Elkem à Beauharnois

Un héritage industriel toxique au bord du lac Saint-Louis

Actualité québécoise 2011


Pendant que le Québec se braquait sur les gaz de schiste au début de l'automne, une enquête du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) prenait la mesure d'un des pires héritages industriels de la région de Montréal, soit les terrains et la berge de l'ancienne usine de ferromanganèse d'Elkem, à Beauharnois.
Le rapport du BAPE, rendu public la semaine dernière — 20 ans après la fermeture de l'usine —, propose de restaurer la totalité des terrains de l'ancienne usine de Union Carbide achetés en 1984 par la société norvégienne Elkem Metal Canada, et non seulement les berges, comme la compagnie le propose.
Le BAPE estime aussi que les sédiments contaminés du lac Saint-Louis, en face du site, doivent être «retirés afin de rendre le secteur compatible» avec les projets de la Ville, qui veut y développer un complexe récréatif d'envergure internationale. Cette proposition supplémentaire du BAPE fait suite à la découverte par Environnement Canada d'une «très forte contamination par les dioxines et furannes, par les HAP [hydrocarbures aromatiques polycycliques] et par divers métaux» dans ces sédiments en 2008. Cette famille de toxiques regroupe parmi les pires molécules cancérigènes et mutagènes connues.
Le BAPE n'explique pas, cependant, pourquoi la décontamination des terrains d'Elkem n'est pas terminée, 20 ans après la fermeture de l'usine et l'ordre de nettoyer.
Quand Elkem a fermé ses portes, en 1991, le ministère lui a transmis des directives pour la gestion des matières contaminées aux BPC, de ses déchets dangereux solides, des réservoirs de carburants, de ses solvants, huiles usées ainsi que pour la gestion de ses sols contaminés.
Elkem s'est alors mise au travail pour les déchets et les matières dangereuses. Mais c'est en 2004, soit 13 ans plus tard, qu'Elkem a déposé l'«avis» réglementaire pour un premier projet de décontamination de la berge du lac Saint-Louis.
Ce projet consiste à retirer une partie des remblais de scories et à les vendre au recyclage. En l'absence d'acheteur, Elkem propose de confiner ses scories à l'intérieur du terrain, ce à quoi tout le monde s'est opposé en audience, de crainte que la rive nettoyée ne se retrouve de nouveau contaminée avec le temps.
Les premières analyses réalisées sur le site de l'ancienne usine ont révélé la présence de nombreux toxiques dans les sols, soit du zinc, du cadmium, des composés phénoliques, des HAP. En 1994, on découvrait que certains de ces contaminants avaient migré dans un terrain résidentiel voisin. Elkem estime avoir tout nettoyé. Mais, 20 ans plus tard, le ministère estime toujours que la décontamination n'est pas terminée. Il attend une caractérisation supplémentaire pour l'arsenic et les BPC ainsi que différents tests de lixiviation.
Quant aux sols contaminés, le rapport du BAPE précise que «la contamination des sols de surface par le manganèse y excédait généralement le niveau "C", soit la limite maximale acceptable pour les terrains à usage industriel avec des concentrations de 2 à 40 fois supérieures à celles mesurées dans les sols ruraux du secteur».
Après la fermeture de l'usine d'Elkem, les concentrations de manganèse dans l'air de la ville de Montréal ont chuté de 50 % en deux ans, a révélé une autre étude citée par le BAPE. Or ces particules en suspens sont les seules contre lesquelles le corps ne peut se défendre, car les poumons ne peuvent pas filtrer ces molécules, comme le fait notre système digestif pour le manganèse.
La même étude (Boudissa et al - 2006) a aussi mesuré les concentrations au sol sur les terrains d'Elkem.
«Les résultats, précise le rapport du BAPE, révèlent des niveaux moyens fort élevés de contamination de 266 277 ppm pour les strates de surface et de 283 001 ppm pour les strates subsurface. À cet égard, la commission note que des concentrations au-delà de 2200 ppm constitueraient des risques pour la santé humaine»
La qualité de l'air dans la zone avoisinant le site de l'ancienne usine «affiche des concentrations moyennes de manganèse de 440 fois la valeur de référence retenue par Santé Canada en matière d'exposition personnelle.»
Le site contiendrait 260 000 tonnes de scories. Certaines concentrations de manganèse excédaient par 265 fois le critère jugé sécuritaire sur un terrain industriel.
En amont de la berge, sur le terrain industriel lui-même, Elkem a mesuré des concentrations allant de 760 à 583 000 mg/kg de manganèse, les plus élevées se retrouvant près de la surface.
Un nettoyage complet coûterait entre 11 et 18 millions, précise le BAPE. S'il se limitait aux remblais de la berge, son coût serait de 2 à 3 millions.
Mais Elkem voudrait s'en tenir à une restauration de la berge à un coût de 350 000 $, si elle ne trouve pas d'acheteur, plutôt qu'à un nettoyage plus vaste de la rive, évalué à 600 000 $.
Selon le commissaire Qussaï Samak, qui présidait la commission d'enquête du BAPE, «le rétablissement de la berge dans son état naturel constitue une obligation qu'Elkem se doit d'honorer» en vertu des principes pollueur-payeur et d'internalisation des coûts, inscrits dans la Loi sur le développement durable. Une fois nettoyée, la rive pourrait ainsi reprendre son allure originelle et redevenir un site intéressant pour les poissons et la sauvagine.
Le BAPE estime donc «que la restauration complète du site de l'ancienne usine est pleinement justifiée, non seulement par son taux très élevé de contamination, mais également afin de garantir la durabilité de la restauration de la berge située en aval hydraulique du site». D'autant plus, rappelle la commission, que la Ville de Beauharnois veut faire de ce site, une fois qu'il sera restauré, un centre récréatif et nautique de calibre international.


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