Après les bons vœux du Canada Uni

Chronique d'André Savard

Le premier ministre n’a pas attendu le premier juillet pour adresser ses bons vœux au Canada Uni. Pour saluer la Saint-Jean, Harper procède à un raplatissement en règle de la nation québécoise qu’il évite de nommer. Il parle de l’expérience québécoise, volet francophone qui donne « l’occasion de célébrer la langue et la culture française, préservée avec courage et dévotion et qui font partie du patrimoine de tous les Canadiens ».
Pendant ce temps, dans cette fraction du Canada uni qui est la nôtre mais qui appartient à tous les Canadiens, tous gardiens de notre patrimoine, on jongle pour échapper à l’emprise grandissante du Fédéral. On pense notamment déclarer notre souveraineté dans nos champs de compétence par le biais d’une Constitution québécoise. Ce serait un souhait constitutionnalisé pour que règne la modération intérieure dans le Canada uni.
Qui veut ça? Les trois principaux partis de l’Assemblée nationale ont assez de recherchistes pour savoir ce que l’on peut vouloir au Canada. Comme une Constitution québécoise a un pouvoir symbolique, pour que ce ne soit pas des paroles en l’air, ils espèrent un vote unanime. Si on stipule que le Québec détient des compétences souveraines, cela doit être dit avec suffisamment de force.
Il y a malheureusement un paradoxe à rechercher la force à travers l’unanimité. D’emblée les fédéralistes savent très bien que la direction du Québec est collégiale et que le marais risque de s’agrandir avec un Sénat basé sur la représentation régionale. L’ancienne direction provinciale peut très bien être remplacée par une nouvelle partagée par le Sénat et les provinces réunies, de leur côté, par le Conseil de la Fédération.
Fatalement, les nouvelles exigences de l’époque vont céder aux pressions de la croissance démographique dans l’ouest. Plus les régions du Canada uni se peuplent, plus les anciennes bonnes intentions seront troquées contre des nouvelles, plus précises, mieux définies en fonction du nombre grandissant de Canadiens qui participent d’un horizon culturel et linguistique différent du nôtre et dont l’intérêt politique apparaît, à leurs yeux, comme un bien en soi.
Les juridictions ne sont pas des enclaves. Le Canada traverse sans fin le Québec et les juridictions québécoises sont au service de cette pénétration. Avec l’adoption de l’enseignement de l’anglais en première année dans un contexte de pénurie des professeurs et le projet de refonte de l’Histoire pour diluer la tendance à en faire l’histoire d’une lutte contre l’hégémonie du conquérant, nous franchissons des étapes dans l’hybridation grandissante du Québec. Partant du principe que tout est dans la façon de le présenter, on se fait rassurant : les Québécois apprennent juste à se penser autrement comme un être en association.
On a dit et redit que le Québec devait changer le récit par lequel il prenait conscience de lui-même. En changeant notre rapport au passé on change notre rapport à notre identité, à notre vie. Les Québécois baignent constamment dans cette idée défendue par tant de tribuns fédéralistes que nous sortons maintenant d’une longue erreur, une erreur que nous devons piétiner à tout prix.
Les fédéralistes enfourchent, fréquemment et souvent systématiquement, ce cheval du renouveau identitaire. Les fédéralistes se gardent bien de mettre à jour les interdits canadiens qui se cachent sous ce soi-disant renouveau identitaire. Ce sont les Québécois qui sont représentés comme une nation sans papier, une nation qui attend et qui, en attendant, devient de plus en plus hybride au Canada.
Harper réitère dans son message de bons vœux que l’on s’apprête à célébrer une fête qui a vu le jour bien avant ce qu’il nomme faussement la « confédération ». Et en guise d’exemple, il rappelle que « l’année prochaine nous célébrerons le 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec et de l’État canadien. » Il n’y a plus qu’à conclure que la nation québécoise n’est pas prioritaire par nature, que son patrimoine est sous l’égide du Canada mais qu’à titre de fondatrice du Canada, la nation québécoise doit se solidariser avec la ligne d’innovation politique du Canada qui, elle, lui échappe et lui échappera toujours davantage.
On en a empêché d’abord les francophones d’avoir un pays français par les armes. Maintenant on présente l’assimilation du Québec dans le Canada uni comme le fruit d’une lutte bienveillante contre toute législation discriminatoire. On dit craindre que l’existence spécifique du Québec module les rapports entre les groupes ethniques sur la base de désavantages mutuels. À tel point que la nation québécoise et ses représentants élus administrent pour prévenir toute accusation.
À peine réélu, le gouvernement Charest met Montréal en position de tutelle. Le Québec témoigne ainsi de sa tendance à se redoubler constamment. Il veille à produire des instances pour se contrecarrer juste au cas où il pourrait pencher vers des comportements abusifs. On part du principe qu’être Québécois c’est être un maillon et qu’on est quitte à traîner toute la chaîne devant soi. Chacun proposera un plan dans son secteur et on prendra des super-engagements pour ne rien soumettre de force.
Puisque la nation québécoise existe dans un Canada uni, elle ne doit pas se centrer sur elle-même, répète la chanson en sourdine. La règle présumée c’est d’accéder à un degré supérieur d’écoute par rapport à l’autre. D’un même souffle on soutient qu’il ne faut pas s’emprisonner dans les vieilles catégories entre anglos et francos. Pourtant il est dans la logique même du combat fédéraliste de ne faire que cela.
On est englouti année après année par cet ultimatum : comme Québécois ou vous travaillez à l’effacement de vos frontières ou vous collaborez pour que les anglophones puissent garder les leurs. Les mesures sont arrêtées en fonction de cet ultimatum. Le sort qui attend les initiatives montréalaises le montre bien. Les délais sont fixés par un groupe de collaborateurs, s’il vous plaît, et on veillera, si jamais les francos sont en surnombre, à frayer un droit de passage pour le représentant fédéral, lequel pourra calmer le jeu.
Après tout, le Fédéral est le garant contre les abus de l’autorité dans la belle province. Si jamais des représentants, susceptibles d’être soupçonnés de rétrécissement ethnique québécois, pensent à une réalisation d’un plan quelconque sans avoir dûment calculé le pourcentage et l’excédent à verser, ils seront mieux d’obtempérer avant que le manque présumé fasse l’objet d’un scandale dans la presse anglophone. Si c’est perçu comme trop iniquement québécois, ce sera disqualifié comme étant tombé sous l’influence dissolvante du chauvinisme québécois pourri.
Donc on recrée à la sauvette un pendant structurel qui est censé nous surveiller. Pour montrer patte blanche, on se soumet à des relations de pouvoir qui ont mission de circonscrire le sujet collectif québécois et ce, même à des niveaux qui procèdent de l’autorité québécoise. On le fait à Montréal, on le reproduit avec plus ou moins de nuances à peu près partout.
Le dessin de la spirale assure que les anneaux supérieurs ne subordonneront pas indûment et qu’en cas de pépin, le niveau supérieur n’aura qu’à passer au niveau inférieur pour débloquer la situation. S’il y a mésentente, le cycle est bouclé et on en appelle au pouvoir de surveillance. Décidément, la nation québécoise est en marche pour le fédéralisme intégral.
André Savard


