Zone euro

Un pacte aux contours flous... sans les Anglais

La Banque centrale européenne refuse toujours d'intervenir massivement pour sauver l'euro

Crise du capitalisme - novembre décembre 2011


Paris — Même s'il demeure encore imprécis, le projet de pacte de rigueur budgétaire réclamé par la chancelière allemande Angela Merkel a été adopté hier par les 17 membres de la zone euro. Réunis à Bruxelles dans ce nouveau «sommet de la dernière chance», les 17 ont dû se résoudre à aller de l'avant faute de pouvoir s'entendre avec la Grande-Bretagne et un certain nombre de pays qui ont préféré consulter leur Parlement avant de prendre position.
Alors que les agences de notation menacent de revoir à la baisse la note de crédit de tous les pays de la zone, les 17 ont décidé de conclure un nouveau traité ad hoc d'ici le mois de mars dans lequel ils s'engageront à respecter une discipline budgétaire plus stricte. Ils se sont aussi entendus pour débloquer 200 milliards d'euros afin que le Fonds monétaire international (FMI) puisse soutenir la dette des pays en difficulté.
Comme le réclamaient Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, les membres de la zone euro ont donc promis hier de rétablir l'état de leurs finances publiques. En cas de dépassement des nouvelles règles inscrites dans ce nouveau traité, ils pourront être l'objet de sanctions dites «quasi automatiques», mais toujours annulables par le Conseil européen. Faute de pouvoir modifier le traité de Lisbonne (adopté à 27), la Commission européenne n'aura aucun droit de pilotage sur les budgets nationaux et devra se contenter d'émettre des avis. Les pays se sont aussi engagés à faire adopter par leur Parlement une règle d'équilibre budgétaire. Un processus qui devrait prendre des mois.
Et les mesures d'urgence?
Les dirigeants européens ont été moins diserts en ce qui concerne les mesures d'urgence pourtant attendues par tous. Alors que les yeux du monde entier sont tournés vers la Banque centrale européenne (BCE), on n'a pas entendu un mot hier sur le fait qu'elle puisse se porter garante de la dette des pays en difficulté. Pas un mot non plus des euro-obligations que proposait la France il y a quelques semaines à peine, mais dont l'Allemagne ne veut pas entendre parler. «Nous espérons reparler de ce sujet lorsque la tempête sera passée», a simplement déclaré le président de l'Union européenne, Herman Van Rompuy.
Tout au plus a-t-on appris que, d'ici une à dizaine de jours, les pays membres de la zone euro allaient renflouer le FMI de 200 milliards d'euros pour que celui-ci vole au secours des pays qui, comme l'Italie ou l'Espagne, pourraient se trouver en difficulté. Cet argent sera composé de «prêts bilatéraux» des États européens, a précisé la chancelière allemande sans plus de précision. Il ne viendra pas de la BCE a renchéri le président de celle-ci. Jeudi, Mario Draghi avait affirmé son opposition à une intervention massive de la BCE appelant plutôt les gouvernements européens à «faire le maximum».
En attendant, la BCE se contentera donc de devenir le gestionnaire du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et, plus tard, du Mécanisme européen de stabilité (MES), ces deux fonds n'ayant pour l'heure pas de licence bancaire. Pour ne pas mettre en péril leurs banques, les pays de la zone euro ont aussi renoncé à leur imposer d'éponger une partie de la dette des États défaillants, comme ils l'avaient fait pour la Grèce.
Véritable architecte de ce nouveau pacte, Angela Merkel s'est réjouie du «bon résultat». «Nous allons bâtir une union budgétaire pour l'euro qui sera en même temps une union de stabilité», dit-elle. Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a estimé que cette entente représentait «la base pour un pacte budgétaire avec plus de discipline dans les politiques économiques des États membres». Même son de cloche du côté de la directrice générale du FMI. Christine Lagarde salue des mesures qui vont «clairement dans la bonne direction».
Un «replâtrage»?
