Chers internautes,
Je vais continuer de déposer sur ce blogue des éléments d’analyse sur l’élection d’avril 2014, afin de contribuer à un débat éclairé pour la suite. N’hésitez pas à m’alimenter dans la section commentaires.
D’abord je reviens sur ce que l’on sait du comportement des électeurs.
Les déplacements d’électeurs entre les partis
Merci à la blogueuse Jeanne Émard d’attirer mon attention sur un sondage Ekos de fin-mars début-avril, dont les résultats étaient proches du vote final. Les sondeurs ont demandé aux électeurs quel avait été leur vote de 2012 pour mieux comprendre leurs déplacements.
Voici où sont allés les électeurs de 2012 de chaque parti, et la distribution des nouveaux électeurs de 2014:
C’est donc le PLQ qui a, de loin, le mieux retenu ses électeurs et qui a raflé 51% des nouveaux électeurs. Le PLQ a réussi à attirer vers lui plus du quart du vote 2012 de la CAQ… et de Québec Solidaire ! Mais seulement 7% du vote péquiste.
Dans les transferts PQ-CAQ, la CAQ l’a emporté: 19% des Péquistes ont voté CAQ alors que seulement 9% des Caquistes ont voté PQ.
À noter que 11% des ex-électeurs péquistes ont voté QS et 10% des ex-QS ont voté PQ, ce qui donne à QS un gain dans ce transfert, car il a obtenu 11% d’une tarte péquiste nettement plus grosse.
Voici maintenant l’image inversée: d’où provenaient les électeurs de chaque parti? Le segment noir représente les nouveaux électeurs ce qui répartit différemment les proportions:
Ici, le gain principal du PLQ provient de nouveaux électeurs (16%), d’électeurs de la CAQ (11%) puis d’électeurs du PQ (6%).
Mais on est frappé par la volatilité des électeurs de la CAQ et de QS. Ils n’avaient réussi à retenir que 55% de leurs électeurs de 2012 et réussissent à compenser, en 2014, principalement par du vote péquiste, puis par du vote nouveau ou libéral.
J’écrivais le 9 avril qu’il y avait transfert de vote francophone du PQ vers le PLQ. Les données d’Ékos indiquent plutôt que ce transfert s’est fait par effet de vases communicants. Peu de départs directs du PQ vers le PLQ. Plutôt des départs du PQ vers la CAQ et QS, compensés par des départs de ces deux partis vers le PLQ, pour un gain libéral net.
Çà ne change rien au résultat final, mais c’est rassurant sur la cohérence politique des électeurs péquistes de 2012. Ils ont quitté le PQ pour des partis nationalistes voisins — la CAQ et QS — pas pour le parti canadien de Philippe Couillard. Cela donne une idée du degré de difficulté pour la suite. Il serait moins difficile de les ramener au PQ à partir de ces partis voisins qu’à partir du PLQ.
Les motivations des électeurs
Il est important de connaître les thèmes qui ont motivé les électeurs. À ma connaissance, le sondage IPSOS de fin de campagne a été le seul à donner une palette assez large de choix aux sondés. Chacun a pu choisir dans la liste un premier et un second choix. Je les ai additionnés ici. Bizarrement, et cela peut biaiser le résultat, il y avait deux réponses possibles sur la corruption: la volonté de se battre contre la corruption et la volonté d’avoir un gouvernement et des leaders intègres. Je les ai combinés. Les totaux dépassent donc 100%.
Deux remarques sur ce tableau. Il ne nous dit qu’une chose: ce qui a motivé les électeurs de chaque parti. Les totaux (colonne de gauche) concernent les francophones seulement. Les résultats par partis incluent les anglos, mais ils sont essentiellement présents dans les réponses du PLQ. (En détails, chez les Anglophones, les chiffres sont: 96% contre un référendum, 52% pour l’emploi, 49% contre la Charte, 30% contre la corruption.)
Le vote libéral a été propulsé, dans l’ordre, par: 1) le rejet du référendum; 2) l’économie et l’emploi; 3) le rejet de la charte; 4) la volonté de meilleurs soins de santé. Résultat: le PLQ a joué chacun de ces enjeux à plein et a eu les résultats souhaités. Il aurait pu avoir plus de voix sur un de ces thèmes, l’emploi, mais la CAQ a aussi possédé cet enjeu.
Le vote péquiste a été propulsé, dans l’ordre, par: 1) les enjeux d’intégrité et de corruption; 2) l’appui à la charte; 3) la volonté d’avoir un référendum; 4) loin derrière, l’économie et l’emploi. Comme le questionnaire parle de « la charte du PQ », on ne peut savoir si les électeurs auraient appuyé la version de la charte d’un ou l’autre des partis, donc si le PQ a fait le plein d’électeurs pro-charte. On voit cependant que, même s’il est fort sur la question de l’intégrité, beaucoup d’électeurs préoccupés par cette question sont allés à la CAQ et à QS.
Le vote caquiste a été motivé, dans l’ordre, par: 1) les enjeux d’intégrité et de corruption; 2) la promesse de baisser les impôts, où la CAQ domine nettement; 3) l’économie et l’emploi; 4) le déficit et la dette, second sujet où la CAQ domine nettement. Compte tenu de ces forces, la CAQ a perdu des électeurs au PLQ sur le sujet de l’économie.
Le vote solidaire est plus difficile à saisir, car il est possible que le questionnaire ne reflète pas adéquatement ses priorités. Le fait que la question sur la souveraineté ne porte que sur le projet du PQ ne permet pas, non plus, de juger de la motivation souverainiste des électeurs de QS. Tout de même, avec les données disponibles, on voit que le vote QS est propulsé par: 1) l’intégrité et la corruption; 2) l’environnement; 3) de meilleurs soins de santé; 4) étonnamment, la baisse des impôts. Un thème solidaire était proposé aux sondés, l’opposition au gaz et pétrole de schiste. Il n’a motivé qu’un mince 11% de sa base (et seulement 3% de l’électorat total). Étonnant.
Qu’en conclure ?
Évidemment, il serait encore plus utile de connaître les motivations des électeurs qui sont passés du PQ vers la CAQ et QS et de ces deux partis vers le PLQ. Mais on ne peut pas tout avoir.
Au moins, ces chiffres montrent que les thèmes mis de l’avant par les partis ont eu de la résonnance dans l’électorat en général et chez leurs électeurs-cible en particulier.
Le PQ a gagné la bataille de la charte mais perdu la bataille de l’emploi. Il aurait pu faire davantage de gains sur la santé — rien n’autorisait le PLQ a l’emporter. Il aurait pu faire davantage de gains sur l’économie — toujours difficile car c’est la marque de commerce usurpée, certes, mais marque quand même du PLQ. Reste que d’avoir mieux mis de l’avant trois idées économiques péquistes: transports électriques, pétrole québécois et les gazelles, aurait pu permettre de se distinguer.
Mais en mobilisant sur lui la quasi totalité des votes anti-référendaires, le PLQ a pris un avantage marqué.
Comprendre le choc d’avril 2014 (suite)
{{Le PQ a gagné la bataille de la charte mais perdu la bataille de l’emploi}}
Jean-François Lisée297 articles
Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québ...
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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.
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