Un passé bien québécois

Afd877dc7b55045e7fb961f556db2f7e

L'esclavage au Québec : un phénomène marginal concernant surtout les adversaires de nos alliés autochtones

Février est le Mois de l’Histoire des Noirs ; depuis 1926 aux États-Unis, 1995 au Canada et 2006 au Québec. Ce mois a été choisi en l’honneur de deux héros des luttes abolitionnistes au sud de notre frontière : Frederick Douglas et Abraham Lincoln, tous deux nés en février.


Quels sont les liens entre l’histoire noire américaine et la nôtre ? Il y en a plusieurs ; le Québec et le Canada sont beaucoup plus proches de ce récit que nous ne le pensons. Au 19e siècle, près de 30 000 esclaves ont fui les plantations américaines pour venir se réfugier dans ce qui s’appelait alors l’Amérique du Nord britannique. Plusieurs d’entre eux s’établiront dans le Haut-Canada, à Montréal et dans les Maritimes.


Ces communautés noires bourgeonnantes seront un terreau fertile pour bien des personnages qui s’illustreront des deux côtés de la frontière : Harriet Tubman, la Moïse du peuple noir, vivra quelque temps à St. Catharines en Ontario ; Anderson Ruffin Abbott, natif de Toronto et premier médecin canadien noir, participera à la guerre de Sécession ; Mary Ann Shadd, Américano-Canadienne, sera la première femme au Canada à publier un journal ; Alexander Grant, premier activiste noir du Bas-Canada, est lui aussi né aux États-Unis avant de s’installer à Montréal.


Cependant, au-delà des États-Unis, l’histoire de la présence noire ici a ses racines profondément ancrées dans les débuts de la colonie française. Pensons à Mathieu Da Costa, l’interprète de Samuel de Champlain. Da Costa, un homme libre, était chargé du truchement (la traduction) entre les Autochtones et les Européens à Port-Royal au début des années 1600.


C’est une vingtaine d’années plus tard qu’arrive le premier résident africain du Canada et premier esclave : Olivier Lejeune. Ce dernier, natif de Madagascar, fut amené par les frères Kirke lors de la prise de Québec en 1629. Outre son statut d’esclave, il sera l’un de nos premiers étudiants dans toute l’histoire académique canadienne ; il demeurera à Québec toute sa vie, jusqu’à son décès en 1654.


L’esclavage autochtone et noir dans la vallée du Saint-Laurent


L’esclavage a bel et bien eu lieu sur notre sol : 4185 esclaves sont répertoriés dans notre histoire, les deux tiers étaient des Autochtones, pour la plupart provenant de la région des Grands Lacs, et l’autre tiers, des Noirs, achetés dans les Treize colonies ou dans les Antilles. Ces derniers étant vendus deux fois plus cher que sa contrepartie autochtone, ils deviendront un symbole de richesse et de statut social. La nature de l’esclavage au Québec était résolument domestique ; n’ayant pas de grandes plantations agricoles comme dans le reste des Amériques (sucre, coton, tabac), l’esclave s’occupe alors surtout des tâches ménagères.


En prenant la fuite en février 1798, Charlotte, l’esclave de Jane Cook, était loin de se douter qu’elle allait contribuer à la fin de l’esclavage au Bas-Canada. Effectivement, prétextant un manque de clarté des lois à ce propos, le juge James Monk refusa de la condamner et réitéra cette position pour chaque esclave fugitif comparaissant devant lui. Vu le nombre restreint de ces derniers sur notre territoire, quelques années suffirent afin de rendre cette pratique obsolète. L’Empire britannique emboîta le pas en 1834, la France en 1848 et les États-Unis en 1865.


Mais où sont-ils passés ?


Qu’en est-il de cette présence noire historique qui nous semble avoir disparu avec le temps (assurément de nos livres d’histoire) ? Plusieurs réfugiés ayant fui les États-Unis au 19e siècle y retourneront après la fin de la guerre de Sécession ; certains quitteront le Québec vers l’Ontario ; et, à travers les mariages mixtes, les générations subséquentes deviendront tout à fait blanches. C’est le cas, entre autres, des descendants de John Trim et de William Wright, tous deux anciens esclaves à Montréal.


Le code génétique québécois étant parsemé de notes autochtones, françaises, britanniques, irlandaises et écossaises (et bien d’autres aujourd’hui), nous pouvons aussi y ajouter des accents noirs via les États-Unis, les Antilles ou l’Afrique, et ce, depuis des siècles. Parler, et surtout se souvenir, de l’esclavage au Québec n’est pas un exercice de culpabilisation, mais plutôt de réflexion sur la pluralité de notre identité et de notre histoire, surtout à un moment où ces questions sont omniprésentes sur la place publique.


Le Mois de l’Histoire des Noirs est l’occasion de se rappeler ces faits méconnus de notre passé, mais, ultimement, il faudra les extirper du mois de février afin de les considérer comme faisant tout simplement partie de notre histoire commune et collective.