J'ai d'abord une déclaration à vous faire sur un sujet qui est beaucoup dans l'actualité. Évidemment, il y a un débat qui a lieu actuellement au Québec depuis plusieurs semaines, je parle évidemment de la question des accommodements raisonnables, et j'ai eu l'occasion de commenter le débat à quelques reprises. En fait, à chaque fois que la question m'a été posée, j'ai eu l'occasion de le commenter, et vous avez remarqué que je l'ai fait avec prudence puis avec pondération, mais il est clair maintenant que le débat s'enlise et qu'il sert la division plus que la compréhension.
Mon objectif, aujourd'hui, est de donner à ce débat des assises qui seront celles de la raison et des valeurs communes. Je veux d'abord vous faire trois remarques avant de vous informer plus en détail d'une décision qui a été prise tôt ce matin par le Conseil des ministres.
Premièrement, le Québec est une nation, notamment par son histoire, par sa langue, par sa culture et par ses institutions. La nation du Québec a des valeurs et des valeurs solides dont, entre autres, l'égalité entre les femmes et les hommes, la primauté du français, la séparation entre l'État et la religion. Ces valeurs, elles sont fondamentales. Elles sont à prendre avec le Québec. Elles ne peuvent faire l'objet d'aucun accommodement. Elles ne peuvent être subordonnées à aucun autre principe.
La deuxième remarque, c'est que le Québec est une société d'accueil; c'est vrai depuis 400 ans. Chaque année, plus ou moins 45 000 personnes viennent des quatre coins du monde et choisissent de s'installer au Québec. Ces nouveaux arrivants, comme ceux qui les ont précédés, viennent au Québec pour partager notre réussite, vivre librement et construire une nouvelle vie. Ils sont les bienvenus. Nous avons besoin de leur apport. Ils viennent enrichir le Québec de leur savoir, de leur culture et, avec nous, ils construisent le Québec.
Devoir d'intégration
Chacun d'eux a la responsabilité de s'intégrer à notre nation. Cela signifie qu'ils doivent adhérer à nos valeurs fondamentales. C'est en quelque sorte un contrat entre eux et leur nouvelle famille. En contrepartie, nous avons aussi, comme société d'accueil, une responsabilité: nous devons les accueillir et faciliter leur intégration. Quitter son pays d'origine, même pour la liberté, comporte une part de douleur, c'est celle du déracinement. Comme société d'accueil, nous devons aider les immigrants à prendre racine chez nous, à étudier, à travailler, à fonder une famille et à se refaire une vie.
La troisième remarque que je voulais vous formuler est la suivante: Je vous ai dit que j'avais observé le débat avec beaucoup d'attention, je l'ai aussi observé avec préoccupation et avec inquiétude parce qu'il repose sur un malentendu d'origine. De quoi a-t-on parlé? On parlé d'accommodements raisonnables pour présenter aux Québécois ce qui était tout le contraire. Ces histoires qui ont fait les manchettes, puis je pense entre autres aux vitres givrées du YMCA, à la note qui indiquait à une policière qu'elle doit éviter de parler à un Juif hassidique, à cet homme qui a dû sortir de la piscine parce que des femmes musulmanes s'y baignaient, ce ne sont pas des accommodements raisonnables, ce sont des arrangements qui sont contraires aux valeurs de notre nation. Expulser un ambulancier d'une cafétéria d'un hôpital juif, ce n'est pas rechercher le compromis, c'est le contraire de l'accommodement raisonnable. Et quand on dit: Voilà ce que sont les accommodements raisonnables, comment peut-on s'étonner qu'un sondage révèle que les Québécois soient contre? Comment se surprendre que même certains élus en viennent à souffler sur les braises de l'intolérance?