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    27 juin 2007

    Madame Ferretti,
    La roue ne cesse d'être redécouverte parce que nous laissons le bazou du PQ ou du BQ nous conduire où il veut bien aller. Tant et aussi longtemps que quelqu'un ne se lèvera pas, entouré de gens sérieux et compétents, pour mettre un holà à ce cirque, la roue continuera de tourner. Et les trourniquets du vaudeville ne cesseront de virvolter...les gradins, se remplir. Et les badauds d'applaudir. Le plus beau crique est celui de Pauline Marois. Il y a 18 mois, on lui refusait la scène. Ce soir, ils seront tous là pour l'applaudir. Et dire que Gilles Vigneault y sera. Là, c'es le comble...
    Et si on s'y mettait.
    Nestor Turcotte
    Matane

  • Archives de Vigile Répondre

    25 juin 2007

    Nous n'avons pas fini de redécouvrir la roue.
    Celle qui, à l'instar du Bloc québécois, fait marcher le Canada en cinquième vitesse.
    Celle qui, à l'instar du Parti québécois, y glisse un grain de sable de plus en plus petit, espérant son inefficacité, tout en proclamant son utilité.
    La roue, grande invention de l'humanité révolutionnaire.
    La roue, emploie réactionnaire par le BQ et le PQ du sur-place.
    Andrée Ferretti.