Un faux débat philosophique

Chronique d'André Savard


Il faut énormément se méfier de l'usage de la philosophie dans les discours officiels. La philosophie y fait partie des accessoires pour asseoir une perpective, définir les alternatives afin de monter une image. D'ailleurs l'image montée à l'aide de postulats philosophiques ne fait pas nécessairement plus réfléchir que les images courantes. Les énoncés philosophiques font partie de la fonction lyrique des Etats modernes.
N'importe quel chef d'Etat contemporain à commencer par Bush prononce plus souvent le mot « liberté » en une semaine que Diderot et Voltaire ne l'ont fait dans toute leur existence. Le Canada quant à lui aime bien s'identifier comme la nation la plus philosophique, la plus idéaliste et la plus pluraliste. Cela produit une atmosphère discrète de civilisation même quand les couteaux volent bas.
Absolument personne ne peut prétendre avoir assisté à une grande variété de débats sur le Québec au sein du Canada. Le débat est toujours le même. Presque chacun de ses thèmes est un faux-fuyant. Que l'on parle de nationalisme civique, d'individualisme, de vocation humanitaire du pays, de race, ce ne sont que des déplacements de l'enjeu véritable.
La lutte qui a lieu en notre pays ne recouvre pas des divergences philosophiques. Le Canada est un Etat-Nation de filiation culturelle anglaise. Ce n'est pas un idéal philosophique. On n'est pas indépendantiste parce qu'on croit plus en un philosophe plus qu'un autre. On n'est pas indépendantiste parce qu'on croit plus en l'ethnie qu'en la citoyenneté. On n'est pas indépendantiste parce que l'on croit que l'Etat québécois devrait être le représentant officiel d'une moralité qui soit l'opposée de la moralité canadienne.
Il est étrange parfois de voir des indépendantistes reprendre les arguments des fédéralistes sur ce qui nous distingue du Canada. Puisque le Canada se dit pluraliste nous devrions nous prétendre le contraire. Les Etats occidentaux dans leur grande majorité se disent du côté de la vertu. Partout on aime le « world beat ». Partout les individus se disent très conscientisés et remplis d'affections planétaires.
Il n'y a rien d'extraordinaire là-dedans. C'est la façon moderne de se croire vertueux. C'est l'état d'esprit qui a succédé à l'époque où tous les paroissiens à genoux à l'église voulaient devenir des saints. À cet égard les Québécois, les Canadiens, les Espagnols, les Slovènes et les Lettons ont une attitude semblable. Allez dans un auberge de jeunesse à Stockholm ou à Melbourne et vous verrez.
Dans la plupart des sociétés, il y a la diversité des groupes mais il y a aussi une loi de la pesanteur. Ainsi la langue anglaise est la puissance d'attraction du Canada. Ses institutions anglaises servant sa majorité anglaise. Même l'individu le mieux intentionné ne peut éviter cette force d'inertie. C'est vraiment une pérennité canadienne qui échappe au débat démocratique. Ce ne sera jamais sur la table des colloques et des remises en question au Canada.
À cet égard le Canada est moniste et non pluraliste. Mais le Canada a besoin d'un grand isme national pour convaincre tout le monde de sa haute justification philosophique. Et si d'aventure il s'interroge sur la nation québécoise c'est pour se demander quel peut bien être l'isme national de cette petit groupement. Le francophonisme? L'ethnocentrisme? Le purisme linguistique? Le communautarisme contre l'individualisme? Le passéisme? Le totalitarisme? Le latinisme? L'hypersexualisme?
Au Canada quand on s'interroge sur le Québec, c'est pour se demander à quelle programmation nous obéissons.
Il s'ensuit d'autres débats sur la manière de nous déprogrammer.
Comment nous libérer du collectivisme? Du totalitarisme? De notre naturel trop libidineux ? Ça commence par un débat sur notre nation et ça finit par des suggestions condescendantes pour nous apprendre à vivre dans la diversité du réel.
Le Canada aime la diversité en autant qu'il reste égal à lui-même et que personne ne puisse se ficher de sa loi de la pesanteur. C'est faire son jeu que de l'identifier à une éthique mondialiste supérieure. Le pluralisme fait partie de la pédagogie formelle du Canada. Sans ce thème, les petits airs de pince sec de Michaelle Jean tourneraient à vide. Au lieu de déclarer qu'elle représente un pays qui est un microcosme du monde, elle devrait dire platement qu'elle représente Elizabeth II, laquelle tient sa puissance en ces lieux d'un héritage militaire. Le pluralisme permet au Canada de se penser lyriquement.
N'importe qui voulant se risquer à écrire sur la situation du Québec annexé ne devrait pas commettre la naiveté de penser que l'alternative se pose entre l'Etat-Nation et l'Etat multinational. Y a-t-il un exemple d'Etat multinational qui ne soit un Etat-Nation aggloméré à des nationalités plus petites? Qu'est-ce que ce microcosme canadien sinon une féodalité anglo-saxonne? Il n'y a pas un seul discours adressé à travers le Canada par Stephen Harper à des chambres de commerce dites ethniques qui a pu être prononcé en français. Si cela arrive jamais, ce sera pour les caméras de télévision.
Les discours officiels présentent les choses comme si la nation canadienne existait pour réaliser un principe fondamental. Ses ancêtres croyaient à quelque chose et son présent est voué à une grande cause. Son but est d'aider à faire passer au-dessus des lignes, aider biches et colombes à s'embrasser. Après ce brillant tableau, les intellos au Canada se demandent si les Québécois pourront avoir le cinq sur cinq qu'ils viennent de s'accorder.
Quand on fait de la philosophie, surtout dans le domaine politique, on ne devrait jamais utiliser un concept sans bien penser à sa sphère d'application. Si on veut savoir ce qu'est le Canada, il faut d'abord partir de ce qu'il est politiquement, pas de ce qu'il prétend être philosophiquement.
Comme Québécois, nous nous faisons renvoyer par le système politique canadien à l'existence d'une autre nation qui s'assume comme adulte et qui demeure libre de nous définir comme elle veut, nation, province, groupement ethnique. C'est elle l'arbitre du match... et la partie adverse tout à la fois.
André Savard


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