Malentendu
Il y a donc un malentendu d'origine sur ce qu'est un accommodement raisonnable. Mais ce malentendu d'origine sur le terme ne rend pas les incidents qu'on a rapportés plus acceptables. À travers tout ce qui a été dit, même à travers les dérapages qui se sont produits, il en ressort quelque chose. Il en ressort l'expression d'un questionnement qu'on ne peut pas ignorer. Il y a un débat fondamental sur la cohabitation entre les différentes communautés et sur l'équilibre entre les droits de la majorité et les droits des minorités, et ce débat doit se faire. Mais pour qu'il nous fasse progresser, il doit se faire sur les bases de la raison, il doit se nourrir de faits, pas uniquement de perceptions. C'est le sens de mon intervention.
J'annonce donc, aujourd'hui, la formation d'une commission spéciale d'étude sur les accommodements raisonnables. Son appellation exacte est la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodements reliées aux différences culturelles. Pour présider une telle commission, il faut des personnes qui sont d'une envergure exceptionnelle, des personnes dont la pensée a une portée universelle, tout en étant profondément enracinées dans la réalité contemporaine du Québec. L'historien et sociologue Gérard Bouchard, rattaché à l'Université du Québec à Chicoutimi, ainsi que l'auteur et philosophe Charles Taylor, professeur émérite de l'Université McGill, seront les coprésidents de cette commission. Je veux les remercier au nom de tous les Québécois d'avoir accepté une mission aussi délicate.
La Commission de consultation sur les pratiques d'accommodements reliées aux différences culturelles aura un triple mandat: premièrement, elle devra dresser un portrait fidèle des pratiques d'accommodements reliées aux différences culturelles. En d'autres mots, poser la question: De quoi parle-t-on au juste? Deuxièmement, la commission mènera une consultation dans les régions du Québec pour savoir ce que les Québecois en pensent, au-delà des sondages, puis au-delà des réactions spontanées données à chaud; troisièmement, la commission formulera des recommandations au gouvernement afin que les pratiques d'accommodements soient respectueuses des valeurs communes des Québécois.
La commission Bouchard-Taylor produira des recommandations qui seront débattues par tous les partis qui sont représentés à l'Assemblée nationale du Québec, et j'insiste pour placer les travaux de cette commission dans un contexte non partisan. Le sujet dont il est question se situe loin au-dessus de la partisanerie, il se situe dans le coeur des Québécois et au coeur de l'avenir de la société québécoise.
Rapport dans un an
La commission pourra commencer ses travaux dès le mois de mars et devra remettre son rapport dans un délai d'un an. Dans l'intervalle, j'annonce que la Commission des droits de la personne et de la jeunesse offrira un service d'information pour aider les décideurs à traiter les questions d'accommodements. La Commission des droits de la personne dispose de l'information nécessaire permettant d'éclairer les décideurs dans leurs réflexions et dans leurs décisions.
La cohabitation entre différentes communautés et la recherche de l'équilibre entre les droits ne sont pas, en passant, des défis qui sont propres ou uniques au Québec, loin de là. Ce sont des défis qui sont propres à notre époque. Ils sont vécus dans toutes les sociétés d'accueil, et j'estime que le Québec, en cette matière, est une société exemplaire.
Nous avons, à travers notre histoire, associé notre nation à des centaines de milliers de personnes venues de tous les pays du monde et issues de toutes les traditions et religions. Nous avons su le faire dans la paix et dans le respect et surtout en affirmant, pendant quatre cents ans, notre langue, notre culture, sur un continent où nous ne faisons pas 3 % de la population. Lorsque vous mettez tout cela bout à bout, vous ne pouvez conclure qu'une chose: l'expérience québécoise en matière d'immigration et d'intégration est une réussite. Notre diversité est aujourd'hui l'une de nos plus grandes richesses, et c'est pour moi une conviction inébranlable. Mais cela ne veut pas dire que tout est figé. Il faut d'abord se donner les moyens, comme société, d'avoir un dialogue qui est réfléchi et respectueux, et la commission que nous annonçons, aujourd'hui, nous permettra de faire un pas très important afin de mieux servir les Québécois dans un débat qui les touche de très près.
Jean Charest
Premier ministre du Québec
Accommodements raisonnables
Un commission pour définir, consulter et recommander
Déclaration faite hier, le jeudi 8 février, à l'occasion de l'annonce de la création d'une commission d'étude sur les accommodements raisonnables
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