par Robert Lepage, sont autant de phénomènes canadiens. Robert Lepage le disait d’ailleurs. Porté par le courant de sa prodigieuse carrière, tellement couronnée, il se voit, bon gré mal gré, comme un étendard de la fierté canadienne. Il est présenté comme un Canadien et l’ambassadeur n’est jamais loin dans le grand salon mondain recouvert de panneaux de nacre.
Le plus étonnant est de rencontrer des Coréens ou des Japonais qui ont étudié quatre ans au Québec et qui n’ont retenu qu’une conscience très diffuse d’avoir étudié au Québec. Si Mc Gill ou Concordia étaient leur point d’atterrissage, ils ont pu passer de nombreuses années à ne voir Montréal que comme la pointe du grand triangle canadien partagés par Toronto et Ottawa. Ils ont certes visité en suivant la voie du chemin de fer, le fameux axe est-ouest pendant les quelques semaines où ils avaient des sous et que le trimestre universitaire était terminé.
Le Québec est comme un homme que l’on regarde de dos. Il est fondu dans l’imaginaire canadien et même, il est gommé par lui. Un pays se reconnaît par l’espace mental que l’on porte en soi, la cartographie intérieure que l’éducation permet d’élaborer. Or le Canada se projette à l’étranger et au Québec comme la terre du mélange : visière en celluloïd ou borselinos, chapeau mou ou coupe mohawk, vous pouvez tout porter. Et tout le monde a un accent comme à New York à tel point que le touriste pressé voit le français comme un accent. The Ultimate Pizza se traduit Pizza Ultime mais le train emporte déjà avant même que le touriste ait pu voir que le Québec, cette région déclassée, a des régions.
Niagara crache des mètres cube d’eau. Les Rocheuses sont un formidable phénomène géologique. Toronto et Ottawa sont les grands organes. L’avenir est à l’Ouest. C’est un immense corps, la tête, le tronc et les membres et on dit qu’on s’y fiche des genres.
André Savard


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    3 juillet 2007

    La réforme Marois
    Monsieur Savard écrit :
    « On blâme Pauline Marois d’avoir piloté la réforme de l’éducation. Ce qu’on oublie c’est que ce n’est pas Pauline Marois qui a dit que les matières académiques devaient désormais s’organiser en fonction du petit cogito de chaque élève. Ce n’est pas Pauline Marois qui a voulu reléguer le savoir académique derrière les caprices du citoyen d’aujourd’hui. »
    Attention Monsieur André Savard, madame Pauline Marois a été comme beaucoup de ministres (et de très nombreux) à Québec qui n’écoutent que les hauts fonctionnaires. Les professionnels du gouvernement du Québec ne comptent pas beaucoup dans la balance à moins qu’ils n’écrivent ce que la ministre veut bien entendre. Pauline Marois a été sourde à de nombreux appels qui auraient pu lui être utiles. La haute fonction publique contrôle chaque ministère. Les sous-ministres en titre nommés par le premier ministre sont généralement tout puissants. De plus, les « petits » cabinets politiques couchent assez généralement avec la haute fonction publique, car la carrière de ces « faiseurs » d’élections en dépend. Très souvent, ces « petits » cabinets d’hommes et de femmes (cette garde rapprochée du ou de la ministre) contrôlent l’information et ils sont généralement serviles auprès de la haute fonction publique qui assure leur éducation administrative. À leur école, ils apprennent rapidement les règles non écrites qu’ils doivent suivre pour assurer leur carrière.
    Tout cela étant dit, les indépendantistes perdent quand même un temps fou à ne pas mettre en place une organisation solide capable de défier les consensus fédéralistes et l’Autorité fédérale.

  • Gaston Boivin Répondre

    2 juillet 2007

    Parfois on est comme sous l'impression qu'au gouvernement québécois et à la direction du ministère de l'éducation, il y a des fans de John George Lambton, mieux connu ici sous l'appellation de lord Durham, qui désirent vérifier le bien fondé de certaines assertions de son rapport de 1840 en les mettant en application, notamment celle-ci: "Un peuple qui veut demeurer sans histoire se fait un devoir d'évacuer le passé. Il s'assure ainsi de n'avoir aucun avenir": Méfions-nous de cette histoire citoyenne qui, à long terme, n'aura comme inéluctable résultat que de nous déposséder de notre héritage d'avant conquête et d'avant Confédération pour mieux nous faire accepter la nouvelle histoire qui commence avec le British America Act de 1867 et cette philosophie de la diversité de la population canadienne et du multiculturalisme sans cesse émergeante qui n'a que pour véritable but que de nous minoriser encore plus en nous ravalant à une entité parmis les nouvelles qui se sont greffées progessivement au pays depuis la conquête et plus massivement depuis 1840 et qui ont été utilisées par le conquérant anglais pour amplifier notre minorisation dans un monde toujours plus de langue anglaise, exactement comme l'avait recommendé lord Durham: Nous minoriser par l'immigration et parfaire notre assimilation en fondant la nation francophone d'Amérique dans la politique de la diversité canadienne et du multiculturalisme, nous réduire à n'être plus qu'une entité parmis plusieurs autres et ce à l'avantage de la nation canadienne anglaise. Ce sont sans doute les mêmes qui sont d'accord pour enseigner à nos enfants, dès le plus jeune âge, la langue anglaise dans l'espoir de mieux les bilingualiser le plus rapidement possible. Ils semblent inconscients du fait qu'ils ne feront par là , en peu de temps, deux ou trois générations tout au plus, que provoquer l'extinction même de notre peuple et nation, dont les individus, lorsqu'ils auront totalement et collectivement été bilinguisés, passeront, en l'espace de cette période, à l'autre langue et culture, puisque l'accès collectif à une langue et culture dominante par une minorité a toujours eu l'effet destructeur de l'entraîner à faire un usage de ce qui lui est le plus accessible dans son environnement, qui, en l'espèce, est celui d'une langue et d'une culture anglo-saxsonne en Amérique du Nord. J'en prends pour preuve ces jeunes artistes québécois francophones, que l'on voit parfois à la télévision, qui composent et chantent en anglais et, qui lors d'entrevues , nous expliquent qu'à la maison, ils ont été élevés totalement dans les deux langues, mais que par leur environnement, ayant été plus imprégnés de la culture musicale anglaise, ils se sentent plus à l'aise d'exprimer leur art dans cette langue. Finalement, si cela continue de même, on risque d'arriver par nous-mêmes, avec nous-mêmes, au même résultat que celui auquel est arrivé le Canada anglais avec la vaste majorité des francophones hors Québec: Une assimilation galopante! Aveuglés par leur désir de fédéraliser nos coeurs, certains des nôtres jouent avec le feu et risquent en peu de temps ce que le conquérant anglais, malgré ses tentatives constamment répétées, n'avaient pas encore pu réussir depuis plus de deux siècles!

  • Archives de Vigile Répondre

    2 juillet 2007

    Vous voulez donner l'impression que celà est le travail du PLQ seulement?
    Cette situation a été entretenue tout au long des mandats du PQ aussi, et Mme Marois vient de spécifier clairement qu'il n'y aura pas d'investissement pour changer quoi-que-ce-soit.
    Allez-vous enfin comprendre que ce n'est pas un parti politique qu'il nous faut, mais une institution, un lobby, pour représenter notre peuple majoritaire et influencer tous les partis politiques qu'ils soient au pouvoir ou non.