La saga du recensement

Un gouvernement qui ne veut pas savoir

Recensement 2011

Texte publié dans Le Devoir du mardi 27 juillet 2010

La lettre de Maxime Bernier qui a été publiée la semaine dernière nous a révélé peu de nouvelles informations, mais elle permet de mieux cerner les principales raisons qui auraient motivé la décision du gouvernement Harper de faire du questionnaire long du recensement une enquête à participation volontaire.

À la base de cette décision, il y a la perception par les membres de ce gouvernement que le questionnaire long, dans sa version précédente ou dans sa nouvelle version, serait inutile, voire nuisible à la gestion des administrations publiques au Canada. Maxime Bernier qualifie les questions d'importunes. Selon le dictionnaire, cela veut dire qu'elles sont embêtantes et indésirables.

Si tel est le cas, pourquoi le gouvernement Harper n'a-t-il pas décidé d'abolir tout simplement ce questionnaire ? Il aurait ainsi évité une divergence sur le plan technique avec Statistique Canada. Je pense que le gouvernement a effectivement pris cette décision et qu'il a choisi de le faire en deux étapes. Dans la première étape, il fait d'une enquête à participation obligatoire une enquête à participation volontaire, il dénigre publiquement la valeur de cette enquête et il gagne des points sur le plan électoral en se présentant comme le grand protecteur de la vie privée des Canadiens. Il est même prêt à défrayer un coût supplémentaire pour cette enquête lors du recensement de 2011. Dans la seconde étape, suite à un taux de participation très faible durant le recensement de 2011, il l'éliminera en disant que les Canadiens n'en veulent pas.

La décision de faire du questionnaire long un sondage à participation volontaire s'explique donc beaucoup plus par la perception du gouvernement que les données provenant de ce questionnaire sont nuisibles que par le désir de protéger la vie privée des Canadiens. Cette explication est cohérente avec le fait que le gouvernement a maintenu le caractère obligatoire et les pénalités de s'y conformer pour le questionnaire court du recensement et pour les autres enquêtes de Statistique Canada (comme l'Enquête sur la population active) qui posent, elles aussi, des questions d'ordre privé aux Canadiens.

La lettre de Maxime Bernier nous éclaire aussi sur la perception négative des membres du gouvernement Harper sur la contribution de cette enquête à la gestion de nos administrations publiques. Disons d'abord que cette perception n'est aucunement reliée à la piètre qualité des données recueillies par le passé. De mauvaises données auraient pu être à la source de mauvaises évaluations de problèmes socioéconomiques. En fait, Maxime Bernier redoute la grande qualité de cette enquête qui a donné des arguments solides à ceux qui l'ont utilisée. Que peut-on conclure ? Le gouvernement ne voudrait pas de cette enquête parce qu'il serait préférable de ne pas identifier certains problèmes affectant certains groupes de la population, évitant ainsi d'avoir à subir de fortes pressions pour mettre en place des mesures correctives particulières. Le gouvernement ne veut pas savoir. Il serait préférable de se fier à des politiques plus globales forçant aussi une plus grande intégration des citoyens. Le laisser-faire et la main invisible solutionneraient ces problèmes à long terme.

Maxime Bernier nous présente donc un gouvernement qui définirait ses politiques en fonction de la majorité « silencieuse » et qui laisserait les minorités avec un soutien minimum de l'État. Ce serait à eux de solutionner leurs problèmes et de mieux s'intégrer à la majorité. Cette approche semble manquer de flexibilité dans un pays où il y a une grande diversité de cultures, deux langues officielles, plusieurs nations et dix provinces et trois territoires qui ont leurs particularités.

Cependant, ce qui me dérange le plus dans cette vision du rôle du gouvernement, ce n'est de vouloir des politiques plus globales et de tenter d'éviter un éparpillement des actions gouvernementales. Ce qui me dérange le plus c'est que le gouvernement ne veut pas savoir s'il y a certains problèmes et qu'il ne veut pas que la population le sache s'il y en a. Le gouvernement Harper ne veut pas savoir, que ce soit dans le secteur de l'environnement, dans le domaine social, ou sur des questions aussi simples que l'impact budgétaire d'allonger les sentences du système carcéral canadien. Ceci apparaît également dans ses stratégies de communication où, au lieu de présenter une argumentation serrée basée sur des faits et des analyses de qualité, il s'en remet à des énoncés démagogiques comme le montre bien les propos suivants de John Baird qui se moque des questions choisies par Statistique Canada pour mesurer la taille et la qualité du parc domiciliaire au Canada : "I just think a lot of Canadians find it really offensive that big government steps in their lives, asking how many bathrooms they have in their house. I think it's ridiculous."

Auteur : Jean-Pierre Aubry

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Économiste avec plus de 35 ans d’expérience dont 30 ans à la Banque du Canada. Membre du Comité des politiques publiques de l’Association des économistes québécois Fellow associé du CIRANO





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