Un grand dérapage électoral?

Bilan au terme de cinq semaines de campagne difficile

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Le suspense jusqu'à la fin

Le marathon tire à sa fin. Les traits tirés, la voix usée, les chefs achèvent une campagne électorale dure, marquée par des accusations contre l’intégrité de leurs opposants, qui a laissé sur leur faim des électeurs désabusés.
Elle a été bizarre et a déjoué tous les pronostics, cette campagne électorale. La chef péquiste, Pauline Marois, a déclenché la bataille avec une confiance affichée de remporter la majorité des sièges, mais se retrouve 32 jours plus tard au bord du gouffre, dans une lutte serrée contre le coriace Philippe Couillard, du Parti libéral du Québec (PLQ).
Ajoutant au suspense, François Legault (Coalition avenir Québec) et Françoise David (Québec solidaire) finissent la course à plein régime — contre toute attente — en offrant un refuge aux électeurs déçus des « vieux partis ». Ils semblent nombreux, ces électeurs « orphelins ». Le regain d’énergie des petits partis augmente la probabilité d’un autre gouvernement minoritaire, 19 mois après le scrutin de septembre 2012.
Afficher ses couleurs
À défaut d’avoir été palpitante, la campagne est venue rebrasser les cartes, en forçant les partis à afficher leurs couleurs. Le Parti québécois (PQ) s’est fait prendre à son propre jeu avec l’arrivée-surprise de Pierre Karl Péladeau, le poing levé, dans la bataille pour « faire du Québec un pays ». L’entrée en scène de cette grosse pointure du monde des affaires a transformé la campagne en élection quasi référendaire : les électeurs fédéralistes, majoritaires, se sont rués vers les libéraux par crainte d’un référendum. Le PQ et la CAQ de François Legault ont subi une saignée.
Pauline Marois a eu beau répéter qu’il « n’y aurait pas de référendum tant que les Québécois n’en voudront pas », le mal était fait. Le Parti québécois a passé les trois dernières semaines de la campagne à tenter de recentrer le message. Mme Marois a parlé d’économie, d’intégrité et de défense de l’identité québécoise. Dans un geste apparemment désespéré, la chef péquiste a même promis des baisses d’impôt en cas de retour des surplus budgétaires, à quatre jours du vote, après avoir martelé durant des semaines que les finances du Québec sont en équilibre précaire.
«Lançage de bouette»
Plus important encore, Pauline Marois a attaqué sans relâche le bilan des neuf années de gouvernement libéral sous Jean Charest : « Voulez-vous vraiment revenir à ça ? » À partir du premier débat télévisé, à la mi-campagne, le ton a changé et le « lançage de bouette », pour reprendre l’expression consacrée, a dominé les échanges. Tous les chefs l’ont fait, à des degrés divers.
« Ce qui est nouveau avec cette élection, c’est que les chefs ont remis en cause l’intégrité personnelle de leurs opposants — à tort et à travers, certainement », dit Denis Saint-Martin, professeur au Département de science politique de l’Université de Montréal.
« C’est la moins québécoise des élections que nous avons eues depuis longtemps. On assiste à l’américanisation de la politique. Une politique du scandale », estime-t-il.
Tout est devenu bon pour salir l’adversaire, selon M. Saint-Martin : les placements de Philippe Couillard à l’île de Jersey, les filiales de Québecor au Delaware, les techniques de financement électoral de Claude Blanchet, mari de Pauline Marois, les arrestations à venir par l’Unité permanente anticorruption (UPAC), les enquêtes du Directeur général des élections (DGE) sur le financement des partis…
« Les partis politiques utilisent les institutions censées être garantes de l’intégrité comme des armes de combat partisan », affirme Denis Saint-Martin. Plusieurs attaques lancées contre l’éthique des candidats étaient d’intérêt public, mais les insinuations et allégations gratuites éclaboussent l’ensemble de la démocratie. Et on n’a encore rien vu : le temps n’est pas loin où un candidat aux élections sera embarrassé par une histoire d’adultère, sujet tabou jusqu’à maintenant au Québec, mais qui fait les manchettes aux États-Unis et en France, notamment, rappelle le professeur.
« Avec les standards d’intégrité imbéciles qui prennent place, je ne suis pas sûr que René Lévesque pourrait être premier ministre de nos jours. Il a été un chef exceptionnel, mais il jouait au poker avec des gens louches ! » dit-il.
Pourquoi voter?
Oui, la campagne a été sale, mais la politique a toujours été un milieu dur, nuance de son côté Éric Montigny, professeur au Département de science politique de l’Université Laval. « Quand j’entends que c’est une des campagnes les plus dures de l’histoire du Québec, il faut mettre les choses en perspective. René Lévesque faisait campagne avec un lutteur [Johnny Rougeau] à ses côtés à cause de la violence dans les bureaux de scrutin », dit-il.
Le revers de la médaille, c’est que la campagne négative risque d’augmenter le désabusement des électeurs. Et de diminuer l’envie de voter. Le taux de participation anémique aux élections de 2008 — 57,43 %, le plus bas en 70 ans — a laissé croire aux analystes que les Québécois se désintéressaient de la démocratie.
En 2012, les trois quarts des électeurs (74,6 %) s’étaient rendus aux urnes, mais le printemps érable avait agi comme un puissant motivateur, tant pour les adversaires que pour les partisans du gouvernement Charest. Cette fois, on cherche encore la fameuse « ballot question », l’enjeu principal de la campagne, qui donnerait envie aux gens d’aller mettre un X sur leur bulletin de vote.
Pour certains, c’est le référendum sur la souveraineté du Québec. Pour d’autres, la charte de la laïcité. D’autres évoquent l’intégrité, l’économie, la justice sociale. Chose certaine, la tentation sera grande, pour une partie des 5 991 361 électeurs, d’envoyer un message en restant chez eux le jour du scrutin. Ça risque de réjouir Philippe Couillard : l’histoire récente démontre que plus le taux de participation est faible, plus le Parti libéral a de chances de gagner.


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