Même si les indices boursiers européens ont semblé saluer ces décisions en repartant à la hausse, peu d'observateurs ont estimé qu'elles pourront calmer durablement les marchés. Plusieurs n'ont pas manqué de souligner le flou qui entoure nombre d'entre elles. Personne ne sait en effet quand ces mesures de discipline budgétaires seront mises en pratique puisqu'elles dépendent de l'adoption d'un nouveau traité qui devra être ratifié dans chaque pays. Personne ne sait non plus quand ces pays seront en mesure de respecter leur engagement à ne pas faire de déficits de plus de 3 % ni où ils trouveront les ressources, surtout en cas de récession.
«C'est un accord de court terme, de replâtrage», a estimé le député français du centre Hervé Morin. L'ancien premier ministre belge (libéral-démocrate) Guy Verhofstadt a dit douter «que cela suffise à résorber la crise dans l'immédiat. Il n'y a pas de mention que la BCE puisse intervenir plus massivement comme prêteur, ni d'euro-obligations, ni même de caisse d'amortissement pour la dette excessive. Ce n'est pas encore ce dont nous avons besoin».
Les termes définitifs du nouveau traité ne devraient pas être connus avant le mois de mars. D'ici là, de nombreuses divergences pourraient apparaître comme ce fut le cas lors de la création du FESF. Pour empêcher les petits pays d'en bloquer l'adoption, la ratification n'exigera pas l'unanimité, mais 90 % des voix. Il s'agit d'un accord qui est «étroit, flou et ne répond pas à l'urgence de la crise», estiment les anciennes ministres socialistes françaises Catherine Trautmann et Élisabeth Guigou. «Nous resterons extrêmement vigilantes sur sa mise en oeuvre.»
L'adoption par chacun des Parlements d'une règle d'équilibre budgétaire, appelée en France «règle d'or», risque en particulier de ne pas être une sinécure. Seules l'Espagne et l'Allemagne en ont une, la règle allemande contenant d'ailleurs de nombreuses clauses d'exception. En France, les socialistes y sont opposés. Son adoption, si elle intervient un jour, sera donc suspendue au résultat de l'élection présidentielle, a averti le président Nicolas Sarkozy.
Londres isolée
On savait que la Grande-Bretagne n'était pas disposée à accepter une révision des traités sans obtenir d'importantes concessions en échange. Le clash s'est produit jeudi soir, dès l'ouverture du sommet. Parmi les dix membres de l'Union qui n'ont pas adopté l'euro, la Hongrie et la Grande-Bretagne ont opposé leur veto alors que les autres ont souhaité consulter d'abord leur Parlement. En échange, la Grande-Bretagne exigeait un protocole exemptant la City de plusieurs règles européennes sur les services financiers. Elle voulait notamment être dispensée du contrôle des autorités européennes de surveillance financière crées après la crise américaine des subprimes.
«Je ne pouvais pas présenter ce nouveau traité devant notre Parlement», a déclaré le premier ministre David Cameron. Plus tard, son ministre des Affaires étrangères, William Hague, a estimé qu'«en évitant un nouveau traité ou des amendements aux traités», la Grande-Bretagne s'assure «que les décisions clés» qui la concernent seront «toujours prises par les 27» et non pas par un groupe restreint. Le ministre dit refuser «l'idée d'une Europe à deux vitesses».
Les dirigeants européens prévoient que le Royaume-Uni pourrait se retrouver complètement isolé d'ici l'adoption du traité. Selon un communiqué publié hier à la fin du sommet, «les chefs d'État et de gouvernement de la Bulgarie, du Danemark, de la Hongrie, de la République tchèque, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Pologne, de la Roumanie et de la Suède [qui ne sont pas membres de la zone euro] ont évoqué la possibilité de rejoindre ce processus après consultation de leur Parlement le cas échéant». Si cette volonté devait se concrétiser, il s'agirait donc d'un traité à 26, mettant ainsi la Grande-Bretagne dans une situation très difficile.
À moins que l'adoption ne traîne encore quelques mois. Elle pourrait alors inclure la Croatie, qui a officiellement signé hier le traité d'adhésion à l'Union et en sera membre le 1er juillet prochain.
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Correspondant du Devoir à Paris


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